Une flûte pour tous
L’orchestre est placé dans une fosse sous la structure aérienne. C’est clairement sur lui que tout repose. Claus Peter Flor poursuit sa longue collaboration mozartienne avec l’Orchestre National du Capitole de Toulouse. Il obtient de ces instrumentistes symphoniques des couleurs et des phrasés dignes des orchestres baroques. Flûtes visiblement en bois, mais peut être aussi cordes de boyau, en tout cas l’absence de vibrato des cordes leur confère une légèreté et une sonorité aérienne charmante. Le chef obtient un orchestre plein de couleurs, aux phrasés souples et aux accords harmoniques riches sans lourdeur. Les tempi de Claus Peter Flor sont vifs et son engagement lui permet de soutenir les chanteurs, vers qui il se tourne souvent, leur laissant tout le temps dont ils ont besoin pour délivrer les subtilités de leurs airs. Ainsi le duo Papageno-Pamina est une merveille de souplesse dansée, le récitatif d’entrée de la reine de la Nuit est d’une noblesse impressionnante. Il s’agit assurément d’un chef qui connaît et aime cette partition et ne cesse de se l’approprier afin de la partager.
Visuellement tous les chanteurs sont jeunes et beaux et les voix sont saines. La séduction venimeuse de la soprano Jane Archibald (photo ci-contre) en Reine de la Nuit est ensorcelante. Les suraigus sont ahurissants de précision et de justesse mais la richesse de la voix, sa beauté sur toute la tessiture et une technique parfaite lui permettent de briller et d’impressionner dans tous les instants, y compris les récitatifs. Elle réalise parfaitement les nombreux trilles dont la partition est remplie. La beauté de la femme subjugue et achève une magie d’une séduction totale. Tout à l’opposé Kristin Sigmundsson est un Sarastro probe et loyal. La voix sans être belle fait impression par sa couleur et sa profondeur, conduite par un art du chant souverain. Rachel Harnisch est une Pamina énergique et pleine de caractère. Sa longue élégie et sa douleur la conduisant à vouloir mourir n’en prennent que plus de poids, convoquant l’émotion des spectateurs. La beauté d’un timbre fruité et une belle projection en font une Pamina de rêve. Son art du légato est confondant. Eric Cuttler est un Tamino héroïque et délicat à la fois, véritable prince de conte de fées, l’élégance de l’acteur est à la hauteur de celle du chanteur doté d’une voix agréable sur toute la tessiture. Sa technique de voix mixte lui permet de garder constamment une élégance suprême sans jamais forcer. Rodion Pogossov est un Papageno bien chantant, avec une voix timbrée et souple. Il incarne un personnage irrésistible de simplicité humaine parfaitement équilibré entre chant et théâtre. Les trois dames et les deux hommes d’armes sont excellents, de même que la Papagena de Teresa Grabner et le Monostatos de Doug Jones.
Les chœurs sont policés et puissants à la fois, le travail d’Alfonso Caiani porte ses fruits, nuances et phrasés sont de plus en plus subtils.
Une Flûte enchantée qui a certainement convaincu de sa beauté, tant habitués des salles d’opéra que jeunes novices : décors, lumières, voix et musique admirablement mêlés dans une féerie réconfortante d’humanité amicale.
Toulouse. La Halle-Aux-Grains. 18 juin 2010. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Die Zauberflöte (1791). Livret d‘Emmanuel Schikaneder. Kristin Sigmundsson (Sarastro) ; Jane Archibald (La Reine de la Nuit) ; Rachel Harnisch (Pamina) ; Eric Cutler (Tamino) ; Rodion Pogossov (Papageno) ; Theresa Grabner (Papagena) ; Doug Jones (Monostatos). Mise en scène Nicolas Joel réalisée par Stéphane Roche ; Décors d’Emmanuelle Favre ; Lumières de Vinicio Cheli ; Costumes de Gérard Audier ; Orchestre National du Capitole de Toulouse ; Chœurs du Capitole, chef de chœur Alfonso Caiani ; Direction : Claus Peter Flor.
Illustration: Patrice Nin (DR)