CD. Karajan : intégrale des Symphonies de Beethoven (1961-1962). Prodigieuse intégrale Beethoven de Karajan en 1962… Au moment de l’inauguration de la nouvelle Philharmonie de Berlin, ouverte officiellement en octobre 1963, le quadra Herbert von Karajan alors chef permanent du Philharmonique de Berlin depuis 1955, a achevé en parallèle le premier cycle stéréophonique moderne de toutes les Symphonies de Beethoven. L’enregistrement s’est réalisé une année durant entre 1961 et 1962 : il établit définitivement l’aura du chef, son entente avec les musiciens berlinois, et reste aussi un jalon interprétatif d’ampleur sur le cœur du répertoire de l’Orchestre. Soucieuse de reprendre la parole sur la scène internationale, Deutsche Grammophon a accompagné ce projet, véritable manifeste esthétique du label ; la marque jaune a investi un budget exceptionnel (1,5 million de marks allemand de l’époque) comptant écoulé au moins 100 000 coffrets pour rentabiliser l’enregistrement : 10 ans plus tard il s’était vendu 1 million de coffrets de cette intégrale légendaire : un pari gagnant. Karajan y démontre la fluidité étonnante des musiciens d’une virtuosité dynamique stupéfiante, dont l’énergie et l’engagement servent le style puissant, conquérant, réformateur d’un Beethoven jupitérien, bâtisseur d’un monde nouveau immensément inspiré tout au long de ses 9 symphonies.
Berlin, 1962. Intégrale des Symphonies de Beethoven
Karajan orfèvre et démiurge
Avant Karajan les pionniers beethovéniens tels Weintgartner, puis dans les années 1950 : Toscanini, Klemperer et Walter (ce dernier à la fin des années 1950 et le premier vraiment mondialement acheté) ont abordé le cycle en entier mais avec cette approche épaisse, grandiloquente, souvent lourde. En 1961/1962, Karajan fait figure de champion de la nouvelle génération : doué, vif, architecte autant qu’orfèvre : il a la poigne et le tempérament, surtout une musicalité et un instinct superlatifs pour mener à bien cette nouvelle intégrale. Auparavant Karajan avait montré ses aptitudes à Londres avec le Philharmonia Orchestra dans un premier cycle enregistré dix ans auparavant, entre 1951 et 1955. A Berlin, Karajan révèle ses talents en cultivant d’emblée l’écoute primordiale entre tous les musiciens, une approche chambriste qui détaille la moindre alliance de timbre, relève le moindre accent, cisèle la structure en architecte. Insufflant dans cette fresque du détail et du raffinement instrumental, une énergie capable de souligner chaque inflexion majeure : telles ne sont pas moins les avancées du Karajan du début des années 1960, assurant pour lui même, pour l’orchestre et le label chez qui il a signé, un prestige et une renommée incontestable (et légitime). Karajan soigne la transparence et la clarté du plan et de la structure (regardant vers cette fameuse première objectivité qu’il admirait tant dans les années 1930 dans le jeu dépouillé de Toscanini….). Avec ses poses d’empereur romain de l’ère augustéenne, ses gestes travaillés sur chaque photo, Karajan construit son image d’après guerre. L’image du chef premier parmi ses pairs, s’édifie ainsi peu à peu grâce à ce jalon discographique qui aura marqué l’histoire de l’enregistrement.
Les 4 dernières symphonies 6, 7, 8 et 9 donnent la (dé)mesure captivante de la réalisation : plénitude des cordes, vitalité détaillée des vents, superbe éloquence souple des bois avec un sens nouveau des équilibres entre pupitres permettant de détailler dans la masse, enrichissant d’emblée la riche texture orchestrale… Karajan fait entendre tous les détails de la partition sans entamer sa formidable et prodigieuse tension architecturale. Ce double sens de l’infiniment petit et du colossal, de la miniature et de la fresque, emporté par une énergie incandescente, servi par une prise de son millimétrée, apporte aujourd’hui des fruits d’une saveur irrésistible. La 6ème » Pastorale » est l’expression juste et poétique d’une partition panthéiste dont le prétexte narratif touche à l’universel et renouvelle totalement dans le seul langage de l’orchestre, un hymne à la nature miraculeuse, à travers ses manifestations les plus saisissantes et spectaculaires (orage, ronde paysanne…). Les 7è et 8ème éblouissent par ce sens prodigieux qu’a Beethoven à jouer du temps et de la trépidation rythmique. La 9ème semble toutes les récapituler : synthèse et superbe portique vers la pleine modernité… l’énergie volcanique du premier mouvement de l’allegro initial auquel succède le feu dansant et chorégraphique du molto vivace prépare par contraste au développement de l’Andante où Beethoven semble suspendre la notion même de déroulement temporel, comme une aube enivrée, prélude à une ère nouvelle… dans lequel l’énoncé expressif passe par le chant finement caractérisé de chaque instrument : le chef chambriste s’y dévoile idéalement. L’ultime mouvement éclaire toutes les qualités d’une formation agissant comme un orchestre de chambre, d’une séduction inouïe quand à ses qualités expressives, nuances, accents, tension continue, … le tout progressant sans épaisseur vers l’expression de la transe collective au service du message fraternel et philosophique de Goethe (Ode à la joie). La réalisation qu’en offre Karajan ressuscite par son âpreté, son mordant, sa radicalité esthétique, les rituels antiques, cérémonies olympiques d’une indiscutable ferveur collective (ou plus proche de Beethoven, les cérémonies révolutionnaires de la fin du XVIIIème siècle). Servis par l’intelligence musicale des ingénieurs de DG, le nerf fiévreux, le muscle galbé de cette intégrale fabuleuse continuent encore de nous captiver.
Le coffret est richement illustré et annoté avec qualité (coffret Deluxe en édition limitée). En plus des 5 premiers cd, l’éditeur DG offre un blu ray audio qui regroupe toutes les Symphonies de Beethoven dans une prise de son époustouflante.
Beethoven : 9 Symphonien – Intégrale des 9 Symphonies. Enregistrement réalisé à Berlin en 1963 – Remasterisé 24 bit / 96 kHz. Blu-ray Audio Bonus: 9 Symphonies + réptitions de la 9ème Symphonie. ADD GB6 – Deluxe Limited Edition
Janowitz · Rössel-Majdan – Kmentt · Berry – Wiener Singverein. Berliner Philharmoniker. Herbert von Karajan, direction. 5 CDs + 1 Blu-ray Audio Deutsche Grammophon. 0289 479 3442 4 5 CDs + 1 Blu-ray Audio