CD. Compte rendu critique. Méhul : Adrien (György Vashegyi, 2012. 2 cd Palazzetto Bru Zane). Le génie de Méhul enfin réhabilité ! D’abord proposé en téléchargement sur la toile, l’enregistrement d’Adrien nous revient sous une forme classique, en 2 cd et avec notice (courte) et livret (intégral). De quoi jugez sur pièce et repérer un nouveau jalon lyrique d’importance, entre classicisme et romantisme. A l’époque du Directoire, Adrien est bien un sommet lyrique dans le style gluckiste et frénétique : irrésistible. D’où, en dépit de quelques réserves (parmi les solistes), notre CLIC d’avril 2015. Les perles méconnues sont rares : en voici une, superbe qui éclaire mieux l’apport de Méhul au genre lyrique dans à la fin des années 1790, avant l’Empire.
Ardennais, encouragé par Gluck, parfait connaisseur des dernières lueurs et crépitements de l’esprit des Lumières, et non des moindres celles de Mozart et CPE Bach, d’une sensibilité Haydnienne, préfigurant déjà Beethoven, Etienne-Nicolas Méhul a surtout marqué l’évolution du genre opéra comique, de couleur héroïque, qui lui vaut à l’heure de la Révolution, ses plus grands succès salle Favart : Euphrosine (1790), surtout Stratonice (1792), Mélidore et Phrosine (1794) ou Ariodant (1799), contemporains de la Médée de Cherubini (1791). Adrien (conçu dès 1791, mais créé à l’Opéra de Paris en 1799) est ce maillon décisive qui cultive cette sensibilité guerrière (chœur « Règne à jamais » au III qui rappelle l’auteur du Chant du départ) déjà si nettement explicite chez l’ultime Gossec (Thésée, récemment ressuscité) : ici, la fibre martiale, fiévreuse si proche d’un Beethoven se développe dès l’ouverture, magnifique lever de rideau (réemploi de l’ouverture de son opéra de 1794, Horatius : avec Uthal, emblème des opéras impériaux sous Napoléon de 1806, Méhul démontre la noblesse de son inspiration ossianique (si admirée de l’Empereur), cultivée ici sans violons ! Le compositeur lyrique devait ensuite montrer son ambition symphonique dans ses 5 Symphonies écrites de 1808 à 1810.
L’opéra doit au portrait d’abord imparfait de l’Empereur Adrien, de nombreuses réticences et une genèse chaotique : Méhul y portraiture le pouvoir sans fard : le romain y est instable, faible ou despotique, et bien peu maître de lui-même : l’antithèse des princes éclairés pourtant légués par le XVIIIè des Lumières. Pourtant bénéficiant des manières contemporaines de Cherubini, Lesueur ou Steibelt, Méhul ne cessa en vérité de reprendre l’écriture d’Adrien, corrigeant, réadaptant le sujet et son traitement musical. D’où l’intervalle entre les premiers tableaux en 1791 et la création 8 années plus tard en 1799.
Méhul réserve aux protagonistes (dont surtout Erimène et Adrien) de longs récitatifs accompagnés qui mettent en avant les qualités déclamatoires des chanteurs : la « sécheresse » des seules cordes ponctuant le discours chantant, laisse pourtant l’éloquence du verbe qui emprunte au théâtre tragique – celui de Racine -, sa noblesse et sa gravité. Il en résulte une grandeur qui tant à l’épure et qui évidemment cite l’Antiquité et la simplicité héroïque de Gluck. Un équivalent musical de l’art sévère et néoclassique de David.
Méhul perfectionne en 1799 un nouveau type d’opéra héroïque et frénétique, d’une nervosité guerrière au diapason de la période du Directoire…
Adrien à Antioche : le clémence de l’Empereur
Adrien, empereur écrasé par l’exercice du pouvoir, s’humanise ici au contact de la belle captive Emirène…qui lui inspire une passion irrépressible : « vous êtes plus libre que moi » lui dit-il… Si le ténor requis pour cette résurrection (Philippe Do) ne chantait pas aussi faux au I puis épisodiquement (défaut qui va en s’atténuant fort heureusement car il y va du rôle central), l’on pourrait croire à sa souffrance cachée. Mais en dépit d’un timbre séduisant et d’aigus faciles, la manque de précision dans la ligne vocale, le style qui manque d’imagination et s’entête dans une mécanique d’intonation, déçoivent globalement. Quel dommage ! On sent que Méhul a souhaité nuancer les facettes d’Adrien selon les tableaux : dans ses confrontations multiples avec les Parthes Cosroès et Emirène naturellement, avec Sabine aussi.
Le rôle passionnant, défendu avec un scrupule dramatique plus mûr et nuancé (maîtrise du phrasé, couleurs du timbre) demeure la superbe Emirène de Gabrielle Philiponet. Moins aboutie et semblant chercher la justesse, la Sabine de Jennifer Borghi passe à coté d’un personnage lui aussi passionnant : c’est elle qui épousera finalement Adrien, non sans avoir révélé sa haine jalouse vis à vis d’Emirène qu’elle prenait pour sa rivale. Son air « Quittons ces lieux que je déteste... » au III indique un tempérament bouillonnant et éruptif que la mezzo éclaire cependant avec une certaine nervosité maîtrisée.
En 1799, Méhul livre un drame repris donc corrigé en de nombreux endroits : finalement son portrait peu flatteur de l’Empereur, sait recueillir la figure politique héritée des Lumières : au III, Adrien sait être magnanime et généreux ; il renonce à Emirène, la destinant à son aimé Pharnaspe (excellent Philippe Talbot). Adrien épousera Sabine.
De très belles scènes mêlant chœur et solistes (I, scène 7 : le chœur du peuple, la bataille et la victoire des romains contre les Parthes envahisseurs…), nerveuses, tendues, flamboyantes même dans le style du dernier Gossec que l’on vient de citer, s’affirment comme d’éclatantes réussites, d’autant plus éloquentes sous la direction impeccable du chef hongrois György Vashegyi (on a pu voir récemment son talent se confirmer pour la résurrection des Fêtes de Polymnie de Rameau). Dans l’exposition des sentiments contraires des 5 solistes sur les 3 chœurs (peuple, romains, Parthes), dans le développement spectaculaire et surexpressif de l’orchestre, Méhul préfigure ce qui fera la recette des succès romantiques d’un Meyerbeer, et avant lui de toute une génération nouvelle d’auteurs héroïques et frénétiques : diffuseur en France du style Sturm und Drang (tempête et passion), où percent de nouveaux éclairs orchestraux, Mehul se montre le continuateur génial de Gluck et de Vogel : à ce titre la pantomime de Cosroès, roi des Parthes et père d’Emirène, qui à l’acte II, mène ses troupes pour assassiner Adrien en revêtant les costumes des romains qu’ils ont précédemment tués, s’avère un sommet lyrique d’un dramatisme précis, fantastique, et déjà romantique, comme peut l’être avant lui dans Renaud de Sacchini (1783), le début du III, où le Napolitain évoque un front de guerre, entre désolation fumante et guerriers mourants; il n’y a pas à cette époque de scène d’une telle noblesse trépidante : style de fer certes, véritable inspiration antique, qui prépare au sublime chœur des Parthes vengeurs qui portés par un Cosroès halluciné (très convaincant Marc Barrard) honore le dieu des enfers, Pluton. L’enchaînement des deux tableaux est saisissant. Cet accomplissement remarquable (entre autres) mérite de réserver le meilleur accueil et à l’œuvre et à l’interprétation qui nous en est ici proposée. D’autant que l’orchestre et le chœur sont sans failles : précis, ronds, bondissants, caractérisés. C’est donc un CLIC de classiquenews. N’hésitez pas cet Adrien est une révélation.
CD. Compte rendu critique. Méhul : Adrien (version 1799). Gabrielle Philiponet (Emirène), Philippe Talbot (Pharnaspe), Cosroès (Marc Barrard), Philippe Do (Adrien), Jennifer Borghi (Sabine)… Purcell choir, Orfeo Orchestra. György Vashegyi, direction. Enregistré à Budapest en juin 2012. 2 cd Palazzetto Bru Zane.