vendredi 19 avril 2024

Toulouse. Théâtre du Casino Barrière. 19 février 2010. Gioacchino Rossini (1792-1868) : Le voyage à Reims ou l’Hôtel du Lys d’Or. Orchestre National du Capitole de Toulouse. Luciano Acoccella, direction.

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Le beau voyage

Un projet intelligent et généreux. Le Centre Français de Promotion Lyrique (CFML) et le concours Voix Nouvelles se sont associés pour organiser l’itinérance joyeuse d’un spectacle réjouissant à plus d’un titre. Ce coup de pouce auprès des jeunes chanteurs est très réconfortant et la santé vocale et l’excellente préparation des chanteurs permettent au public de déguster toutes les saveurs d’un opéra de Rossini rare et plein d’esprit. Heureuse conjonction d’initiatives qui va permettre à de nombreuses maisons d’opéra européennes d’offrir à leur public un spectacle parfaitement abouti pouvant rivaliser avec les plus belles productions lyriques sans la moindre hésitation.
Cet opéra est très rarement donné en raison non de son action fantasque du plus grand statisme imaginable mais parce qu’il nécessite une distribution de 14 chanteurs de premier plan. Et les exigences vocales du cygne de Pesaro sont on ne peut plus folles ici. Car ce ne sont pas seulement les airs qui sont diaboliques, mais les duos et ensembles dont une pièce concertante a capella singeant le concertato dramatique de l’opéra seria mais terriblement difficile car ici à 14 voix !

Une mise en scène d’une rare élégance

Cette histoire grotesque qui voit une compagnie distinguée et cosmopolite retardée dans son projet de départ pour le Sacre de Charles X ne contient comme intrigue que des chassés croisés amoureux et des manifestations d’hystérie pas seulement féminines car les hommes ne sont pas en reste. La mise en scène est d’une totale efficacité offrant à chacun de se mettre en valeur dans ses airs tout en proposant des vrais moments de comique dans les duos et ensembles. Le chœur est très bien utilisé avec des jeux très intelligents évitant toute lassitude. Le pari de la jeunesse paye et la beauté physique des jeunes chanteurs, leur aisance scénique est stupéfiante. On sent un travail approfondi et bien rodé alors que la distribution n’est pas la même tous les soirs sauf en ce qui concerne les rôles « plus modestes ». Les gags sont finement mis en scène, le goût est exquis, on frôle l’excès, mais on n’y tombe jamais. Du grand art car on ne s’ennuie pas un instant et le rythme est soutenu. Les décors sont simples, blanc et bleu, astucieux et magnifiés par des éclairages plein de surprises. Un plateau tournant central est utilisé avec intelligence et humour sans devenir lassant. L’histoire tourne sur elle-même mais le charme fonctionne avec cette mise en abyme de la situation ronronnante qui devient comique. Les costumes sont colorés et très élégants, même le maillot de bain du Cavalier Belfiore passée la première surprise. Les robes des dames permettent de beaux effets et caractérisent finement leur propension à tenir le devant de la scène à tout prix. Dans l’art du paraître il n’y a ici que des réussites mais aucun vainqueur définitif !

Distribution internationale époustouflante

Coté musical, la jeunesse des interprètes n’est jamais un handicap. On reste stupéfait par cette virtuosité acquise et totalement assumée et cette précision dans les ensembles sans parler du plaisir à chanter et jouer sans effort perceptible. Certes il n’est pas possible de parler de chacun comme il conviendrait sans lasser aussi nous dirons qu’ils sont, et le compliment est de poids, tous d’excellents musiciens et pas seulement des chanteurs virtuoses. Le jeux est collectif et porte chacun dans les épreuves d’airs d’une terrible difficulté. Heureuse époque ou le chant rossinien est appris et exporté depuis des pays aussi éloignés que la Corée ! La distribution de ce soir nous offre en Corinna, superbe mijaurée qui sait rester au centre de l’attention du public par une fausse modestie irrésistible, Gabrielle Philipponet. Le timbre est intéressant par une belle qualité à prendre des couleurs tendres ou acides. Les nuances exquises exigées par le rôle sont rendues avec naturel. Jose Maria Lo Monaco possède un superbe mezzo qui pourra aborder tous les grands rôles rossinien. La qualité des harmoniques promet des superbes prises de rôles comiques comme tragiques, car sa Marquise Melibea a beaucoup de présence scénique et vocale. Elena Gorshunova est une Comtesse de Folleville très extravertie sachant tirer avantage de sa grande scène de deuil pour ses robes et la joie de retrouver son chapeau, pour imposer un beau tempérament dramatique et vocal. Yun Jung Choi arrive à faire totalement oublier son origine asiatique tant elle semble à l’aise avec une émission franche et ouverte. Reste que dans les perfides mots prestissimo elle perd encore trop de volume sonore pour passer l’orchestre, mais quelle aisance ! Dominique Moralez est un bellâtre parfait à la fois suffisant et irrésistible comme l’exige son rôle de Belfiore. La voix est bien conduite et les vocalises parfaitement en place, dans le duo avec Corinna il fait merveille. Quelle trouvaille que cette rencontre et cette tentative de séduction dans une salle de massage, avec un tel maillot de bain ! Jud Perry en Conte de Libensdorf a un timbre un peu ingrat mais son grand art du chant lui permet d’espérer de bien beaux rôles, y compris rossiniens, dans le sillage de Rockwell Blake. Shadi Torbey en Lord Sidney surprend par une taille de voix inhabituelle dans Rossini. La maîtrise d’un tel instrument n’est pas encore parfaite mais que de promesses ! Et les vocalises ne lui causent aucun souci. Marco di Sapia en Don Profondo, renouvelle l’air qui a appartenu à Ruggero Raimondi. Comme lui il a l’italianité des paroles gourmandes et la rondeur de voix. Il colore à l’envie son air-catalogue et a une pointe d’humour bien agréable, sorte de distanciation qui rend le personnage plus vraisemblable. Nous arrêterons là notre catalogue de chanteurs de peur de lasser le lecteur. On ne peut qu’engager ceux qui verront passer cette production (bientôt Bordeaux) à y courir pour passer un très bon moment. Le soin avec lequel la distribution a été faite mérite tous les éloges. Si les opéras ne peuvent plus entretenir de troupes depuis longtemps cette manière de troupe itinérante et mutualisée est une idée merveilleuse. Elle mérite de se renouveler tant la réalisation est magnifique et fait plaisir dans tous les théâtres coproducteurs.

Un vrai maestro di scena

Le dernier mot sera pour l’admirable direction de Luciano Acoccella, l’un des deux chefs choisis pour mener à bien le projet. Il est précis et souple et sait prendre à bras le corps tout son monde pour des ensembles époustouflants de rigueur. Très proche des chanteurs, il leur laisse ce qu’il faut de liberté pour interpréter leurs airs. Voici un très bon chef de scène et de plus rossinien de talent. L’orchestre est excellent, léger et vif, capable de très belles nuances et de soli (flûte, harpe) très réussis. C’est d’autant plus réconfortant qu’il s’agissait de nombreux supplémentaires. La aussi la jeune génération est porteuse d’espoirs. L’acoustique de la magnifique salle du Théâtre du Casino Barrière permet d’envisager d’autres opéras in loco. D’autant que la scène et la fausse (ainsi que les fauteuils !) sont très confortables….

Toulouse. Théâtre du Casino Barrière. 19 février 2010. Gioacchino Rossini (1792-1868) : Le voyage à Reims ou l’Hôtel du Lys d’Or. Drama giocoso en un acte sur un livret de Luigi Balocchi crée le 19 juin 1825 au Théâtre des Italiens de Paris. Avec Corinna, Gabrielle Philiponet ; La Marquise Melibea, José Maria Lo Monaco ; La Comtesse de Folleville, Elena Gorshunova ; Madame Cortese, Yun Jung Choi ; Le chevalier Belfiore, Dominique Moralez ; Le Comte de Libenskof, Jud Perry ; Lord Sidney, Shadi Torbey ; Don Profondo, Marco di Sapia ; Le Baron de Trombonok, Marc Labonnette ; Don Alvaro, Dong Il Jang ; Don Prudenzio, Chul Jun Kim ; Don Luigino, Jean-Christophe Born ; Delia, Céline Kot ; Maddalena, Ekaterina Metlova ; Modestina, Rany Boechat ; Zefirino, Baltazar Zuniga ; Antonio, Yann Toussaint ; Gelsomino, Romain Pascal ; Mise en scène, Nicola Berloffa ; Décors et costumes, Guia Buzzi ; Lumières, Fiammetta Baldiserri. Orchestre National du Capitole de Toulouse ; Chœurs du Capitole, direction Alfonso Caiani ; Direction musicale, Luciano Acoccella.

Illustration: © P.Nin

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