samedi 3 mai 2025

Toulouse. Halle aux Grains. Le 26 octobre 2010. Haendel (1685-1759) : airs extraits de Rinaldo, Giulio Cesare, Lotario, Amadigi, Apollo e Dafne, Alcina,… Cecilia Bartoli, mezzo-soprano ; Orchestra La Scintilla ; Direction : Ada

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Cecilia Bartoli en tournée :
Première à Toulouse !

Cecilia Bartoli en 20 années a conquis une réputation dépassant largement le cercle des amateurs de voix lyriques. Elle a vendu le plus grand nombre de CD classiques et s’il faut reconnaître qu’elle irrite certains, les qualités vocales, musicales et la recherche de partitions rares lui offrent le statut de Diva Assoluta de ce début de siècle. La tournée qu’elle vient de débuter et qui va la conduire au-delà de l’Europe vers le Japon et l’Australie avec trois programmes différents, lui confère un rang quasi mythique comme les Divas d’autrefois qui affrontaient mers et océans et affrétaient parfois des trains pour apporter au monde leur Art incomparable. Toulouse avait accueilli son programme Sacrificium en avril dernier. La ville rose, si chère au cœur de la diva romaine, a eu le privilège de découvrir son nouveau programme Haendel. Ainsi les plus exigeants ont pu retrouver leur Diva au sommet de son art dans un programme d’airs du Caro Sassone, tout à fait dignes de son génie interprétatif. La qualité des airs choisis dans un corpus gigantesque est admirable, mêlant les raretés comme les scènes dramatiques des deux héroïnes les plus aimées : Alcina et Cléopâtre. En première partie, Cecilia Bartoli apparaît après l’ouverture de Rinaldo, admirablement interprété avec rigueur et souplesse, par l’orchestre La Scintilla. La longue robe noire est de grande classe, les bijoux étincellent, le maintient est sobre, tout à l’opposé de la fracassante entrée du programme Sacrificium. La présence de Cecilia Bartoli, son attitude gourmande qui apprécie les interventions orchestrales, dont foudre et tonnerre, lui permettent de convaincre totalement dans l’air de colère d’Armida : Furie terribile. La voix est immédiatement reconnaissable avec cette tessiture ambiguë alliant mezzo corsé et soprano éthéré. Les vocalises sont d’une précision diabolique, le souffle est immense et le texte parfaitement projeté : Un Art du chant solaire qui se joue de toutes les difficultés dont Haendel a truffé sa partition. Extrait de Lotario, un air d‘ Adelaide moins connu, achève de gagner le public à sa cause. L’ouverture de Giulio Cesare permet à l’orchestre de démontrer combien cette formation issue de l’orchestre de l’Opéra de Zurich a développé une complicité musicale admirable depuis 1996. Jouant debout, en Concertmaster, Ada Pesch insuffle une belle énergie à l’orchestre. Le tempo est vif, la rigueur rythmique est quasi horlogère mais une grande souplesse anime l’ensemble. La perfection instrumentale commence à se faire jour avec des interventions solistes admirables. Le travail sur les couleurs et les nuances orchestrales change de certains chefs roboratifs et avares de nuances. Haendel a toujours su utiliser les excellents instrumentistes de ses orchestres, La Scintilla lui fait assurément honneur. Dans l’air de Cléopâtre : Per pieta, inséré dans la grande scène avec récitatif, Cecilia Bartoli renouvelle le miracle qu’elle crée sur scène dans ce rôle. L’émotion musicale est à son comble lorsqu’elle habite comme personne le silence avant la dernière reprise de l’air. Ce ne sont pas seulement les notes qui font les grands interprètes, mais surtout ces silences habités. Le public a retenu son souffle avant de fondre lors de l’ultime chant pianissimo, quasi murmuré, exprimant si subtilement le désespoir de Cléopâtre. Les sons filés, la longueur des phrasés, la variété des colorations vocales situent ce chant au Panthéon haendelien. Il a fallu bien du courage à l’orchestre pour enchaîner après un tel sommet d’émotion. Le choix de faire suivre deux ouvertures de Porpora se révèle excellent et le brio des solistes instrumentaux, la rondeur de sonorité des cordes et le tempo exact donnent à cette belle musique une âme bienheureuse. L’air Destero dall’ empia Dite pour Melissa extrait d’Amadigi di Gaula clôt brillement la première partie. Le combat musical à trois sur le devant de la scène, trompette et hautbois de part et d’autre de la diva théâtralise un air qui souffre du souvenir si ému de Per pieta.
La deuxième partie confirmera la grande tenue musicale de ce programme. Cecilia en Diva généreuse change de robe et suggère le charme de ses formes dans un bustier lassé sculptant, avec d’autres bijoux et les mêmes chaussures au talon royal contenant une bulle.
Les deux airs de Cléopâtre Venere bella et V’adoro pupille consacrent la cantatrice en charmeuse absolue tandis que le Da tempeste lui permet de briller totalement en fin de concert. Mais c’est l’air d’Alcina Ah ! Mio Cor qui lui permet de renouveler le miracle de théâtre intériorisé du Per Pieta de Cléopâtre. Quelle Armida elle peut être ! C’est vraiment pécher véniel que son amusement du futile air des oiseaux de Dafné en entrée de deuxième partie. On lui pardonne cet enfantillage car c’est bien dans les grands rôles que tout le talent d’une telle personnalité vocale peut s’exprimer. Le public toulousain a pu y goûter en primeur. Lorsqu’elle veut bien servir des grands airs Cecilia Bartoli est sans rivale. Elle l’a prouvé ce soir. L’orchestre La Scintilla fait bien mieux que l’accompagner. Ce n’est pas tant la virtuosité des solistes sur instruments anciens qui subjugue mais la réalisation variée et vivante qui animent les airs. Là un théorbe et un violoncelle qui soutiennent délicatement le chant, là un basson goguenard et chanteur, puis les flûtes qui rivalisent de mélanges de couleurs avec la voix et la trompette et les hautbois ne sont pas en reste. La place du clavecin est également exactement équilibrée jamais prépondérant et toujours présent. Un vrai orchestre pour rendre vivant Haendel et ses contemporains. Un véritable orchestre à la personnalité affirmée, loin d’un simple faire valoir. On ne peut que souhaiter beaucoup de bonheur au public mondial qui va fêter cette tournée. Ce programme Haendel est de grande valeur et va rassurer les amateurs les plus exigeants, même ceux qui ont été échaudés par la notoriété parfois médiatisé à outrance de Cecilia Bartoli. Paris aura la chance de l’accueillir dans ce programme : Cecilia Bartoli reste une musicienne de grande sensibilité !

Toulouse. Halle aux Grains. Le 26 octobre 2010. Georg Friedrich Haendel (1685-1759) : airs extraits de Rinaldo, Giulio Cesare, Lotario, Amadigi, Apollo e Dafne, Alcina, Il Trionfo del Tempo e del Disinganno ; Ouverture de Rinaldo et Giulio Cesare ; Nicolo Porpora (1686-1768) ouvertures des cantates Gedeone et Perdono, amata Nice ; Francesco Maria Veracini (1690-1768) : ouverture n° 6 en sol mineur ; Cecilia Bartoli, mezzo-soprano ; Orchestra La Scintilla ; Direction : Ada Pesch.

Illustration: © U.Weber
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