SCHLIEMANN devient ILIADE L’AMOUR. BientĂ´t 90 ans, – en aoĂ»t prochain, Betsy Jolas rĂ©vise son opĂ©ra Schliemann, créé Ă Lyon en 1995, et ici Ă Paris, le retaille pour une nouvelle offre lyrique en 1h45 et 10 tableaux. L’Ĺ“uvre intitulĂ©e “Iliade l’amour” et prĂ©sentĂ©e dans la salle de concert du CNSMDP en partenariat avec la Philharmonie de Paris laisse dubitatif. MĂŞme resserrĂ©, le livret produit d’inĂ©vitables tunnels d’une inaction bavarde qui finit par ennuyer : de surcroĂ®t le metteur en scène amĂ©nage au risque de plomber le dĂ©roulement des pauses silencieuses qui n’apportent absolument rien Ă l’Ă©lucidation de l’action ni Ă son onirisme. D’autant que la figure de l’archĂ©ologue allemand si passionnĂ© par Troie, subit quelques dĂ©formations antihistoriques, rĂ©solument fantasques, Ă la façon d’une biographie subjective, vue ici – ou plutĂ´t revĂ©cue Ă travers le tĂ©moignage de sa propre fille, Andromache (fière et Ă©nigmatique AnaĂŻs Bertrand) dont le metteur en scène fait une figure Ă©vanescente, parfois hors scène, telle la narratrice d’une Ă©vocation chaotique, par bribes, au fil rĂ©trospectif.
Dans cette expĂ©rience musicale qui se veut totale, l’oreille a du mal Ă repĂ©rer d’un bout Ă l’autre, l’idĂ©e d’une continuitĂ© dramatique, … d’autant que le texte qui reste difficile Ă comprendre, reste dĂ©cousu et souvent Ă©nigmatique. Le livret a Ă©tĂ© Ă©crit Ă deux mains par la compositrice et Bruno Bayen dont la pièce originelle “Schliemann, Ă©pisodes ignorĂ©s” a fourni la trame de dĂ©part.
Cependant certaines sĂ©quences prises isolĂ©ment arrivent cependant Ă captiver telle le duo entre Schliemann et sa dernière Ă©pouse Sophia (palpitante Marianne Croux, scène V), puis la berceuse de cette dernière (scène VI) oĂą en un chant plus dĂ©veloppĂ© et fluide, la jeune femme synthĂ©tise prĂ©cisĂ©ment l’enjeu de l’ouvrage, entre songe et rĂ©alitĂ©, quand elle chante, au bord d’une rĂŞverie finalement dĂ©pressive : “je suis l’Ă©pouse de ton rĂŞve”. Sophia ne semble exister que par les fantasmes de son Schliemann de mari, plus Ă©vanescente que rĂ©elle, elle semble interdite Ă possĂ©der une vĂ©ritable identitĂ©. Toutes les figures sur la scène d’un paquebot en croisière s’apparentent Ă des apparitions sans guère d’Ă©paisseur que la musique pourtant suractive de Betsy Jolas finit par Ă©parpiller tout Ă fait. Le travail sur la langue française (avec inserts d’anglais, de grecs, d’allemand…) focuse souvent sur l’anecdotique et semble rĂ©pondre au fragmentaire très percussif de la fosse. Pas assez abouti non plus, l’Ă©mergence des saillies drĂ´latiques comme l’Ă©pisode “cabaret” avec un enquĂŞteur bègue (Ă©patant Fabien Hyon), oĂą le gouvernement turc cherche Ă reprendre le trĂ©sor que Schliemann a exhumĂ© sur les ruines de Troie…
De Schliemann Ă Iliade l’amour. Les forces vives du CNSMDP crĂ©ent l’opĂ©ra de Betsy Jolas dans sa nouvelle version
Forme décousue / direction épatante
Ceux qui pensaient retrouver prĂ©cisĂ©ment une sorte d’hommage poĂ©tique sur la vie de l’archĂ©ologue allemand, mĂŞlant antiquitĂ© recherchĂ©e/fantasmĂ©e ou une rĂ©flexion sur l’oubli, la trace que convoque la quĂŞte des civilisations et de l’Histoire en seront pour leur frais. MĂŞme le titre “Iliade l’amour” convoquant le principe d’une Ă©popĂ©e amoureuse trompe l’attente : la musique de Betsy Jolas, plus pointilliste Ă©parse que scintillante et miroitante, manque cruellement de sensualitĂ©. L’intitulĂ© est cependant respectĂ©, la promesse d’une lyre amoureuse s’incarnant Ă©videmment dans le rĂ´le de Sophia, quintessence d’une fĂ©minitĂ© multiple, – la vraie quĂŞte ici de Schliemann, dĂ©sireux d’Ă©pouser celle qui incarne Ă ses yeux HĂ©lène de Troie-; – exigeant un soprano agile et volubile, jusqu’Ă sa dĂ©chirante imploration lacrymale, sur le corps mort de l’Ă©poux Ă la fin de l’opĂ©ra de chambre.
Pilote continĂ»ment impliquĂ©, aux gestes aĂ©riens et fluides, le chef belge, dĂ©jĂ remarquĂ© entre autres comme baguette lyrique Ă Saint-Etienne, David Reiland sait trouver la justesse et l’Ă©quilibre d’une partition pourtant dĂ©sĂ©quilibrĂ©e dont le flux chaotique installe avec difficultĂ© la notion d’intrigue scĂ©nique. La subtile pulsion et l’attention analytique que sa direction insuffle, parvient Ă unifier et mĂŞme densifier la texture, en une continuitĂ© dramatique souvent passionnante, en particulier dans la succession des 3 derniers tableaux. Le souci d’Ă©quilibre plateau / fosse, tout ce travail sur la couleur et la rĂ©sonance, l’articulation de la ligne, farouchement recherchĂ©e, identifiĂ©e, cultivĂ©e tempère l’âpretĂ© d’une partition dont la rĂ©alisation théâtrale n’allait pas de soi (et Ă©tait mĂŞme le premier dĂ©fi). A la tĂŞte des forces vives du CNSMDP (classes de chanteurs et de musiciens, tous très engagĂ©s), ce que parvient Ă obtenir le maestro par ailleurs fin mozartien, relève donc de l’exploit. Chapeau bas. Baguette Ă suivre.
Iliade l’amour de Betsy Jolas, d’après Schliemann (1995)
Opéra de chambre en dix scènes, livret du compositeur et de Bruno Bayen
Créé au CNSMDP le 6 mars 2016
direction musicale : David Reiland
Mise en scène: Antoine Gindt
Scénographie
Etudiantes de l’ENSAD sous la supervision d’Elise Capdenat
Costumes
Fanny Brouste
Lumières
Ondine Trager
Heinrich Schliemann
Julien Clément
Sophia
Marianne Croux
Andromache
AnaĂŻs Bertrand
Spencer
Igor Bouin
Mr Haak
Fabien Hyon
Nelly
Eva ZaĂŻcik
L’appariteur
Guilhem Worms
Marina Ruiz, Yi Li, sopranos
Adèle Charvet, Lucie Louvrier, mezzo-sopranos
Blaise Rantoanina, Jean-François Marras, ténors
Orchestre du Conservatoire de Paris