dimanche 15 juin 2025

Toulouse. Musée Les Abattoirs. 12 septembre 2011. Sahar, Couperin, Bach, Frescobaldi, Haendel, Lachenmann… David Greilsammer, piano.

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Le deuxième Tableau-concert de piano aux Jacobins 2011 pourrait bien remporter la palme de l’audace et de l’intelligence. Il est très rare que dans un festival international, une carte blanche si généreuse soit offerte à un pianiste. David Greilsammer a le talent d’une parole déliée et facile, docte et accessible. Il a présenté son programme avec une intelligence vive et une simplicité amicale.


La musique, un son qui pense

Le tableau, « Peinture », d’Akira Kanayama datant de 1959 est une huile sur toile diffusée par voiture téléguidée contrôlée par ordinateur. Cet enchevêtrement de lignes de couleurs vives pelotonnées que rien ne rattache à rien est assez discret. Mais visuellement tout semble déconstruit ici, de la peinture académique comme de toute idée d’école reconnaissable. Le programme musical reprend les fils sans débuts ni fins et musicalement les pièces s‘opposent ou se répondent sans suite apparemment logique. Mais la cohérence n’en sera que plus éclairante en fin de programme.
Dès la création mondiale de Sahar, compositeur présent dans la salle, nous devinons que le concert sera captivant. Cette pièce pose de plain-pied la question du rapport de la musique au son : son étouffé, résonant ou répété, son médium, aigu ou grave, son unique, sons différents sur une note unique, accord de sons ou brouillage/confusion des sons. Tout ici semble nous démontrer que la musique n’est qu’une construction sur des sons, sur le silence lui-même qui devient un son comme un autre après la disparition de la plus infime résonance. C’est la structure, voire l’essence même de ce qui constitue la musique qui sont ici questionnées.

Le passage abrupt vers les compositeurs baroques va déplier le son en ses innombrables possibilités. La musique en sa complexité se construit clairement sur le son. Mais là où le piano romantique a habitué l’auditeur à l’alliance des sons en accord pour faire une note, le clavecin des compositeurs baroques impose une toute autre logique : celle de ne pouvoir faire des nuances qu’en ajoutant ou retirant des notes, celle de faire des notes pour produire un son. L’interprétation au piano de ces œuvres baroques devient alors l’exploration de ce procédé et des effets qu’il induit : rencontre fortuites de notes, dissonances volontaire faisant claquer le son de l’instrument. Et quel autre instrument que le piano, le roi des instruments, peut mieux servir ce propos. Le son du piano est immédiat, stable et à disposition totale des doigts. Tout lui semble permis.
David Greilsammer ne cherche pas à gommer ces effets ; sans jamais transiger sur la partition, il exploite avec force et intelligence cette richesse sonore de la musique.

La manière dont David Greilsammer garde le tactus à la basse et laisse voler librement abbelimenti et décorations au-dessus de la ligne chantée, prouvant sa parfaite familiarité avec le monde baroque. Les rencontres de hasard entre des notes produisent cette délicieuse irritation des sens que l’interprète renforce. La musique naît des sons, bien plus que des notes. Cette radicalité remet à sa place le piano qui s’écoute et s’admire tout comme le clavecin qui peut ferrailler gracilement et même minauder sous certaines mains. Il y a tant de musique sous les doigts rigoureux et habiles de David Greilsammer que les pièces s’enchaînement avec gourmandise sans que rien ne nous retienne, ni compositeur, ni question de style, et surtout pas question de technique pianistique. Tout est musique, l’interprétation se soumet à cette évidence. Les deux autres pièces de musique contemporaine passent comme dans un rêve. L’enchaînement entre baroque et contemporain accentue le trouble naissant de cette forme d’inquiétante étrangeté qui nous ouvre les portes vers notre monde intime, laissant l’âme vagabonder sans chercher à reconnaître ce qu’ elle entend. David Greilsammer est un grand musicien, qui sait utiliser toutes les ficelles du piano, mais jamais n’écoute les notes pour elles-mêmes. Il semble pouvoir jouer ce qu’il veut, comme il veut. Le piano des effets, comme le clavecin cliquant, sont oubliés. Tout sert le compositeur dans sa dimension mythique, surhumaine… Jusqu’au geste élégant du pianiste, qui lance les partitions à ses pieds, après les avoir regardées avec concentration. Le geste graphique du compositeur est ainsi remis à l’honneur. Car c’est cet acte créateur qui fabrique le son à partir d’encre et de papier qui inspire au pianiste son jeu.

L’intelligence de ce programme, la mâle assurance de la démonstration, l’audace tranquille et la force de persuasion font de David Greilsammer un pianiste de la séduction par l’intellect.
On peut remercier les organisateurs de ce festival qui laissent un artiste de cette trempe proposer une soirée si riche en réflexions et en rencontres. Le final avec une irrésistible pièce de Rameau, rend au dijonnais sa place première parmi les orchestrateurs de génie, qui calcule ses effets harmoniques en leur richesse enthousiasmante. Le piano royal de David Greilsammer d’une richesse de sons et de nuances incroyables, semble diffuser la musique dans le cosmos, provoquant un effet enthousiasmant, après les moments d’ascèse vécus.

Afin de rendre le plus bel hommage qui soit à la musique, le choix de Schumann pour le bis le remet au centre de la création en ses oppositions complémentaires si riches de sens.

David Greilsammer évacue la question de la virtuosité, des notes frivoles et des effets pianistiques avec cette mise en valeur si particulière du son. La Musique en sort grandie et le spectateur aussi.
Hubert Stoecklin

Toulouse. Musée Les Abattoirs, le 12 septembre 2011. SAHAR : Création mondiale COUPERIN : Deuxième Livre, Sixième Ordre, « Les Barricades mystérieuses en si bémol mineur » ; BACH : L’art de la Fugue, Contrapunctus I ; FRESCOBALDI : Second livre de toccatas , Toccata en fa majeur ; FELDMAN : Piano Piece ; FROBERGER : Tombeau de Monsieur Blanche ; LACHENMANN. Wiegenmusik ; SCARLATTI : Sonate en la mineur K 175 ; HAENDEL : Suite n°18 en ré mineur HWV447 ; GIBBONS : Lord Samisbury’s pavan and gaillard ; RAMEAU : Troisième recueil : Nouvelles Suites de pièces de clavecin, Gavotte et doubles de la Gavotte ; David Greilsammer, piano.

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