mardi 29 avril 2025

Tours. Opéra, le 20 mars 2012. Mozart: Idomeneo, 1781. Yves Saelens, Sophie Marin-Degor… Jean-Yves Ossonce, direction. Alain Garichot, mise en scène

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Idomeneo à Tours

On connaît l’oeuvre scénographique d’Alain Garichot qui signait ici même un précédent Mozart, parfaitement lisible: La Clémence de Titus, (octobre 2009) allégé et sobre, visuellement efficace… avec entre autres un savant jeu de terrasses étagées et d’escaliers revisitant la leçon d’Adolphe Appia. Pour cet Idomeneo, même clarté épurée et sens du symbole (quoique parfois appuyé) où l’on ne voit pas les décors antiques habituels (ni colonnades ni frontons ni statues… ). L’idée d’un immense masque blanc (visage d’un Neptune inflexible) est intéressante; y ajouter des coulures ensanglantées reste plus anecdotique; puis, quand la voile du bateau descendant des cintres pour évoquer le naufrage d’Idomenée, se mêle à ce masque, le souci de simplicité visuelle disparaît au risque d’un encombrement imprévu… bien peu esthétique.

Pas de vagues marines donc en fond de scène car tout passe, et d’une bien souple manière, par l’orchestre. Une force instrumentale qui comme les choeurs, demeure omniprésente et d’une expressivité visionnaire. Agé de 25 ans, Mozart signe une partition marquée par le souffle et la tendresse: deux notions brillamment défendues par Jean-Yves Ossonce et ses musiciens. L’attention du chef reste permanente, veillant à la couleur instrumentale comme au flux dramatique conçu comme un arc tendu du début à la fin, sans omettre la singularité visionnaire d’un Mozart génial sur le plan théâtral (écoutez ici l’harmonie dissonante puis résolue des vents et des cuivres portant la voix de l’oracle au III: superbe instant de théâtre et de musique où de la fosse surgit une onde surnaturelle… la présence devenue tangible d’un dieu vorace jusque là invisible).

Jean-Yves Ossonce nous dévoile en quoi le jeune Mozart sait synthétiser les aboutissements de Gluck et de JC Bach: le salzbourgeois dépasse même ses aînés en y ajoutant, préromantisme à l’oeuvre, la couleur du sentiment et la vérité psychologique.
La mise en scène préserve toujours la lisibilité de l’intrigue; au-delà de son prétexte politique plutôt tendu: l’implacable loi des dieux qui exigent un sacrifice au roi de Crête Idoménée, y est particulièrement manifeste-, l’action est psychologique et c’est toute la modernité du jeune Wolfgang que de s’immiscer dans le cœur et l’esprit de chaque personnage dont il fait des individus en souffrance, impuissants, tiraillés, solitaires; dès le début de l’opéra, le spectateur est saisi par une galerie d’âmes éprouvées: Ilia, princesse troyenne, balance entre son amour pour Idamante, le prince crétois, malgré la rivalité qui persiste entre leur deux nations; Elettra, princesse grecque, amoureuse éconduite par l’objet de son désir, ce même Idamante; puis surgit le roi lui-même, Idomeneo, que l’on croyait mort, et qui sauvé d’un naufrage, doit sacrifier la première personne croisée: son propre fils, Idamante…
L’imbrication des individualités y est magistralement construite et l’intelligence des situations, comme la progression des caractères, sont l’aboutissement d’un travail précis du compositeur: Mozart lui-même, engagé pendant les répétitions pour la création munichoise de 1781, n’a pas hésité à corriger certains épisodes du livret de Varesco.
Tout cela fait un opéra captivant, dont le fil dramatique, alternant les scènes collectives avec choeur et tout l’orchestre, et les portraits intimistes de chaque individu annonce déjà… Verdi. Le superbe quatuor du III, préfigure par sa violence maîtrisée, bien des joyaux du romantisme italien.


Dramatisme préservé

Alain Garichot veille à l’intelligibilité des images émotionnelles, marquant avec efficacité le profil des personnages; rouge tragique et exultant jusqu’à la folie de l’éblouissante Elettra de Sophie Marin-Degor (vocalement engagée, dramatiquement superbe dans son premier et dernier air: la cantatrice qui avait chanté Thaïs de Massenet (octobre 2011) sur les même planches, offre tout au public avec une générosité tout autant aboutie: la justesse de son style sauve parfois certains aigus tirés mais la composition de l’actrice fait ici une Elettra scéniquement passionnante; en elle, coule l’acide et brûlante incantation des Atrides, leur impuissance délirante; c’est aussi la noblesse du roi Idomeneo, pressé comme dans un étau sous la loi de Neptune qui exige le sacrifice: Yves Saelens qui fut dans la production mozartienne précédente, un Titus de belle allure, incarne à l’inverse, la souffrance d’un père, condamné à verser le sang de sa progéniture: son grand air du II révèle toute le tiraillement du roi détruit émotionnellement: son vrai naufrage est intime car il doit tuer son fils…
Les deux chanteurs dominent la distribution; en particulier par la maîtrise de leur abattage vocal, leur superbe intelligence du texte, leur présence scénique. A leurs côtés, dans cet ouvrage où soufflent le vent tragique et l’exacerbation des passions humaines, les jeunes chanteurs peinent parfois dans l’articulation de l’italien mais leur engagement porté par le geste précis du chef, sauve la cohérence générale et la tension tragique qui ne cessent de jalonner l’action (l’attente des prêtes du temple, les tempêtes, le sacrifice qui va s’accomplir quand s’exprime la voix de Neptune in extremis …).

Avec Idomeneo, Mozart frappe un grand coup; la vraie mesure de son génie dramatique s’affirme nettement; et Alain Garichot outre la richesse des intrigues combinées, éclaire aussi, surtout, la relation du fils à son père, tissée d’admiration et d’incompréhension; Idamante/Wolfgang s’émancipe de la loi du père; en tuant le monstre suscité par Neptune, il remporte une ultime victoire, celle de sa liberté; quelques mois après la création d’Idomeneo, Mozart rompt son engagement avec son employeur, devenant ainsi le premier musicien indépendant de l’histoire. Il s’agit bien d’un ouvrage clé: l’expression d’un jeune créateur désormais maître de son art. Un accomplissement esthétique dont rend compte avec clarté et intégrité, la juste production présentée à Tours.

Tours. Opéra, le 20 mars 2012. Mozart: Idomeneo (Munich, 1781). Yves Saelens (Idomeneo), Sophie Marin-Degor (Elettra), Sabine Revault d’Allonnes (Ilia), Mireille Lebel (Idamante), Philippe Talbot (Arbace)… Orchestre Symphonique Région Centre Tours. Choeurs de l’Opéra de Tours (Emmanuel Trenque, direction). Jean-Yves Ossonce, direction. Alain Garichot, mise en scène.

Prochaines productions lyriques à Tours: La Bohème de Puccini (13, 15, 17 avril 2012), puis Macbeth de Verdi (nouvelle production: 11, 13, 15 mai 2012).

Illustrations pour Idomeneo: © François Berthon: Yves Saelens dans le rôle-titre d’Idoméne,Idomeneo; Sabine Revault d’Allonnes, Ilia
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