Platée déjantée et poétique
Les moyens scéniques modestes sont poétiques et d’une rare intelligence. Tout de légèreté, le décor est constitué de bambous dressés avec élégance, suggérant force roseaux et verts feuillages. Le marais est imaginé au lointain et des projections habiles sur le fond, les couleurs des lumières changeantes font tout le reste. Un tableau noir sur la droite permet de résumer l’action et les didascalies nombreuses. Dès le prologue, la présence altière de Stéphanie Barreau en reine avec couronne qui prend place de côté sur scène en spectatrice donne le ton et rappelle que ce ballet a été crée à Versailles pour un mariage royal. Elle sera ensuite une Junon capiteuse et forte à la fois. La mise en abyme se poursuit et fait rentrer un groupe de randonneurs contemporains par la salle. Le spectateur est ainsi convié et peut s’y reconnaître, mais aucun groupe de marcheur n’aura jamais cette élégance de couleurs en camaïeux et cette folle aisance de gestes… La sympathie est immédiate tant les tranches d’âges sont larges, ce chœur est celui de la vraie vie, tous les âges y sont présents. Les libations des vendanges sont celles de joyeux marcheurs. Momus fait sensation, lui aussi venant de la salle, mais vautré dans un fauteuil. L’allure de séducteur jouisseur de Pierre-Emmanuel Roubet, son aisance scénique et sa belle projection de ténor altier font sensation. Plus tard en Mercure il aura la même superbe, avec le chic qui convient à l’émissaire des dieux. Chaque personnage ensuite viendra de la salle, sauf La Folie qui personnifiant la musique sortira de la fosse.
Les changements de costumes se font pratiquement à vue dans une version assez pirandellienne. La complicité du public sera un élément du plaisir de ce spectacle tout du long, avec de nombreuses surprises causant peur (les chutes de Mercure), ou fous-rires (les mines de Stéphanie Barreau, les trois grâces…). Le jeu d’acteur est précis et toujours juste. Le naturel est à peine surdimensionné quand il le faut.
Le personnage de Platée si difficile est parfaitement joué par Paul Crémazy qui arrive à faire rire sans aucune vulgarité et qui plus d’une fois touche par sa candeur. L’interprète musical est précis, passant des airs aux récitatifs avec beaucoup d’aisance. Ce soir toutefois, la voix paraîtra un peu fatiguée, mais on devine une clarté de timbre parfaite pour le rôle. L’incarnation est réussie et jamais cette grenouille ne se fait oubliée. Et pourtant il s’en passe des choses dans cette mise en scène ! Il est impossible de décrire le mélange de poésie et de drôlerie que Partick Abéjean sait organiser. Les lumières et les costumes participent de la mise en scène. Chaque choriste est un personnage et les gags s’enchaînent à loisir. Tous les chanteurs-acteurs sont jeunes et très à l’aise. Chacun apporte sa pierre à cet édifice drolatique. Cécile Larroche réussi à merveille son air de Clarine si aimable. Emmanuel Gardeil est un Jupiter élégant et filiforme de grande allure. Mais c’est la belle basse de Philippe Candenot en Cithéron qui sonne le mieux. Ce chanteur sérieux souvent entendu en musique sacrée se révèle à une belle vis comica. En Momus, le rugbyman Omar Hasan, fait figure de vedette américaine invitée. Son charisme et son allure font leur petit effet, et le chanteur se défend bien ! Mais la vraie diva de la soirée, la voix la plus travaillée, la chanteuse qui crève l’écran et assume la large tessiture du rôle et ses infinies nuances est La Folie inoubliable et irrésistible d’Aurélie Fargues. Quelle meneuse de revue ! Quelle voix fruitée et légère capable de monter tout là-haut ! Quelle capacité à vivifier le rythme et quelle belle énergie scénique. Cette Folie porte parole de Rameau qui prouve que la musique peut tout est une créature de grand prix. Le rouge lui va si bien et cette coiffure au pétard, quel chic ! Voilà un nom à suivre !
L’autre grande satisfaction de la soirée vient de la fosse. Stéphane Delincak a le geste précis et sûr qui permet une lecture dramatique et élégante de cette riche partition.
L’orchestre de Rameau est exigeant et si les 40 musiciens ne sont pas dans la fosse toute la richesse de la partition de Platée est bien là. Les instrumentistes cooptés et tous amis se surpassent et le lien fosse-scène étant solide, la musicalité individuelle renforce l’ensemble. Que la musique faite dans le plaisir sonne bien ! Les couleurs baroques diffusent ; la précision est reine.
Pour finir il faut féliciter l’admirable travail du chœur, force vive de l’ensemble À bout de souffle. Stéphane Delincak les fait travailler régulièrement et le résultat est digne d’admiration. L’homogénéité des pupitres est belle et la subtilité des phrasés tout autant. Ce chœur d’amateurs bénéficie d’une vie et d’une énergie que bien des ensembles professionnels peuvent leur envier. Et le travail scénique de Patrick Abéjean est d’une grande précision, mettant en valeur des individualités sans jamais affaiblir le groupe.
D’une manière générale la diction de chacun, soliste comme choristes, permet une compréhension parfaite du texte, sans être sur-articulée comme à l’école versaillaise. Le naturel est confondant et la richesse des vers est ainsi pleinement rendue.
Avec ses décors si facilement transportables, ce spectacle mérite de rencontrer un vaste public dont il fera les délices. Des petites salles à l’Italienne seraient un écrin parfait pour ce spectacle si gracieux et drôle à la fois. L’esprit de Rameau accompagne cette belle production.
Blagnac. Odyssud. Le 23 avril 2012. Platée, ballet bouffon en un prologue et trois actes de Jean-Philippe Rameau (1683-1764). Mise en Scène : Patrick Abéjean ; Costumes : Sohüta ; Lumières : Amandine Gérome ; Assistante à la mise en scène : Hélène Lafont. Platée : paul Crémazy, Thalie/La folie : Aurélie Fargues, un satyre/Jupiter : Emmanuel Gardeil, Thepsis/Mercure : Pierre-Emmanuel Roubet, Momus : Omar Hasan, Amour/Clarine : Cécile Larroche, Cithéron : Jean-Manuel Candenot, Junon : Stéphanie Barreau. Ensemble vocal et instrumental À bout de souffle. Direction : Stéphane Delincak.
Illustration: © JOB 2012