humaine
Une nouvelle fois le TNT accueille un spectacle de la saison du
Capitole. La disposition de l’orchestre surélevé en fond de scène est
intelligente dans Erwartung et la Voix Humaine , tandis que les
cinq instrumentistes sont sur scène pour Pierrot Lunaire. La splendeur
de jeux des musiciens est entièrement magnifiée par cette double
disposition. La direction d’Alain Altinoglu est d’une rare élégance. Ce
chef est très habile à rendre lisible des partitions complexes et même
difficiles car très instables. Les instrumentistes sont
extraordinairement concentrés et la splendeur de son égale la précision
rythmique. Les nuances sont superbement rendues, les atmosphères variées
sont toujours innovantes et autorisent le spectateur à développer son
imagination. Quelles partitions ! Toutes leurs richesses ont ce soir été
offertes au public. Coté vocal Brigitte Pinter domine la redoutable
partie de la femme. La voix est longue et solide. L’homogénéité sur
toute la tessiture lui permet de ne jamais être en difficulté, même
lorsqu ‘ elle est confinée en fond de scène lors du passage le plus
dangereux. Le texte est superbement projeté et interprété avec la force
qui convient à ces outrances pathologiques assumées. La direction
d’acteur ne lui permet pas de faire vivre son personnage alors que l’on
devine l’actrice prête à tout donner, tant son engagement vocal est
grand. Concentré sur l’organisation des mouvements incessants de
danseurs qui mobilisent des pans de décors il ne restait probablement
plus d’idées à Christan Rizzo. On ne retrouve aucune théâtralité dans ce
monodrame pourtant si étrange et angoissant. C’est en fermant les yeux
qu’Erwatung prend toute son ampleur et que l’imagination peut se
déployer. Les yeux ouverts, tout l’univers se rétrécit. Une seule idée
pour toute cette multitude d’ambiances folles c’est bien peu…
Musicalement ce spectacle a été enthousiasmant mais si indigent
visuellement.
Pierrot Lunaire est fait de pure poésie et d’ambiances lunaires
tour à tour morbides, coquines et décalées dans la plus grande
instabilité. Anja Silvia s’implique dramatiquement comme à son habitude.
Son sprechgesang est solide et le texte est subtilement éclairé par une
diction parfaite. Une improbable créature à plumes gesticule derrière
et autour d’elle. L’effet est intéressant au début mais bien faible face
à une poésie et une musique si riche en surprises. Les solistes sont
admirables de présence et leur musicalité fait des merveilles. Sandrine
Tilly au picolo et la flûte, Jean Claude Descamps aux clarinettes,
Malcolm Stewart au violon, Bruno Dubarry à l’alto, Sarah Iancu au
violoncelle et Jean-Marie Cottet au piano, tous méritent d’être cités.
La direction d’Alain Altinoglu allie précision et poésie fantasque.
Dans la Voix Humaine, le drame est incandescent grâce à la
superbe incarnation tant vocale que scénique de Stéphanie d’Oustrac. La
voix est longue et semble facile se jouant des terribles difficultés
semées par Poulenc. Les aigus sont admirablement projetés et rayonnent
sans effort. La beauté de la voix est présente dans tous les registres.
Le texte si fort de Cocteau est défendu avec passion. Le personnage est
désarmant, bouleversant et agaçant à souhait. Une incarnation grandiose
pour Stéphanie d’Oustrac ! Cette fois les danseurs sont troqués pour des
déménageurs. Même idée que dans Erwartung, l’univers mental de
l’héroïne se rétrécit, on avait compris….. Que la force de la musique
aurait été encore plus dramatique avec moins de monde sur scène ou juste
à la fin. La fatigue de ces mouvements inutiles envahie les yeux,
distrait du jeu admirable de Stéphanie d’Oustrac. Et quelles sonorités
Alain Altinoglu obtient de l’orchestre ! Poulenc était fier de son
orchestration. Ce soir tout a été parfaitement en place, et finement
nuancé. Une interprétation qui fera date !
Durant les trois spectacles les lumières de Caty Olive ont un rôle
prépondérant. Elles sont très intelligemment réglées afin d’ouvrir un
peu sur l’imaginaire.
Les très nombreux centres d’intérêts de Christian Rizzo ne lui
laisseront probablement pas le temps de revenir à une tentative de mise
en scène d’ouvrages lyriques. Après cet essai déplorable, ce n’est pas
bien grave. Son peu de confiance dans les partitions, les livrets et les
capacités théâtrales des chanteurs ne laissent pas présager un
quelconque avenir enviable pour le public qui n’aime pas être en reste
visuellement.
Toulouse. TNT (Théâtre national de Toulouse). 19 mars 2010. Arnold
Schönberg ( 1874-1951) : Erwartung, monodrame en un acte, op.17 ; Pierrot
Lunaire, trois fois sept poèmes pour récitant et cinq
instrumentistes ; Françis Poulenc (1899-1963) : La voix humaine,
tragédie en un acte sur un texte de Jean Cocteau. Brigitte Pinter, une
femme ; Anja Silja, récitante ; Stéphanie d’ Oustrac, Elle ; Mise en
scène, chorégraphie et costumes : Christian Rizzo ; Scénographie :
Frédéric Casanova ; Scénographie lumières : Caty Olive ; Orchestre
National du Capitole de Toulouse ; Direction : Alain Altinoglu.
Illustration: Stéphanie d’Oustrac © P.Nin