vendredi 29 mars 2024

Compte rendu, critique, opéra. Betsy Jolas : Iliade l’amour, création. Le 15 mars 2016, Paris, CNSMDP. David Reiland

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IliadeLamour_agendaSCHLIEMANN devient ILIADE L’AMOUR. Bientôt 90 ans, – en août prochain, Betsy Jolas révise son opéra Schliemann, créé à Lyon en 1995, et ici à Paris, le retaille pour une nouvelle offre lyrique en 1h45 et 10 tableaux. L’œuvre intitulée « Iliade l’amour » et présentée dans la salle de concert du CNSMDP en partenariat avec la Philharmonie de Paris laisse dubitatif. Même resserré, le livret produit d’inévitables tunnels d’une inaction bavarde qui finit par ennuyer : de surcroît le metteur en scène aménage au risque de plomber le déroulement des pauses silencieuses qui n’apportent absolument rien à l’élucidation de l’action ni à son onirisme. D’autant que la figure de l’archéologue allemand si passionné par Troie, subit quelques déformations antihistoriques, résolument fantasques, à la façon d’une biographie subjective, vue ici – ou plutôt revécue à travers le témoignage de sa propre fille, Andromache (fière et énigmatique Anaïs Bertrand) dont le metteur en scène fait une figure évanescente, parfois hors scène, telle la narratrice d’une évocation chaotique, par bribes, au fil rétrospectif.
Dans cette expérience musicale qui se veut totale, l’oreille a du mal à repérer d’un bout à l’autre, l’idée d’une continuité dramatique, … d’autant que le texte qui reste difficile à comprendre, reste décousu et souvent énigmatique. Le livret a été écrit à deux mains par la compositrice et Bruno Bayen dont la pièce originelle « Schliemann, épisodes ignorés » a fourni la trame de départ.
Cependant certaines séquences prises isolément arrivent cependant à captiver telle le duo entre Schliemann et sa dernière épouse Sophia (palpitante Marianne Croux, scène V), puis la berceuse de cette dernière (scène VI) où en un chant plus développé et fluide, la jeune femme synthétise précisément l’enjeu de l’ouvrage, entre songe et réalité, quand elle chante, au bord d’une rêverie finalement dépressive : « je suis l’épouse de ton rêve ». Sophia ne semble exister que par les fantasmes de son Schliemann de mari, plus évanescente que réelle, elle semble interdite à posséder une véritable identité. Toutes les figures sur la scène d’un paquebot en croisière s’apparentent à des apparitions sans guère d’épaisseur que la musique pourtant suractive de Betsy Jolas finit par éparpiller tout à fait. Le travail sur la langue française (avec inserts d’anglais, de grecs, d’allemand…) focuse souvent sur l’anecdotique et semble répondre au fragmentaire très percussif de la fosse. Pas assez abouti non plus, l’émergence des saillies drôlatiques comme l’épisode « cabaret » avec un enquêteur bègue (épatant Fabien Hyon), où le gouvernement turc cherche à reprendre le trésor que Schliemann a exhumé sur les ruines de Troie…

 

 

 

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De Schliemann à Iliade l’amour. Les forces vives du CNSMDP créent l’opéra de Betsy Jolas dans sa nouvelle version

Forme décousue / direction épatante

 

Ceux qui pensaient retrouver précisément une sorte d’hommage poétique sur la vie de l’archéologue allemand, mêlant antiquité recherchée/fantasmée ou une réflexion sur l’oubli, la trace que convoque la quête des civilisations et de l’Histoire en seront pour leur frais. Même le titre « Iliade l’amour » convoquant le principe d’une épopée amoureuse trompe l’attente : la musique de Betsy Jolas, plus pointilliste éparse que scintillante et miroitante, manque cruellement de sensualité. L’intitulé est cependant respecté, la promesse d’une lyre amoureuse s’incarnant évidemment dans le rôle de Sophia, quintessence d’une féminité multiple, – la vraie quête ici de Schliemann, désireux d’épouser celle qui incarne à ses yeux Hélène de Troie-; – exigeant un soprano agile et volubile, jusqu’à sa déchirante imploration lacrymale, sur le corps mort de l’époux à la fin de l’opéra de chambre.

Pilote continûment impliqué, aux gestes aériens et fluides, le chef belge, déjà remarqué entre autres comme baguette lyrique à Saint-Etienne, David Reiland sait trouver la justesse et l’équilibre d’une partition pourtant déséquilibrée dont le flux chaotique installe avec difficulté la notion d’intrigue scénique. La subtile pulsion et l’attention analytique que sa direction insuffle, parvient à unifier et même densifier la texture, en une continuité dramatique souvent passionnante, en particulier dans la succession des 3 derniers tableaux. Le souci d’équilibre plateau / fosse, tout ce travail sur la couleur et la résonance, l’articulation de la ligne, farouchement recherchée, identifiée, cultivée tempère l’âpreté d’une partition dont la réalisation théâtrale n’allait pas de soi (et était même le premier défi). A la tête des forces vives du CNSMDP (classes de chanteurs et de musiciens, tous très engagés), ce que parvient à obtenir le maestro par ailleurs fin mozartien, relève donc de l’exploit. Chapeau bas. Baguette à suivre.

 

 

 

Iliade l’amour de Betsy Jolas, d’après Schliemann (1995)
Opéra de chambre en dix scènes, livret du compositeur et de Bruno Bayen – Créé au CNSMDP le 6 mars 2016

direction musicale : David Reiland
Mise en scène: Antoine Gindt

Scénographie
Etudiantes de l’ENSAD sous la supervision d’Elise Capdenat

Costumes
Fanny Brouste

Lumières
Ondine Trager

Heinrich Schliemann
Julien Clément

Sophia
Marianne Croux

Andromache
Anaïs Bertrand

Spencer
Igor Bouin

Mr Haak
Fabien Hyon

Nelly
Eva Zaïcik

L’appariteur
Guilhem Worms

Marina Ruiz, Yi Li, sopranos
Adèle Charvet, Lucie Louvrier, mezzo-sopranos
Blaise Rantoanina, Jean-François Marras, ténors

Orchestre du Conservatoire de Paris

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