jeudi 18 avril 2024

Wagner: Lohengrin (Kaufmann, Nagano, 2009) 2 dvd Decca. Munich, juillet 2009

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Munich, juillet 2009: encore une production très critiquée par sa mise en scène (si peu provocante au final, et même sans souffle ni pertinence). Wagner continue d’attiser les braises de la discorde: à croire qu’on souhaite toujours voir sur scène, la représentation décorative d’un Moyen Age sage et accessoirisé… Or ici comme à Bayreuth, la tradition wagnérienne est de longue date appréciée par le public qui s’entend à crier dès qu’on lui assène une scénographie trop « actuelle ». Evidemment, l’onirisme et la féerie qui sont constitutifs de la partition sont définitivement absents: la scénographie de Richard Jones est froide, industrielle. Autant il est légitime d’applaudir des lectures cyniques, mordantes, réalistes dans le Ring, autant pour les grands opéras romantiques wagnériens (Le Vaisseau, Tannhäuser et donc Lohengrin) où l’idéal chevaleresque est tellement présent, on doit préserver un certain idéalisme, tout au moins un esthétisme visuel… or ici, la vision est aussi humaine et magique qu’un hangar d’aéroport.
Elsa est une manuelle en salopette d’atelier… qui ne rêve que de faire construire la maison qui abritera son foyer: projet « petit bourgeois » dans lequel Lohengrin, son chevalier, nouveau héros devenu maçon, n’hésite pas à manier truelle et pinceau… Les admirateurs de romantisme chevaleresque seront déçus dans une vision qui semble faire la satire de ce projet familial plutôt étriqué. Les vrais surprises de cette production munichoise ne viennent pas de sa réalisation visuelle (d’autant que la direction d’acteurs est quasi nulle), mais des voix: les hommes dominent le plateau par leurs caractères et la forte caractérisation de leurs personnages.


Kaufmann, maçon convaincant

Dans le sillon de son cycle schubertien la Belle Meunière (qu’il chantera d’ailleurs à Paris fin 2010), le diseur Jonas Kaufmann incarne ici son premier Lohengrin (prise de rôle) humain, vaillant, divin trop divin et terriblement en place: il avait donné une avant-première de ses capacités vocales dans un autre précédent disque édité par Decca (« Jonas Kaufmann: Sehnsucht », 1 cd Decca) dans lequel il s’essayait non sans portée et suprême hauteur au récit du Graal. C’est Bayreuth 2010 qui lui permettra de reprendre le rôle et peut-être de l’approfondir encore dans une mise en scène plus onirique, souhaitons-le…

Antithèse du Lohengrin lumineux et angélique de Klaus Florian Voigt, son contemporain, Jonas Kaufmann éblouit cependant, tout autant par ce feu qui sommeille, une tension souple et colorée, qui porte constamment le souci du texte: la musicalité, l’homogénéité du timbre, la puissance et la largeur de l’émission sur toute l’étendue de la tessiture imposent son incarnation. D’autant que la mise en scène n’apporte aucune magie. Le chanteur est maître de ses possibilités, l’acteur tout à fait à l’aise offrant une approche psychologique au chevalier descendu du ciel (d’où son tee-shirt bleu clair). Dans le récit du Graal et la révélation de son identité, Kaufmann sait exprimer la déchirure et l’échec avec une force de conviction admirable: l’immortel qui avait pu s’établir parmi les hommes, doit s’en retirer: avoir choisi Elsa est au final une erreur qu’il paie lourdement. La fiancée était trop fragile, trop frêle face au venin du soupçon distillé par Ortrud.

Le couple Elsa/Lohengrin s’affirme gagnant au fur et à mesure de l’action: aux côtés du feu Kaufmann, Anja Harteros possède une voix solide, assez froide mais déterminée (conception qui domine son personnage).

Le Telramund de Wolfgang Koch est soupçonneux, provocant, haineux (I); sa garde tombe dans le dévoilement du II où il se révèle réellement en sbire de son épouse, la noire et sombre, manipulatrice et vénéneuse Ortrud: Michaela Schuster a la noirceur du personnage, l’oeil insidieux, la voix serpentine et large. Très convaincant Christof Fischesser pour le roi Henri; même approbation pour le héraut de Evgueny Nikitin.

Dans la fosse, Kent Nagano se cherche dans l’ouverture, soigne l’éclat des cuivres, manque souvent de profonde tendresse et de mystère dans une partition où s’étend le rêve d’Elsa contre la magie noire d’Ortrud. A voir pour le soleil sanguin et félin de Jonas Kaufmann qui réussit sa prise de rôle: divin immortel au début, l’être miraculeux devient humain aux accents blessés particulièrement investis à la fin; c’est déchiré et amer qu’il rejoint le ciel d’où il est venu. Triste apothéose mais personnage captivant.

Richard Wagner (1813-1883): Lohengrin, opéra romantique en trois actes. Heinrich der Vogler, Christof Fischesser. Lohengrin, Jonas Kaufmann. Elsa von Brabant, Anja Harteros. Friedrich von Telramund, Wolfgang Koch. Ortrud, Michaela Schuster. Un héraut, Evgueny Nikitin. Quatre nobles brabançons: Francesco Petrozzi, Kenneth Roberson, Christopher Magiera, Igor Bakan. Quatre écuyers, solistes du chœur d’enfants de Tölz. Chor der Bayerischen Staatsoper (chef de chœur: Andrés Máspero). Das Bayerisches Staatsorchester. Kent Nagano, direction. Richard Jones, mise en scène.

Illustration: Jonas Kaufmann et Anja Harteros (Acte I: l’apparition du chevalier Lohengrin à l’acte I)

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