lundi 28 avril 2025

Toulouse. Halle-aux-Grains, les 21 et 22 mars 2012. Ludwig van Beethoven, Mendelssohn, Ravel… Stefan Jackiw, violon ; Chœur Archipels ; Rotterdam Philharmonic Orchestra. Yannick Nézet-Séguin, direction.

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Yannick Nézet-Séguin enflamme Toulouse

Pour fêter le printemps, les Grands Interprètes ont offert deux beaux concerts aux toulousains. Le Rotterdam Philharmonic Orchestra et son chef d’origine canadienne : le bouillonnant Yannick Nézet-Séguin, se sont associés pour un soir au violoniste surdoué Stefan Jackiw âgé de seulement 26 ans; puis le lendemain, au chœur Archipels dirigé par Joël Suhubiette.

Le premier soir, mercredi 21mars, a permis d’écouter la formation classique en formation resserrée avec contrebasses au fond, violoncelles de face à côté des premiers violons, puis alti et violons II, fermant le demi cercle sur la droite. Bois et cuivres disposés devant les contrebasses juste derrière le quatuor à cordes. Ce n’est pas le son de l’orchestre qui nous a subjugué, il était naturel, clair et sans accroche de timbres, parfois un peu sec ; un orchestre ductile, facile, capable de belles nuances et d’une certaine élégance.
L’ouverture des Créatures de Prométhée de Beethoven a offert une composition pittoresque et riche en contrastes qui a bien vite passé, laissant un souvenir fugitif. Le concerto pour violon N°2 de Mendelssohn a permis de découvrir un elfe du violon. Le son émacié, le geste d’une élégance constante et racée, les phrasés subtils de Stefan Jackiw permettent une lecture très stylée de la musique lyrique de Mendelssohn. Ce violon chante, est ému juste comme il convient, sans pathos, ni emphase. Le doux lyrisme et l’épanchement noble du jeune compositeur ami des fées, sont ainsi mis en valeur. L’accompagnement de Yannick Nézet-Séguin est tout en rythme fin et nuances délicates, peu être un peu trop sanguin. L’orchestre le suit comme un seul homme et les violoncelles forment un pupitre charmeur d’un lyrisme rare, vraies stars de l’orchestre pour ce soir.

Après le bis offrant un extrait d’une sonate de Bach, la deuxième partie du concert propose dans la même disposition la symphonie n°3 Eroïca de Beethoven. L’énergie du chef convient bien au premier mouvement. Précision du geste, audace des mouvements de tout le corps, l’engagement physique du chef fait merveille sur des musiciens qui semblent galvanisés. Le deuxième mouvement, la marche funèbre, a eu ce soir à Toulouse une profondeur particulière. Dans une allocution pleine de tact, Yannick Nézet-Séguin avait en ouverture de la soirée dédié le concert aux victimes des tristes événements toulousains, encore dans toutes les mémoires. Ce mouvement a été le plus apte à tenter une consolation par sa beauté triste. Le scherzo et le final ont ensuite fusé dans une virtuosité orchestrale assumée.

Ce concert en forme de hors d’œuvre a été suivi le lendemain par de plus vastes partitions. L’orchestre disposé symphoniquement de façon plus habituelle, avec contrebasses à droite et violoncelles juste devant, avait été copieusement enrichi afin de rendre justice aux deux plus grands orchestrateurs français du début du XXeme siècle.

La mer de Debussy est une partition aussi riche que simplement belle. La fluidité et la lumière ont diffusé avec générosité. Le chef dirigeant sans partition semblait composer sous nos yeux et pour nos oreilles des sculptures de sonorités riches et subtiles. Murmures à peine audibles du début, puissance du soleil de midi, jeux troubles des vagues et surtout dialogue amoureux mais vaillant du vent et de la mer ont enthousiasmé le public. Un tableau symphonique majeur rendu à sa pure beauté avec des rythmes tenus et des nuances richement ciselées.

Mais c’est la deuxième partie du concert qui a fait de la venue de ces artistes un moment rare. La force tellurique et animale à la fois émanant de la direction de Yannick Nézet-Séguin permet au ballet complet de Daphnis et Chloé de s’imposer. Aucune suite au concert ne nous sera plus jamais satisfaisante après une telle interprétation intégrale. Car c’est cette partition complète de Ravel avec chœurs qui s’impose comme un des plus beaux ballets du XXeme siècle. À nouveau, comme dans la mer debussyenne, c’est le mystère qui préside dès les premières mesures. La texture orchestrale et chorale mêlée produit un effet inclassable, fait de modernité et d’Antiquité éternelle. Le voyage dans la Grèce nouveau siècle de Ravel fonctionne à merveille. Le chef fait sienne cette riche partition qu’il connaît par cœur. S’il l’a déjà donnée à Toulouse il y a quelques années, il y revient avec gourmandise dansant lui-même un sorte de bacchanale afin d’hypnotiser ses musiciens. Les chœurs plus distants semblent par moments moins immédiatement connectés à sa gestuelle sensuelle.

Le résultat global est une véritable alchimie de sonorités évocatrices de mythes et de légendes méditerranéennes. Des instrumentistes tous très engagés, nous distinguerons les flûtes comme exceptionnellement belles, la flûte traversière mais également la flûte en sol, somptueuses. Comme la veille ce ne sont pas les qualités de l’orchestre qui font le prix de l’interprétation mais l’engagement de chacun sous l’énergie invincible du chef. Le chœur Archipels bénéficie des qualités de préparation de Joël Suhubiette connues dans ces chœurs comme Les Eléments et l’Ensemble Jacques Moderne. Précision des attaques, justesse et homogénéité des pupitres, gages d’une présence vocale continue même dans les moments ou l’orchestre est tonitruant. Si ce ballet n’a pas eu lors de sa création en 1912 au Châtelet, le succès mérité c’est bien en raison d’une modernité musicale pleine de surprises. Aujourd’hui ces trois longues pièces sont un régal de tous les instants. Il est clair également que la complexité structurale et rythmique dépasse largement le cadre de musique qu’il est facile de chorégraphier. Il s’agit bien d’avantage d’une grande symphonie avec chœurs.
La générosité de la direction de Yannic Nézet-Séguin lui a fait privilégier son orchestre dans les grands forte au détriment momentanément du chœur qui ne pouvait pas bénéficier d’un texte afin de projeter le son ; Ah et bouches fermées étant les seules indications de la partition…
Un succès considérable a été obtenu par les interprètes en raison de l’enthousiasme communicatif du chef et de l’engagement sans réserves des musiciens et des choristes. Le public ravi n’a pas économisé ses applaudissements pour cette rare et si belle partition.


Toulouse. Halle-aux-Grains. Les 21 et 22 mars 2012.
Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Les créatures de Prométhée, opus 43 (1801) ; Symphonie n°3 en mi bémol majeur, sinfonia Eroica, opus 55 ; Felix Mendelssohn-Bartholdy (1809-1847) : Concerto pour violon n°2 en mi mineur, opus 64 ; Claude Debussy (1862-1918) : La Mer, trois esquisses symphoniques ; Maurice Ravel (1875-1937) : Daphnis et Chloé, musique de ballet pour orchestre et chœur, Symphonie chorégraphique en trois parties. Stefan Jackiw, violon ; Chœur Archipels, chef de chœur : Joel Suhubiette ; Rotterdam Philharmonic Orchestra. Yannick Nézet-Séguin, direction.

Ilustrations: Yannick Nézet-Séguin, Stefan Jackiw (DR)
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