mardi 19 mars 2024

Compte-rendu : Liège. Opéra Royal de Wallonie, le 7 juin 2013. Grétry: Guillaume Tell, 1791. Marc Laho (Guillaume Tell), Anne-Catherine Gillet (Madame Tell)… Claudio Scimone, direction. Stefano Mazzonis di Pralafera, mise en scène.

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grétry portraitParis, 1791 : la France Républicaine retrouve l’inusable mélodiste Grétry qui associé au dramaturge Sedaine met en musique la légende du héros suisse, révolté patriote : Guillaume Tell. Il est évident qu’ici les vertus du peuple, plein acteur de son destin et mené par le libertaire Tell, sont clairement célébrées : contre la barbarie d’un pouvoir abusif et despotique, l’arbalètrier prodigieux en osant défier l’autorité de Guesler (l’Autrichien honni) sème le vent de la révolution et permet au bon peuple suisse, opprimé mais solidaire, de trouver les voies de son émancipation.

Au début de l’opéra, nous assistons à la noce rustique entre la fille Tell (Marie) et le fils du Bailly (Melktal fils), heureuse idylle qui rapproche les classes différentes ; puis l’action se précipite et sombre dans le cynisme froid du tyran local avant que Guilaume Tell, vainqueur de l’épreuve qui devait l’humilier, ne soulève tous les cantons derrière lui pour destituer le despote satanique : le choeur final célébrant la liberté des patriotes souligne assez le vrai sujet de l’ouvrage de Grétry: la liberté du peuple contre le pouvoir despotique (anticipation par son sujet et aussi par certains éléments formels et musicaux de … Fidelio de Beethoven ?).
Nous sommes bien loin des galanteries aimables du Grétry versaillais propre aux années 1780, quand il servait encore la Cour de France, comme favori de Marie-Antoinette, avec les opéras tels surtout La Caravane du Caire (1783), ou Richard coeur de Lion (1784) … Avec le changement de régime et la Révolution, Grétry sait se renouveler ; il fait encore évoluer le genre opéra comique vers … l’opéra patriotique et républicain. De fait, sa science des chansons courtes et facilement mémorisables (la chanson de Roland à Roncevaux au III) dont le principe ont tant oeuvré pour le rendre définitivement populaire, une nouvelle unité dramatique qui enchaîne les tableaux avec un réel sens du rythme et de la gradation expressive … tout cela souligne les qualités d’une écriture lyrique assurée et mûre qui impressionne Mozart, voire annonce donc, d’une certaine manière Fidelio de Beethoven, sans omettre les ensembles d’un Rossini.
Certes la mise en scène présentée à Liège (conçue par le directeur des lieux, Stefano Mazzonis di Pralafera) regarde du côté des théâtres et tréteaux de la Foire dont les effets de machineries d’époque (changements à vue) sont idéalement rétablis ; où la parodie et la déclamation grandiloquente semblent faire le procès des sujets d’actualité et des genres passés de mode, selon une approche mordante voire loufoque bienvenue ; précisément aussi, aborde avec une fausse légèreté, les évocations très couleurs locales, d’une Suisse légendaire … Mais tout cela n’empêche pas, non sans raison, la profondeur et la gravité d’une tragédie franche, plutôt intensément menée. Les tableaux collectifs (fin du I), puis le grand air de Madame Tell (d’un véritable souffle pathétique, d’une grandeur grecque : n’oublions pas que Grétry fut capable de commettre Andromaque, vrai tableau grandiose et  » sévère » à la façon néoantique) convoquent aussi le genre tragique et même saisissant le mieux tissé : le choeur des partisans, jurant de démettre le tyran Guesler est aussi un grand moment : c’est soudainement le peuple de la Révolution française qui surgit sur les planches sous l’inspiration du citoyen Grétry.

 

 

Le Guillaume Tell du citoyen Grétry

 

L’opéra vrai grand succès de la France républicaine, est même repris jusqu’en 1828 à Paris, influençant certainement le Guillaume Tell de Rossini, créé à l’Opéra de Paris l’année suivante (1829) qui y fixe les règles et vertus du grand genre lyrique français : c’est dire la valeur de la partition ainsi dévoilée à Liège, nouveau jalon mémorable en cette année du Bicentenaire de sa mort (1813). La preuve est même donnée que Rossini réutilise le premier motif poursuivant l’ouverture (la mélodie énoncée par la clarinette puis sa reprise en coulisse) de Grétry, base du grand choeur final de son Guillaume Tell.
Voici donc le Grétry mûr et maître de ses effets, qui à 50 ans en 1791 démontre sa capacité à renouveler les règles lyriques et théâtrales. En dépît des dialogues (finalement courts) et des récits parlés, l’unité et la cohérence du drame, l’enchaînement des épisodes relèvent d’une pensée globale assez saisissante voire singulière : contrairement à Rossini qui pourtant sait développer et approfondir en airs impressionnants, le profil des protagonistes, Grétry comme frappé par l’essentiel et la concision, concentre l’intensité voire la violence expressive sur les femmes : à aucun moment chez Rossini, nous ne trouvons cette incandescence, telle qu’elle paraît dans l’air de déploration de Madame Tell en seconde partie ; même la fillle Tell, Marie, se distingue aussi avec un relief spécifique. Ce sont des appuis majeurs pour la réussite du héros ; autant d’efficacité dramatique reste rare … elle rappelle évidemment la science des dispositions scéniques du peintre David, une décennie plus tôt, quand l’artiste créait ce style néoclassique adulé par Louis XVI sur le thème des Horaces par exemple… Voilà donc le dramaturge Grétry confirmé.
A Liège, la distribution est épatante pour un spectacle qui allie avec justesse le délire parodique, la tension héroïque, comme la gravité tragique : pas si facile pour les chanteurs de réaliser une telle alliance. Et la performance inspire Anne-Catherine Gillet, Marc Laho qui font un couple Tell très convaincant : la soprano réussit sa déclamation avec une vivacité souvent espiègle, trouvant le ton juste dans son grand air d’imploration déjà cité, quand le ténor très en voix, articule son texte avec l’aplomb d’un acteur diseur, sachant projeter et nuancer avec d’autant plus de mérite qu’il n’a pas d’airs proprement dits à défendre tout au long de l’action. Tout cela préserve la vérité et la justesse d’un théâtre qui n’est pas que léger et badin comme il est écrit trop souvent : le lecteur de Jean-Jacques Rousseau dont il acheta la propriété à Ermenonville, l’amateur de philosophie, idéalement pénétré par l’esprit des Lumières et de la Raison, marqué aussi par l’épreuve que fut le décès de ses trois filles, n’a in fine rien d’un volage sans conscience ni engagement critique. Républicain, Grétry le devint ou le révéla par conviction ; c’est pourquoi ce Guillaume Tell somme toute assez tardif dans son oeuvre recueille la maîtrise liée aux nombreux ouvrages précédents, tout en développant sur un sujet révolutionnaire, une forme et un langage d’un nouveau genre. Le décoratif et le badin n’empêchent pas la vérité.

C’est cet élément déterminant qui frappe aujourd’hui et que la production liégeoise de juin 2013, outre ses délires scéniques, sait subtilement respecter (grâce à la qualité des chanteurs requis). Dans la fosse, le pétillant Claudio Scimone, octogénaire toujours en verve, distille sur instruments modernes, un Grétry définitivement indémodable, tendre, fraternel, toujours surprenant. Production à ne pas manquer, à l’affiche de l’Opéra Royal de Wallonie les 11, 13 et 15 juin 2013.

Liège. Opéra Royal de Wallonie, le 7 juin 2013. Grétry: Guillaume Tell, 1791. Marc Laho (Guillaume Tell), Anne-Catherine Gillet (Madame Tell), Lionel Lhote (Guesler), Liesbeth Devos (Marie), … choeurs et orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie. Claudio Scimone, direction. Stefano Mazzonis di Pralafera, mise en scène.

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