jeudi 28 mars 2024

Compte rendu, concert. Prague. Smetana Hall, le 30 novembre 2016. Récital Edita Gruberova. Symfonicky Orchestr Prahy FOK. Peter Valentovic, direction musicale.

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Compte rendu, concert. Prague. Smetana Hall, le 30 novembre 2016. Récital Edita Gruberova. Symfonicky Orchestr Prahy FOK. Peter Valentovic, direction musicale. Décidément, la soprano coloratoure Edita Gruberova nous réserve encore bien des surprises. Et la retraite, pourtant annoncée pour l’année 2018 – qui signera les cinquante ans de carrière de la diva slovaque – paraît soudain bien lointaine, tant les moyens de la chanteuse paraissent ce soir presque inaltérés malgré le temps qui passe. Contrairement à ce qui nous semblait désormais une constante à laquelle il fallait bien s’habituer, aucun tour de chauffe, ce soir. Dès les premiers sons l’instrument répond présent, déjà en place et soutenu, vibrant totalement librement et sonnant tel qu’il y a quinze ans. Le récitatif de Linda di Chamounix explore ainsi les couleurs et les nuances, jusqu’à la cabalette dont la virtuosité achève de délier la voix, vocalises perlées redoutables de précision, jusqu’à un contre-ut trillé emplissant toute la salle et déclenchant une première salve d’applaudissements.

 

 

 

Fontaine de jouvence : le miracle Gruberova

 

 

Gruberova_editaVient la scène de la folie de Lucia di Lammermoor, peut-être l’identité même de la vocalité d’Edita Gruberova. Cette partition épouse si nettement les contours de sa voix qu’on perçoit sans peine l’identification qui est la sienne avec ce personnage, notamment dans cette scène lunaire et irréelle. Là encore, la fontaine de jouvence se fait pleinement sentir, le timbre adamantin de la cantatrice stupéfiant par sa limpidité, aussi pur et transparent que de l’eau de roche. Les piani flottent ainsi dans les airs, le souffle paraît infini, et les contrastes surprennent par leur soudaineté, un forte jaillissant du silence pour tonner à travers l’auditorium, avant de retourner au néant, lentement diminué avec beaucoup d’art. Toute la scène se poursuit ainsi, la salle entière suspendue aux notes de la diva, et, au détour d’un trille, le premier contre-mi bémol éclate, un rien bas mais superbe de sonorité. Le public exulte et interrompt le concert par une longue ovation. Mais la scène n’est pas terminée, reste la cabalette, qui se déroule avec une aisance de funambule, et s’achève sur un second mi bémol triomphal, parfaitement juste, dominant l’orchestre et traversant l’espace.
C’est l’euphorie dans l’assistance, le parterre se lève pour acclamer l’exploit, le pari est déjà gagné.
Même évidence avec la première scène d’Elisabetta dans Roberto Devereux, récitatif à l’autorité indiscutable, cavatine phrasée archet à la corde et cabalette offrant une reprise ornée avec panache et couronnée par deux contre-ré stupéfiants de facilité et d’éclat, comme un retour vingt ans en arrière.

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Illustration : © Wilfried Hösl – Roberto Devereux Munich juillet 2015

Après Donizetti, c’est au tour de Bellini de recevoir son hommage. On redoutait un peu la scène de folie d’Elvira dans I Puritani, la nudité bellinienne étant devenue risquée, sinon cruelle, pour une voix après tant d’années de métier. Surprise, la cantilène se déroule avec une régularité parfaite, ligne de chant suspendue au-dessus de l’orchestre, telle qu’on n’osait pas l’imaginer. La cabalette prend son envol et, au beau milieu de la reprise, on est interloqués d’entendre la Gruberova tenter, et réussir, un contre-mi bémol foudroyant aussi inattendu que jubilatoire, une note qu’elle ne risquait plus à cet endroit de la partition depuis bien longtemps, se confrontant ainsi à son propre souvenir et ravivant des lueurs qu’on croyait appartenir au passé.
Reste la scène finale de la Straniera pour achever en beauté une soirée exceptionnelle. Le récitatif se construit lentement, la chanteuse prenant son temps pour poser et développer des notes phénoménales d’ampleur et d’autorité, redoublant l’incrédulité des spectateurs qui paraissent croire à peine à ce qu’ils entendent. Et nous avec.
La cavatine est phrasée avec une élégance jamais prise en défaut et on se prend à rêver un instant que la diva reprenne en concert la scène finale de Beatrice di Tenda, dans laquelle elle était sans rivale. La cabalette rugit, électrisante, en des variations insensées, et clôt le concert sur un contre-ré bémol longuement tenu qui achève de faire crouler la salle.
Le public est debout et acclame le miracle qui vient de se produire plus de deux heures durant.
En bis, Edita Gruberva nous offre une mélodie désarmante de charme et de tendresse, et surtout son rappel préféré, l’air d’Adèle « Spiel ich die Unschuld vom Lande » dans Die Fledermaus de Johan Strauss, comme à Paris voilà sept ans.
La chanteuse se lance dans ce petit bonbon musical avec le même plaisir gourmand qu’il y a sept ans, les même facéties qui font défaillir l’assistance de rire et de bonheur, le même feu d’artifice vocal et la même crâne assurance sur le contre-ré spectaculaire qui couronne ce morceau comme la cerise sur le gâteau.
Autre artisan majeur de cette réussite éclatante : l’Orchestre Symphonique de Prague, qui éblouit par la splendeur de ses pupitres et la qualité de ses soli. L’Ouverture de Guillaume Tell est à ce titre un choc, émerveillés qu’on est par chacun des instrumentistes. Les Danses du compositeur tchèque Alexander Moyzes sont une véritable découverte, à la fois mélancoliques et entrainantes, autant que profondément originales, tandis que l’Ouverture de Norma se révèle dans toute sa grandeur. Quant à la Méditation de Thaïs, si souvent rabâchée, elle donne ce soir comme une impression de première fois.
Galvanisant les musiciens, le chef Peter Valentovic, partenaire habituel de la diva, la couve de sa baguette, lui permettant ce soir de donner le meilleur d’elle-même et de se surpasser. Ce qui nous vaut son meilleur concert depuis des années.
Pour goûter plus intensément encore à la fontaine de jouvence, rappelons pour finir qu’Edita Gruberova fêtera dans quelques semaines ses 70 printemps. Et c’est comme si elle était repartie pour dix ans.

 

 

 

Prague. Smetana Hall, 30 novembre 2016. Gioachino Rossini : Guillaume Tell, Ouverture. Gaetano Donizetti : Linda di Chamounix, « Ah ! Tardai troppo… O luce di quest’anima ». Alexander Moyzes : Danses de Pohronie, Nad vatrou s valaškami. Gaetano Donizetti : Lucia di Lammermoor, « Il dolce suono… Spargi d’amaro pianto ». Jules Massenet : Thaïs, Méditation. Gaetano Donizetti : Roberto Devereux, « Duchessa alle fervide preci… L’amor suo mi fe’ beata… Ah ! Ritorna qual ti spero ».  Vincenzo Bellini : Norma, Ouverture ; I Puritani, « O rendetemi la speme… Qui la voce sua soave… Vien diletto in ciel la luna ». Alexander Moyzes : Danses de Pohronie, Po robote pri muzike. Vincenzo Bellini : La Straniera, « Sono all’ara… Ciel pietoso… Or sei pago, o ciel tremendo ». Edita Gruberova, soprano. Symfonicky Orchestr Prahy FOK. Peter Valentovic, direction musicale.

 

 

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