mardi 29 avril 2025

Toulouse. Halle aux Grains, le 9 mai 2010. Richard Strauss : Elektra. Orchestre National du Capitole. Direction musicale,Walter Althammer. Mise en scène, Nicolas Joel

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Superbe Elektra

Incroyable comme Elektra reste une partition surprenante bien
qu’elle soit centenaire. La production capitoline aussi garde une
fraîcheur incroyable quand on sait qu’elle date de 1992. S’y sont
succédées en 1994 et 2004 des distributions superlatives. Restent dans
les mémoires deux Elektra au format vocal adéquat Janis Martin (92 et
94) et la superbe Janice Baird en 2004. Une Chrisotemis idéale en la
magnifique Karen Huffstodt en 1994.

La distribution de ce soir est au même niveau superlatif pour tous les
rôles. La mise en scène de Nicolas Joel reprise par Stéphane Roche
reste très simple et respectueuse des indications du livret. Le rajout
du meurtre visible de Clytemnestre au balcon est grandguignolesque et
gagnerait à être invisible. Même réserve vis à vis d’un Egiste
sanguinolent d’autant que vocalement il passe de toute manière mal
l’orchestre.
C’est le décor d’Hubert Monloup conçu pour l’hexagone de la Halle Aux
Grains et les éclairages subtiles de Vinicio Celi qui créent une
atmosphère sordide adéquate plus qu’un jeu d’acteurs assez convenu. Ce
grand balcon arrière d’un palais grandiose et gangrené avec des marches
qui descendent dans une cour sordide est à la fois hors d’âge et …
futuriste. Les costumes sont riches pour tous, les haillons d’Elektra
n’en sont que plus remarquables. Sa chevelure sale, ses guenilles, sa
crasse en font une paria dans ce luxe environnant. Sa manière de rentrer
dans des trous sous la structure en béton à côté du dépôt d’ordure en
fait une SDF dans le palais de sa mère.
Rien ne distrait jamais l’oreille, c’est vraiment la partition si
violente de Richard Strauss qui a porté chaque spectateur dans ses
retranchements. Comment un public d’opéra bien pensant peut-il supporter
ces deux heures de musique si intenses et cette histoire qui démolit
tous les mythes des bonnes relations familiales avec une telle force ?
Cela reste un mystère qui chaque fois agit. De fait, le succès a été
grand pour tous les interprètes mais c’est vraiment l’orchestre qui a
porté cette partition incroyable de virtuosité avec une ardeur
inimaginable. La force tellurique des premiers accords tétanise, mais la
finesse des parties de musique de chambre (le quatuor des cordes) et les
délicatesses vénéneuses (célesta, harpes, trompettes bouchés) indiquent
de quels subtils solistes l’orchestre dispose. La direction de Walter
Althammer
est admirable de précision. Les nuances sont parfaitement
rendues, les couleurs d’une variété incroyable et la rigueur de la
battue est implacable osant des moments de grand lyrisme comme suspendus
dans les rares instants tendres. L’équilibre scène-fosse est de
qualité. La vaste fosse faisant partie du décor occupe tout le parterre
de la Halle Aux Grains, c’est dire si l’orchestre est à l’aise et peut
sonner !

Le seul moment de déséquilibre sonore concerne l’Egiste fantomatique
de Donald Kaasch. La mise ne scène en fait un grossier pochard
impuissant et veule. Lorsqu’il est en retrait sur les marches on ne
l’entend plus… Que dire du reste de la distribution ? Rapidement pour
les hommes, Oreste est très convaincant scéniquement et vocalement. Harry
Peeters
est un beau baryton-basse capable de retenue et de noblesse
et de beaucoup d’humanité face à sa sœur si abîmée par le destin. Son
précepteur, Peter Wimberger a une belle présence scénique. Lui
aussi est bien chantant. Paul Kaufmman est un jeune serviteur
ambitieux qui vocalement est percutant et très énergique.

Côté chanteuses, prépondérantes dans cette œuvre, les servantes et
petits rôles féminins sont tous dignes d’éloges avec des voix solides
qui passent bien l’orchestre mais elles palissent toutes du voisinage
« atomique » de Susan Bullock en Elektra. La Halle Aux Grains a
entendu des grandes voix mais celle-ci semble sans limites. La projection
est digne des plus grandes Elektra. La voix est d’un métal qui semble
inoxydable, de surcroît avec un vibrato tenu. Toute la tessiture est maîtrisée. Le
timbre est marquant non par sa beauté mais par son insistance et sa
capacité à résister à tout. La performance est inouïe. Il n’est pas
étonnant que le Covent Garden lui ait fait un triomphe dans ce rôle !
Les Toulousains de s‘y sont pas trompés, et c’est avec l’orchestre la plus
applaudie de la soirée. À ses côtés Agnès Baltsa est une
Clytemnestre jeune et très bien chantante. Le legato est pur et permet
une musicalité rare dans ce rôle souvent confié à des cantatrices âgées.
La grande mezzo-soprano rossinienne sait garder une palette de couleurs
digne du bel canto et des nuances variées, le vibrato est parfaitement
maîtrisé, le souffle long et l’homogénéité de la voix semblent défier
les ans. Le personnage devient étonnement sympathique ainsi. Comme une
femme qui ne comprend pas le mal et qui croit avoir toujours bien fait.
Il n’y a pas tant opposition ou conflit avec sa fille Elektra
qu’incompréhension et incompatibilité de point de vue. Historiquement le
personnage a pour elle de s’être vengée du père d’Iphigénie, leur fille,
que le roi a sacrifié en toute connaissance de cause. La cantatrice
grecque connaît ses classiques et montre Clytemestre sous un jour
intense et rare.
La Chrisotémis de Silvana Dusmann est de la même eau. Bien
chantante, elle possède une voix très claire et lyrique capable de passer
l’orchestre sans difficultés. Le personnage est pathétique et recherche
plus la force que la sensualité. Ainsi elle semble en retrait face à sa
terrible sœur. Comment peut-il en être autrement ? C’est donc l’Elektra
de Susan Bullock qui domine définitivement tout le plateau par un
engagement rare. Le seul moment moins convaincant est la rencontre avec
Oreste qui manque de douceur. Par contre la scène finale est vocalement
si puissante que son énergie semble infinie
Une reprise magnifique d’une production dont on ne peut se lasser quand
elle est distribuée avec cette justesse. Cette saison hors les murs a
donc du bon et Frédéric Chambert a bien fait de programmer cette Elektra
qui devient historique au bon sens du terme.

Toulouse. Halle aux Grains, le 9 mai 2010. Richard Strauss
(1864-1949) : Elektra
, tragédie en un acte sur un livret de Hugo Von
Haufmannsthal créée à Dresde le 25 janvier 1909. Mise en scène, Nicolas
Joel ; Réalisation de la mise en scène, Stéphane Roche ; Décors et
costumes, Hubert Monloup ; Lumières, Vinicio Cheli ; Clytemnestre :
Agnès Baltsa ; Elektra : Susan Bullock ; Chrysothémis : Silvana
Dussmann ; Egisthe : Donald Kaasch ; Oreste : Harry Peeters ; Le
précepteur d’Oreste : Peter Wimberger ; La confidente / Deuxième
servante : Adrineh Simonian ; La porteuse de traîne : Isabelle Antoine ;
Un jeune serviteur : Paul Kaufmann ; Un vieux serviteur : Thierry
Vincent ; La surveillante : Susan Marie Pierson ; Première servante :
Graciela Aeaya ; Troisième servante : Margriet Van Reisen ; Quatrième
servante : Marie-Adeline Henry ;Cinquième servante : Jennifer Black ;
Orchestre National du Capitole ; Chœur et maîtrise du Capitole, chef de
chœur : Alfonso Caiani ; Direction musicale, Walter Althammer.

Illustration: Patrice Nin © 2010

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