mercredi 9 juillet 2025

Vogel: La Toison d’or, 1786. RecréationNuremberg, Staatstheater. Jeudi 26 juillet 2012, 20h

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Johann Christoph Vogel

La Toison d’or, 1786

Nuremberg,Staatstheater
Jeudi 26 juillet 2012, 20h

Malgré sa courte existence le nurembergeois Johann Christoph Vogel (décédé subitement à Paris, à 32 ans en 1788) laisse deux ouvrages lyriques d’une valeur suffisante pour marquer l’histoire de la tragédie lyrique francaise aux dernières heures du règne de Louis XVI.
Corniste doué, le jeune musicien s’installe à Paris à l’âge de 20 ans (1776), attiré par l’émulation artistique favorisée par la jeune reine de France, Marie-Antoinette.

Fils de Gluck

Vogel y découvre Alceste de Gluck (1776), jalon des succès du Chevalier comme auparavant Iphigenie en Aulide et Orphée et Eurydice. Le jeune musicien analyse non sans talent les ressorts et caractères esthétiques des opéras du Viennois. Place des chœurs, construction dramatique, sens pathétique, grandeur et accent tragique, écriture de l’orchestre, enchainement et intensité des tableaux et des scènes… Comment tout doit concourir sans digression ni déséquilibre à cette clarté sublime de l’action (à sa « marche » sans répétitions ennuyeuses…); ni surenchère vocale ni excroissance instrumentale ou chorale si elles ne servent l’éloquence immédiate du texte, le portrait incandescent des protagonistes, les enjeux et l’accomplissement de l’action.

Ainsi ses deux ouvrages, La Toison d’or (1786) puis Demophon (septembre 1789, créé après sa mort survenue en juin 1788) révèlent une grande maturité théâtrale distinguée par Antoine Dauvergne, directeur de l’Academie royale, toujours curieux des manières étrangères. C’est dans la suite dAmadis de Johann Christian Bach (1779) autre personnalité non française invitée à la Cour, une nouvelle étape décisive pour le renouvellement du genre lyrique officiel à la fin du XVIIIème siècle.

Vogel à Paris

Comme Salieri, Cherubini ou Grétry, Vogel, sollicité par Dauvergne participe au renouveau de la scène francaise, marquée alors comme en peinture (David) par les sujets néo classiques puisant dans l’antiquité et la mythologie, ses vertus régénérées… Ordre, mesure, clarté, équilibre auxquels les auteurs apportent une authenticité et une intensité inédite dans le portrait individuel des passions humaines: au souffle épique et héroïque, ils ajoutent aussi de remarquables figures émotionnellement fortes et saisissantes. Dans La Toison d’Or perce évidemment le profil sublime, humain, tragique de Médee supplantant ainsi Jason brossé avec moins de violence et de profondeur.

Après Eglé en un acte, encore inabouti, Vogel sait convaincre Dauvergne avec La Toison d’or. Dès les répétitions, tout le personnel, artistes et administratifs de l’Académie royale se passionnent pour cette nouveauté composée dans un genre neuf. Si le poème pêche en maints endroits, la musique, elle, saisit sans failles.
Porté par l’excellente mezzo Melle Maillard, le rôle de Médée a toute les chances de saisir les esprits. Dauvergne ne cache pas son enthousiasme pour le jeune trentenaire: il avait pensé à lui encore pour achever l’opéra laisse inachevé par la mort de Sacchini en décembre 1786.

Insuccès homicide

L’attente et les espoirs de Dauvergne sont importants car depuis 1784 (Les Danaïdes de Salieri) et La caravane du Caire de Grétry, les amateurs français attendent toujours le nouveau spectacle qui saura enfin les éblouir: gluckiste autoproclamé, Vogel et sa Toison d’or pourraient bien satisfaire les vœux du directeur Dauvergne.
Contre toute attente, malgré l’enthousiasme premier, La Toison d’Or tomba après seulement … 9 représentations, le 7 novembre 1786.
Même complétée par des ballets, la partition s’enlisa, y compris lors de sa reprise en juin 1788 (3 représentations sous le titre Médee à Colchos).
L’auteur porté sur la bouteille affecté par un insuccès qui se confirmait, n’en surviva pas. Bientôt Phèdre de Lemoyne et Les Horaces de Salieri reprendraient le flambeau de la lyre néoclassique, tournant la page de l’épisode Vogel à Paris.

Mais la carrière de l’Allemand ne s’arrête pas avec l’insuccès publique de La Toison d’or. Démophon, le second opéra de Vogel fut néanmoins créé en septembre 1789, au moment de la Révolution: l’ouvrage succède à l’opéra de Cherubini sur le même thème (nouvel échec pour l’Académie royale de musique), créé un an auparavant (1788). En 1789, Dauvergne trouvait l’avantage de réutiliser les décors de l’un pour pour assurer la création de l’autre. L’oeuvre suscita un vif succès (enfin), son ouverture fut même bissée. Elle marquait le triomphe des Allemands sur les Italiens. Vogel y rédigeait son fameux hommage à Gluck, témoignant de son admiration et de son analyse précise de l’écriture du Viennois lequel lui adressa des vifs encouragements, soulignant le talent dramatique naturel de son disciple.
L’écriture théâtrale de Vogel le place dans le sillon des Grétry (Andromaque, 1780), et Lemoyne (Electre, 1782). Certains critiques conservateurs (comme Grimm) ne goûtèrent pas l’esthétique passionnée où ils ne voyaient que « cris » à l’effet « étourdissant » et « pénible ».

Pourtant son écriture l’inscrit de façon indiscutable entre Gluck et Spontini: Vogel fait évoluer la tragédie lyrique vers un spectacle total repensé, ouvert désormais aux caractères romantiques à venir…

Modernité d’un spectacle total

Car en plus de ses qualités expressives voire spectaculaires, la partition de Vogel intègre l’avancée symphonique de l’école de Mannheim (et ce dès l’ouverture puis dans les ballets). Le compositeur rejoint en ce point la finesse et l’ampleur d’un Gossec.
L’orchestre ne cesse d’exprimer les tumultes intérieurs et l’itinéraire émotionnel du trio: Médée, Jason, Hisiphile.
Les invocations de la magicienne haineuse (comme la tempête qu’elle suscite au II), la prière d’Hisiphile, l’héroïsme exaspéré du guerrier offrent de sublimes effets paroxystiques et contrastés dont Vogel sait ciseler les arêtes et polir la courbe instrumentale avec une sensibilité toute gluckiste.

Encore présents, la magnificence évocatoire des décors (effondrement de Colchos, tableau surnaturel de la Sybille au début du III… par Pierre-Adrien Pâris)) compte toujours, mais dans une moindre mesure comparé à ce qui se passe dans la musique, par la voix des solistes et le chant des instruments.
A la frénésie, Vogel favorise le pathétique qui souligne l’impuissance tragique des héros. Moins de spectaculaire et de merveilleux, l’écriture sait surtout souffrir avec le profil d’individualités dont la musique explore de plus en plus tréfonds, vertiges, profondeurs lugubres.
Les interprètes de l’époque favorise ce trouble des comportements sombres, entre folie et hystérie, ainsi la Saint-Huberty, actrice et tragédienne née, et surtout sa rivale, Marie-Thérèse Davoux (1766-1818), dite Mademoiselle Maillard qui dans La Toison d’or incarne non sans génie, le personnage central de Médée. Jusqu’en 1810, avant « la Branchu » (à l’Empire), « la Maillard » est l’étoile du chant pathétique et tragique en France au tournant des deux siècles, entre classicisme et romantisme, véritable muse du théâtre néoclassique. L’ampleur de la tessiture et son impact scénique lui permet de réussir au théâtre, dans des emplois de mezzo-sopranos, aussi exigeant que Médée. Favorite de l’intendant des Menus plaisirs, Papillon de la Ferté, Melle Maillard ne tarda pas à connaître une carrière lyrique qui annonce les divas romantiques comme Pasta et Malibran. Encore à ses débuts en 1786, Maillard put subit les foudres de sa rivale la Saint-Huberty, ceux d’une cabale bien orchestrée, d’où l’insuccès de La Toison d’or...

Illustration: Médée par Waterhouse, 1907

Lire: Antoine Dauvergne par Benoît Dratwicki (Mardaga). L’oeuvre de Dauvergne pour l’opéra français au XVIIIè siècle…
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