samedi 12 octobre 2024

CD. Denisov : Au plus haut des cieux. Daniel Kawka (Harmonia Mundi)

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Denisov, edison_daniel_kawkaCD. Denisov : Au plus haut des cieux. Daniel Kawka (Harmonia Mundi). 12 solistes d’exception en empathie concertante sous la baguette de Daniel Kawka, illustrent cet art millimétré de la conversation atmosphérique tel qu’Edison Denisov (décédé en 1996) l’a subtilement maîtrisée dans le premier volet du programme, la Symphonie de chambre n°1 (1982). Les musiciens soulignent sans appui d’aucune sorte la transparence du flux polyphonique, jusqu’au murmure d’une forme ciselée qui s’achève dans le silence.Ce souci du timbre converge finalement vers le chant: Denisov étant fasciné par la voix humaine comme en témoigne le cycle poétique et vocal  » Au plus haut des cieux  » (qui donne le titre du programme), daté de 1987 ; dans une forme là encore des plus raffinées, Denisov reste subjugué par le texte de Georges Bataille dont l’hypersensibilité séditieuse, série de tableaux visionnaires, ajoute aux couleurs instrumentales. En écho aux vers de Bataille, Denisov s’est ouvert sur sa propre expérience parfois douloureuse de l’impuissance viscéral de l’être confronté à son destin, au vide de la nuit, au désert sans fin de son errance solitaire… La musique n’apaise pas : elle nourrit la quête (l’infini du bleu) et la tension qui en découle ; c’est ce qu’expriment admirablement les musiciens ; chacun des sept épisodes vocaux accumule le désir et l’attente, l’espoir et le désespoir, ponctué par les courts intermezzi purement instrumentaux qui font respirer une trame parsemée d’éclairs et de conflits intérieurs, de désirs enivrés qui veulent atteindre cet inaccessible but céleste :  » au plus haut des cieux, les anges… « . Hautbois fédérateur, cloche et célesta scintillants et suggestifs… l’orchestre fait entendre cet appel ardent et humain vers les cimes, la pureté impossible, le dépassement de soi qui s’effondre toujours. Espérance, chute, mais volonté sublimée par la divine musique…

Quête, prémonitions…

Le sentiment du vide et du néant le plus sinistre se précise aussi dans le cycle des mélodies, Cinq romances d’Anna Akhmatova (1988) d’après les textes désespérés de la poétesse russe. La musique est conçue par l’épouse de Denisov, d’une fluidité toute  » denisovienne « , avec un souci des images poétiques, du sens progressif, de la prosodie suggestive.

On ne s’étonne plus du tempérament raffiné du chef français, depuis toujours habité et porté par la passion palpitante des œuvres contemporaines. Apôtre de Boulez, Daniel Kawka enchante littéralement chez Denisov: le scrupule et l’attention millimétrée aux nuances les plus infimes, la musique se fait verbe: elle réussit même là où le mot vacille. Flamboyante et accomplie dans sa formulation poétique grâce à un chef qui en a saisit toute la portée salvatrice et infinie. De l’éclatement au constat d’une amertume qui cite parfois Mahler (hautbois rêveur et mordant), l’écriture de Denisov gagne une cohérence de ton éblouissante sous la direction d’un chef visiblement touché par son message de dépassement comme de transcendance sonore. L’agitation (le début comme une boîte ouverte délivrant les effluves d’une tempête intérieure) et les prémonitions de la Symphonie n°2 atteignent une surexpressivité maîtrisée qui disent idéalement l’angoisse irrépressible du compositeur dont l’œuvre de 1994 avait annoncé un accident. Rien n’est gratuit ni bénin: en inscrivant l’écriture de Denisov au cœur de l’expérience humaine, tel un chant en miroir, Daniel Kawka signe ici l’un de ses plus beaux disques : secret, mystérieux, incarné, pudique. Superbe accomplissement.

Edison Denisov (1929-1996): Au plus haut des cieux. Symphonie de chambre N°1, N°2. Au plus haut des cieux, Cinq romances d’Anna Akhmatova. Brigitte Peyré, soprano. Ensemble Orchestral Contemporain. Daniel Kawka, direction. 1 cd Harmonia Mundi 3 149020 526828

 

 

 

 

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