Barbier haut en couleurs
Dans la fosse, Vincent de Kort semble avoir parfaitement saisi l’écriture rossinienne, ses climats, ses crescendi et ses teintes. Son sens du rubato lui permet en outre de ciseler des phrasés caressants à l’orchestre et de laisser une grande liberté aux chanteurs. Seul le final du I paraît lui demander un temps d’adaptation, sa gestique aérienne ne lui servant plus, au profit d’une battue plus rythmique nécessaire à coordonner la folle partie d’horlogerie musicale.
L’Orchestre Symphonique Région-Centre Tours lui répond avec efficacité, offrant une belle sonorité, franche et pleine, corsée et légère à la fois.
La distribution réunie par la maison tourangelle se révèle majoritairement jeune et bien chantante, bien que parfois peu rompue à la virtuosité rossinienne.
Ainsi, si l’Almaviva du ténor argentin Manuel Nunez-Camelino révèle ses limites dans l’agilité, il enchante par un sens du phrasé et des nuances qui font de sa sérénade avec guitare « Se il mio nome », longuement ciselée en des phrasés infinis et des piani suspendus, l’un des grands moments de la représentation. Sa hauteur d’émission lui permet une belle facilité dans l’aigu et surtout le suraigu, concluant l’œuvre par un impressionnant contre-ré tout à fait inattendu. Par ailleurs excellent comédien, il incarne un hilarant Don Alonso, et sa vivacité scénique se marie parfaitement à la malice du Figaro de Pierre Doyen. Le baryton belge, qu’on retrouve une fois de plus avec plaisir, croque un barbier de très belle qualité. Malgré un italien perfectible et un accent français qui fait regretter qu’on n’ait pas monté, comme autrefois, la traduction française de l’œuvre – surtout avec une distribution aussi francophone –, le chanteur force le respect par la franchise de son émission, jamais grossie, l’impact de sa projection, la puissance de son instrument– qui le rendent parfaitement audible à travers les chœurs – ainsi que la vaillance de son aigu. Costumé comme un Papageno, il virevolte, tire les fils de l’intrigue, se révèle extrêmement attachant.
A leurs côtés, la Rosine de la française Romie Estève peine un peu à exister.
Alors que ses premières interventions, derrière son rideau, la laissaient supposer soprano léger par la candeur de sa voix, elle surprend dès son premier air par un grave sonore, très appuyé et poitriné très haut, alors que le reste de la tessiture, notamment l’aigu, semble en surpression, comme en témoigne son vibrato serré.
La colorature, en revanche, se déroule avec précision et une belle maîtrise, et la comédienne donne vie à une pupille espiègle, avide de liberté. Reste à savoir si cette jeune chanteuse n’est pas simplement un beau soprano qui s’ignore.
Chapeau bas pour le Basilio noble et inquiétant de Jean Teitgen, à la voix de granit, sombre et profonde, et pourtant à l’émission haute et claire, dans la lignée des grandes basses françaises. Sa Calomnie est à ce titre éloquente, gagnant en puissance dans un crescendo subtilement dosé – aidé en cela par le chef qui souligne à l’orchestre des détails de la partition et construit dans cet air un grand phrasé, et explosant dans des aigus larges et sonores, un vrai bonheur.
Doté d’une grande présence théâtrale, le Bartolo de Luciano Di Pasquale met le public dans sa poche par ses impayables mimiques et son jeu de scène plein d’humour. La voix, en revanche, sonne souvent grossie et engorgée, sauf dans quelques notes aigues à l’accroche impeccable apparue comme par magie, l’instrument sonnant alors dans tout son éclat. Mais on s’attendrit cependant beaucoup devant ce barbon tout en rondeurs et en bonhomie, vêtu comme un médecin de Molière, plus naïf que méchant. Sophie Fournier, quant à elle, apporte la touche finale à cet ensemble bariolé pour une Berta dépassée par les évènements qui font tourbillonner la maison.
Et c’est un public ravi qui salue avec enthousiasme cette représentation stimulante,… de celles qui donnent goût à l’Opéra.
Tours. Grand Théâtre, 7 avril 2013. Gioacchino Rossini : Il Barbiere di Siviglia. Livret de Cesare Sterbini. Avec Il Conte d’Almaviva : Manuel Nunez-Camelino ; Rosina : Romie Estèves ; Figaro : Pierre Doyen ; Bartolo : Luciano Di Pasquale ; Basilio : Jean Teitgen ; Berta : Sophie Fournier ; Fiorello : Yvan Sautejeau. Chœurs de l’Opéra de Tours. Orchestre Symphonique Région Centre-Tours. Vincent de Kort, direction musicale. Mise en scène : Gilles Bouillon. Dramaturgie : Bernard Pico ; Décors : Nathalie Holt ; Costumes : Marc Anselmi ; Lumières : Marc Delamézière ; Pianoforte : Emmanuel Trenque ; Chef de chant : Mathieu Le Levreur