Quête, prémonitions…
Le sentiment du vide et du néant le plus sinistre se précise aussi dans le cycle des mélodies, Cinq romances d’Anna Akhmatova (1988) d’après les textes désespérés de la poétesse russe. La musique est conçue par l’épouse de Denisov, d’une fluidité toute » denisovienne « , avec un souci des images poétiques, du sens progressif, de la prosodie suggestive.
On ne s’étonne plus du tempérament raffiné du chef français, depuis toujours habité et porté par la passion palpitante des œuvres contemporaines. Apôtre de Boulez, Daniel Kawka enchante littéralement chez Denisov: le scrupule et l’attention millimétrée aux nuances les plus infimes, la musique se fait verbe: elle réussit même là où le mot vacille. Flamboyante et accomplie dans sa formulation poétique grâce à un chef qui en a saisit toute la portée salvatrice et infinie. De l’éclatement au constat d’une amertume qui cite parfois Mahler (hautbois rêveur et mordant), l’écriture de Denisov gagne une cohérence de ton éblouissante sous la direction d’un chef visiblement touché par son message de dépassement comme de transcendance sonore. L’agitation (le début comme une boîte ouverte délivrant les effluves d’une tempête intérieure) et les prémonitions de la Symphonie n°2 atteignent une surexpressivité maîtrisée qui disent idéalement l’angoisse irrépressible du compositeur dont l’œuvre de 1994 avait annoncé un accident. Rien n’est gratuit ni bénin: en inscrivant l’écriture de Denisov au cœur de l’expérience humaine, tel un chant en miroir, Daniel Kawka signe ici l’un de ses plus beaux disques : secret, mystérieux, incarné, pudique. Superbe accomplissement.
Edison Denisov (1929-1996): Au plus haut des cieux. Symphonie de chambre N°1, N°2. Au plus haut des cieux, Cinq romances d’Anna Akhmatova. Brigitte Peyré, soprano. Ensemble Orchestral Contemporain. Daniel Kawka, direction. 1 cd Harmonia Mundi 3 149020 526828