samedi 20 avril 2024

Toulouse. Théâtre du Capitole, le 4 novembre 2011. Zygmunt Krauze (né en 1938) : Polieukt, Jan Jakub Monowid. Sinfonietta de Varsovie. Ruben Sylva, direction. Jorge Lavelli, mise en scène

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Création à Toulouse du Polieukt de Lavelli

Il n’est vraiment pas fréquent à l’opéra qu’un compositeur vienne saluer à la fin de la représentation et de plus bénéficie de la reconnaissance chaleureuse du public. Frédéric Chambert qui dirige la maison du Capitole depuis deux saisons assume son respect du public en alternant grands ouvrages du répertoire, souvenons nous de cette admirable Tosca il y a peu, et des ouvrages rares voir inconnus, comme ce Polieukt venu de Varsovie où il a été crée il y a tout juste un an. Grâce à un surtitrage d’une grande qualité, il a été possible de suivre parfaitement cet opéra chanté en Polonais, langue peu lyrique. L’intrigue n’a pas non plus de complexes rebondissements. C’est d’ailleurs le premier écueil de la partition, mais ici est-il évité de justesse ? Cette tragédie de Corneille, pourtant écourtée à moins d’une heure et demie, tient bien d’avantage de l’oratorio que du genre opéra. La fin est ici abrupte et le dernier chœur semble un peu naïf qui prône la tolérance juste après une mise à mort. La mise en scène de Jorge Lavelli est bien sage. Lui que l’on a connu plus audacieux, par exemple dans son Faust parisien qui a duré 30 ans et vient à peine d’être remplacé le mois dernier. Reprenant un peu les mêmes idées vues dans son Simon Boccanegra toulousain en 2009.

Les personnages sont entièrement maquillé de blanc, corps compris, à la fois tous pareils en apparence et chacun porteur d’une infime différence, même pour les chœurs. L’élégance et la beauté des gestes est primordiale. Cette distanciation fait que le drame ne prend pas vraiment. Ce qui pourrait passer pour une audace, l’amour homosexuel entre Néarque et Polyeucte, en raison de la prudence du jeu des acteurs ne fonctionne pas comme un catalyseur. Sans surprise, cela fait un peu penser à un quasi-vaudeville mettant en scène un homme épris de sa femme comme de son amant et ne voulant perdre personne, préfère la mort, en héros peu crédible. La religion n’est qu’un moyen de briller aux yeux de son amant et une manière de s’opposer aux esprits conventionnels. La réflexion profonde, et le combat moral sont secondaires.

En gardant le silence sur sa vie privée tant amoureuse que religieuse, Polyeucte n’aurait pas de soucis plus graves qu’un névrosé moyen acceptant de vivre avec l’ambivalence de ses désirs. L’intrigue donc ne retient pas l’attention et c’est la ligne vocale des divers rôles qui séduit l’oreille. C’est la plus belle qualité de composition développée par Zygmunt Krauze dans cet opéra. Les lignes vocales sont superbes pour tous les rôles mais tout particulièrement pour Polyeucte et Pauline. La scène de la prison de Polyeucte est au-dessus de tout. Les interventions de l’orchestre réservent des surprises en termes de couleurs : un accordéon, des percussions rares comme les marimbas. Les instrumentistes sont superbes de précision et de beauté sonore, mais semblent sous-employés. Leur utilisation est proche du soutient du premier baroque dans le recitar cantando. La Grande Guitare Verdienne, que d’aucuns moquent, paraissant bien plus dramatique et efficace que le statisme des accords à certains moments. Mais ne gâchons pas le miel de cet ouvrage, il n’est pas si fréquent de rencontrer une ligne de chant si belle et un orchestre qui jamais ne la couvre, surtout dans les opéras contemporains ! Car il y a eu de belles voix ce soir dans la distribution. Celles du chœur, admirablement préparé, ont été sous-exploitées. Porteur d’une belle stabilité et d’une homogénéité parfaite, un grand moment choral, tout particulièrement a Capella aurait été le bien venu, bien loin des ridicules onomatopées au temple, lors du baptême de Polyeucte…

Le chanteur le plus extraordinaire est le rôle éponyme. En Polyeucte, Jan Jakub Monowid est tout simplement sidérant. Sa voix de contre-ténor est corsée et puissante. La projection est si favorable que de côté ou de dos, la voix semble inépuisable. Le souffle est long et une telle homogénéité sur toute la tessiture est une qualité rarissime. L’engagement vocal est grand, mais les limites de la mise en scène ne permettent pas à la passion de gagner ses lettres de noblesse dans son jeu. Les autres chanteurs ne sont pas à cette hauteur, mais défendent leur partie avec efficacité. Les duos contre-ténor/ténor fonctionnent bien avec une séduction des timbres très complémentaire. En Néarque, le ténor Aleksander Kunach est très convainquant. Le timbre est lumineux et la voix facile. Par contre, la place de la voix dans le masque et le timbre très nasal de la soprano Marta Wylomanska, qui incarne Pauline, n’auront pas été au goût de tous, mais la technique de chant est admirable. Le personnage de Pauline, central chez Corneille, est ici affadi même si le jeu, la beauté et la classe de l’actrice en font un personnage qui compte. Felix, Andrzej Klimczak, tient en baryton-basse son rôle d’autorité mais sans éclat vocal particulier. De même que le Sévère de Artur Janda rôle très sacrifié lui aussi qui ne participe pas vraiment au drame. Au final c’est bien la voix du contre-ténor, Jan Jakub Monowid, qui sort rayonnante portant tout le charisme de cet anti- héros.

Les costumes sont blancs sauf pour Pauline et Felix qui arborent un rouge profond. Ils semblent assez passe partout, ne révélant ni lieu ni date. Les décors sont élégants, privilégiant laque noire, miroirs tendus et rideaux de perles en ouverture du plus bel effet. Cette production, au final assez légère, voyage bien et mérite de gagner d’autres scènes. Nos amis Polonais de l’Opéra de Chambre de Varsovie proposent là une réalisation harmonieuse qui fait honneur à leur histoire, comme à la tradition d’ouverture d’esprit d’une partie du public de Capitole.

Toulouse. Théâtre du Capitole, le 4 novembre 2011. Zygmunt Krauze (né en 1938) : Polieukt, opéra en cinq tableaux sur un livret d’Alicja Choinska et Jorge Lavelli d’après Polyeucte, martyr de Pierre Corneille, crée la 20 octobre 2010 à l’Opéra de Varsovie. Création française. Jorge Lavelli, mise en scène et lumière ; Marlena Skoneczko, dispositif scénique et costumes ; Dominique Poulange, collaboration artistique. Avec : Andrzej Klimczak, Feliks ; Jan Jakub Monowid, Polieukt ; Artur Janda, Sewer ; Aleksander Kunach, Neark ; Marta Wylomanska, Paulina ; Dorota Lachowicz, Stratonisa ; Dariusz Gorski, Albin ; Mateusz Zajdel, Fabian. Sinfonietta de Varsovie ; Ensemble des solistes de l’Opéra de chambre de Varsovie ; Direction : Ruben Sylva.

Illustration: ©JaroslawBudzynsk
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