
William Christie tel qu’en lui-même… la musique baroque et ici « le geste baroque » le rendent vivant et passionnant à la tête de ses Arts Florissants, si bien nommés qui entre New York et Paris, défendent avec quelle flamme et avant toute chose, la passion de la musique baroque.
Déjà le choix si pertinent des grands motets de Mondonville en ouverture (pour le générique de ce biodoc) se révèle accrocheur: à New York, le grand Bill, né à Buffalo (état de New York) apprend au public à aimer comme lui Rameau, Lully, et tant d’autres compositeurs français.
L’Américain de Buffalo qui parlait baroque
L’enfance à Bufffalo (2è plus grande ville de l’état de New York) sous la tutelle de son arrière grand mère, mélomane originale, de sa mère, qui dirige un petit choeur et lui apprend tout d’abord le piano. Le petit Bill apprend tout d’abord à écouter la musique française (Couperin: les leçons de ténèbres) par le disque… devient curieux de sensualité musicale. Dévore les livres, se passionne pour les reportages illustrés du National Geographic, en particulier quand il s’agissait de découvrir les peintures des grands musées européens. Laura Calsy, son professeur de piano l’initie à la musique, cultive son tempérament distinctif: une soif d’apprendre, une rage d’approfondir.
Fasciné par la voix humaine et le chant, William Christie s’intéresse à l’opéra et à la musique vocale sacrée.
Séances de répétitions avec Max Emanuel Cencic et Philippe Jaroussky (Cantate à deux de Conti) et conversation pendant un repas avec ce dernier: William Christie, aristocrate du baroque, avec son anglais si british, assume son côté saltimbanque, apprécie la collégialité des interprètes baroqueux entre eux…
Extraits si poétiques et doux, d’une caressante nostalgie des Indes Galantes de Rameau… tout indique cette sonorité opulente, éloquente, flamboyante et si coulante des Arts Florissants aujourd’hui, première phalange au dessus de tant d’autres ensembles… Révélation du Dialogue des 3 grâces de Michel Lambert, précurseur de Lully…
Travail linguistique sur le français car chanter le français c’est aussi transmettre la musicalité spécifique de la langue de Rameau... accentuer, renforcer la vigueur de la parole, accrocher et projeter la dynamique des consonnes… voilà un travail qui n’a pas perdu sa pertinence.
Le pédagogue aime expliquer, transmettre, et conduire les ex disciples devenues stars actuelles de la musique baroque: les Reyne, Minkowski, Niquet, Rousset …
Le chef et l’homme se livrent avec pudeur mais sincérité (il évoque même les émois de son identité sexuelle)… il explique son rapport à la musique et souligne combien l’enseignement à Yale de Ralph Kirkpatrick, pédagogue et claveciniste, a été décisif: passionné par le clavecin, il sera défenseur des répertoires oubliés de la France des 17è et 18è. Christie apprend de son maître que la beauté de la musique vient de sa base linguistique: la vraie musicalité vient de l’articulation verbale. Immense révélation et depuis clé de voûte de son approche: comment jouer Couperin sans connaître la syntaxe de la langue française?
L’américain Christie a le dégoût de la guerre de Vietnam d’autant que son frère revient détruit du conflit; convaincu de l’inutilité de la guerre, Bill quitte les Etats Unis pour l’Europe: le vrai univers de Christie serait moins son jardin français que dans le bocage recomposé de Rameau: ivresse caressante d’une utopie musicale.
En Vendée, Christie achète et habite une maison abandonnée pour y bâtir son îlot, un refuge qui est aussi un lieu de ressourcement, en créateur paysager car le jardin est aussi essentiel que le bâtiment: les jardins comme la musique sont rajeunis, rafraîchis, restaurés… La France depuis 1970, est cette nouvelle scène où s’élabore son projet musical. D’autant moins accepté qu’il s’agit aussi d’un vent nouveau dans le sillon de mai 1968. Ainsi naissent Les Arts Florissants en 1979, car Christie, de nature collégiale et associative, refuse une carrière de soliste récitaliste. L’opéra de Charpentier pour la Duchesse de Guise, Les Arts Florissants, devient l’emblème de ce projet défricheur. Aux côtés de Christie, Dominique Visse, déluré, original suscite les soupçons des gendarmes qui parlent alors de secte!
De la baguette à la cuisine, le chef sait aussi manier poiles et cocotons, marmites et couverts: il aime les haricots qui nagent dans le beurre, le boudin…
A Versailles pour le sommet des pays industrialisés (1982), devant les présidents Mitterand et Reagan, les Arts Florisants osent interpréter le théâtre français baroque… Atys (1987) consacre la pertinence de leur approche.
Contre le réchauffé et le ringard, la musique ancienne reprend ses droits sur la scène vivante: Stéphanie d’Oustrac chante Cybèle dans Atys, reprise 2011. Christie parle de son feu tragique, son actualité expressive pour toutes les générations de toutes les époques. L’interprète avoue son amour du chanteur, être fragile auquel il faut adresser des signes d’encouragement, qu’il faut accompagner dans sa respiration…
Au final, si l’homme a souffert de sa solitude, les 30 ans de métier et de vie musicale l’ont totalement comblé. Au-delà de l’inimaginable. Très beau portrait où c’est surtout la parole du musicien qui s’expose avec précision, classe, générosité.
William Christie
biographie
France 5, Empreintes
les 2 mars 2012 à 21h30
puis dimanche 4 mars 2012 à 7h55