CD. Vivaldi : L’incoronazione di Dario (Dantone, 2013). L’agilité esthétisante qu’apporte le geste fluide et dramatique d’Ottavio Dantone fait heureusement palpiter le continuo et l’orchestre, révélant avant toute chose (dont la très cohérente distribution vocale réunit ici) cette frénésie miraculeuse du Pretre Rosso, ses alanguissements aussi. La cohérence sonore est irrésistible, confirmant à nouveau ce que nous aimons penser : aux côtés de Haendel et Rameau, Vivaldi est l’un des très grands génies de l’opéra baroque du premier XVIIIème.
Excellent Dario de Dantone
Le début de l’intrigue persane commençant par un superbe duo d’altos féminins, celui des deux sœurs Statira et Argene, les filles du grand Cyrus, recèle bien des trésors lyriques.
Soutenu par les satrapes pour succéder à Cyrus et épouser sa fille Statira (qui l’aime sans ciller), Darius trouve un excellent interprète en la personne de l’excellent ténor Anders Dahlin (d’ailleurs très bon ramiste). La flexibilité tendre et bien chantante de la voix offre une saisissante présence au héros de l’opéra : viril mais enivré, déterminé mais humain. Belle musicalité ardente également pour les deux femmes dressées de part et d’autre de ce Dario fringuant de haute voltige : Delphine Galou et Sara Mingardo composent de superbes portraits féminins des deux sœurs, la malicieuse et hypocrite autant que jalouse Argene ; la noble et droite, lumineuse et ardente Statira. Dommage que l’Oronte de la mezzo Lucia Cirillo paraisse si peu impliquée par son personnage, contredisant par exemple les contrastes dynamiques de l’orchestre dans son air du II, le plus long de l’opéra (plus de 5mn30).
L’Arpago de Sofia Soloviy est un peu étroit. L’Alinda de la soprano Roberta Mameli a un tout autre tempérament, ardent lui aussi, et d’un engagement sans failles (superbe air du II : Io son quell’augelletto…). La soprano palpitante, au diapason du continuo et de l’orchestre, finement ciselé comme son chant, est la surprise et la révélation de cette production. Un nom à suivre.
Pour beaucoup encore (trop), les opéras de Vivaldi sont une série mécanique d’airs da capo, certes avec variations, et tout de même grand raffinement instrumental : écoutez l’air de Statira au III (Sentiro fra ramo e ramo : où le chant des cordes et du violon solo ressuscitent l’extase printanière : l’auteur des Quatre Saisons n’est pas loin…). Dantone sait nous démontrer sans démonstration que l’invention formelle suit les rebonds de l’action, révélant les personnalités de chaque protagoniste : la couleuvre Argene, le couple lumineux Dario/Statira…
Grâce au piquant raffiné de L’Incoronazione di Dario (Couronnement de Darius), créé durant l’hiver 1717, sur la scène de son théâtre à Venise, le San Angelo, Vivaldi allait gagner les faveurs du gouverneur autrichien de Mantoue, Philipp von Hesse-Darmstadt (présent à la première) qui l’invite dans la foulée comme maestro di capella, au lieu même où brilla Monteverdi. Le chef d’oeuvre prémantouan de Vivaldi ne pouvait ici trouver meilleurs interprètes : agiles, caractérisés, d’une ivresse musicale dépassant la seule exécution honnête. Il faut du sang et du nerf chez Vivaldi : Ottavio Dantone et son ensembre très affûté, Accademia Bizantina, nous en dispense avec force et intelligence.
Vivaldi : L’incoronazione di Dario. Venise, San Angelo 1717. Anders Dahlin, TENOR: DARIO. Sara Mingardo, CONTRALTO: STATIRA. Delphine Galou, CONTRALTO: ARGENE. Riaccardo Novaro, BARYTON: NICENO Sofia Soloviy, SOPRANO: ARPAGO. Lucia Cirillo, MEZZO SOPRANO: ORONTE. Giuseppina Bridelli, MEZZO SOPRANO: FLORA. Roberta Mameli, SOPRANO: ALINDA. Accademia Bizantina. Ottavio Dantone, direction. 3 cd Naïve. Enregistrement réalisé en septembre 2013 en Allemagne.