Quichotte crépusculaire et légendaire…
50 ans de scène et de concert, 70 ans révolu, le baryton superstar, immortalisé dans le rôle de Leoporello dans le Don Giovanni du génial Losey incarne à Bruxelles, un Quichotte qui compte après ces précédentes prises de rôles in loco: Philippe II, Godounov, Falstaff, Golaud, Hans Sachs, Boccanegra… pour ne citer que quelques rôles majeurs… car il y en eut bien d’autres (par exemple, aussi, les 3 visages diaboliques dans les Contes d’Hoffmann d’Offenbach…), attestant d’un charisme devenu célèbre à juste titre.
Pour l’avoir déjà enregistré avec Plasson, « José Quichotte » connaît son rôle sur le bout des doigts: il en cisèle chaque nuance linguistique, chaque intention du jeu expressif et corporel pour faire sien les désirs, les rêves, les tendres aspirations d’un être parvenu en fin de course dont le coeur palpite toujours comme celui d’un gamin jamais rassasié. Le profil dramatique est bouleversant de naturel et de vérité; il se glisse dans la scénographie de Pelly, à la fois facétieuse et enfantine, dont l’accumulation des livres et papiers illustre autant de souvenirs et exploits d’une vie conquérante dont peut être fier le paladin magnifique.
Le Panza de Werner van Mechelen s’impose lui aussi par sa justesse, et malgré une diction peu flatteuse, la Dulcinée très corsée de Silvia Tro Santafé s’inscrit idem parmi les arguments de cette production quasi historique.
Car dommage que dans la fosse Marc Minkowski épaississe parfois le trait et ne serve en rien la partition du Massenet subtil et allusif: le geste est linéaire et continûment narratif sans trouble ni ambivalence. La mort, debout, du Chevalier eut été superlative si à la figure extatique et lunaire de José Van Dam, totalement habité par son personnage, avait répondu un orchestre aussi articulé et suggestif. Aujourd’hui, les chefs Niquet ou Roth, les orchestre Les Siècles ou le Brussels Philharmonic indiquent une toute autre manière, plus idoine, plus claire, plus fluide, plus caractérisée (sans lourdeur justement ni boursouflure mais tout n’est pas ici uniquement qu’une question d’instruments; la vision et la conception artistique sont tout autant en jeu)… nouveau standards désormais incontournables pour réussir l’interprétation des Romantiques Français. La révolution baroqueuse a porté ses fruits; celle Romantique est en cours (grâce surtout à l’initiative du Palazzetto Bru Zane Centre de musique romantique française). Il reste étonnant qu’un chef formé dans le bain baroque, initié aux lectures historiquement informées, nous assène un Massenet lourd et « pompier », trop lisse et prévisible, parfois schématique voire caricatural, si approximatif et sans… poésie. Au disque, la version Gergiev (récemment éditée en mars 2012) est orchestralement bien plus passionnante. En dépit des insuffisances de l’orchestre, la tenue souveraine de l’immense José Van Dam, le concours du trio qu’il forme avec ses partenaires les plus proches (Sancho, Dulcinée), accréditent largement le présent enregistrement en dvd.
Jules Massenet (1842-1912): Don Quichotte. Comédie-héroïque en 5 actes. Livret d’Henri Cain, d’après Le Chevalier de la Longue Figure de Jacques Le Lorrain (1904, d’après Miguel de Cervantes, créé le 19 février 1910 à l’Opéra de Monte-Carlo. José Van Dam (Don Quichotte), Silvia Tro Santafé (Dulcinée), Werner Van Mechelen (Sancho Panza). Orchestre symphonique et choeurs de la Monnaie. Marc Minkowski, direction. Laurent Pelly, mise en scène. Enregistrement réalisé en mai 2012 à Bruxelles.
