jeudi 28 mars 2024

Toulouse. Halle-aux-Grains, le 21 octobre 2011.Brahms (1833-1897) : Concerto pour violon en ré majeur, op.77; Vadim Gluzman, violon. Orch National du Capitole de Toulouse. Tugan Sokhiev, direction

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Brahms solaire et irradiant

Comme il doux à présent d’avoir la certitude de tenir en l’Orchestre du Capitole une phalange brahmsienne de premier plan. En quelques années, les progrès fait grâce à Tugan Sokhiev sont manifestes. Ce soir a été un grand soir et c’est Brahms qui a été honoré comme il convient. Ce musicien que trop longtemps les français ont mal compris et dénigré est enfin joué régulièrement dans l’hexagone. Toulouse est gâtée avec la prédilection que son chef charismatique avoue pour Le géant hambourgeois. Car Tugan Sokhiev dirige Brahms avec une générosité qui fait merveille. La jeunesse de cette musique m’a toujours parue évidente alors que tant de chefs aveuglés par une fausse tradition se perdent en génuflexions paresseuses et ennuyeuses. Ce Brahms viril et conquérant, capable d’immense tendresse et de munificence extravertie est bien celui contenu dans son concerto pour violon. Dès les premières mesures de la longue introduction orchestrale, le ton est donné, force et énergie irriguent le discours sans la moindre brutalité et avec le poids exact du son. Parlons de la capacité de Tugan Sokhiev à composer le son de son orchestre. Chaque concert est pour moi étonnement car le son est concentré et d’une force propre à révéler la beauté de la partition sans complexe. Alors que certains, et souvent, se plaignent du « trop de son », pourquoi craindre cette orgiaque beauté, pourquoi avoir peur du grand et beau son ? Quand un Orchestre de cette trempe peut s’abandonner, il faut reconnaître qu’il se passe quelque chose. Alors dégustons ce menu, maintenant que les cuivres savent rugir, à présent que les contrebasses sont solides comme le roc, que les trompettes lèveraient une armée et que les cordes sont d’une irradiante beauté (alto depuis longtemps et violoncelles fauves aussi, mais à présent ce sont les violons qui s’enveloppent de sonorités plus brillantes) pourquoi s’en priver ? Les cordes à toute épreuve portent les grandes phrases de Brahms afin de les faire voler loin. Geneviève Laurenceau trouve à engager toute sa fougue musicale pour lever son armée de violons. Suivie comme un grand général elle semble obtenir de son pupitre une santé vigoureuse qui mène surement à la victoire. Pourquoi bouder notre plaisir devant cette éclatante réussite en attendant bientôt de plus subtiles nuances encore (surtout les gros cuivres) ? Ce Brahms a sonné comme il se doit et Vadim Gluzman lui-même, en musicien accompli et habitué aux plus grands chefs, a bien souvent opiné de la tête ravi de cette vigueur. Mais ce poids du beau son sait s’alléger et les nuances piani peuvent être impalpables dans certains pupitres, ainsi les bois et le cor solo ont offert des moments de grâce ineffable. Le fameux solo de hautbois dans l’Adagio a été si tendrement offert par Olivier Stankiewicz, si poétiquement chanté, que Vadim Gluzman a, sans le moindre ombrage, considéré qu’il prenait la suite de cette splendeur afin de développer un son d’un moelleux incroyable. Et c’est aussi cela qui fait de Tugan Sokhiev un immense artiste, offrir aux solistes un partenariat digne du plus fin des chambristes. C’est la deuxième fois que nous avons entendu ces deux artistes ensemble et déjà, chez lui avec Tchaïkovski, Tugan avait permis au violoniste de déployer son art suprême dans le concerto de violon le plus romantique possible. Comme chaque instrumentiste de l’orchestre semble tout donner à son chef, le lien avec le soliste est parfait et cela construit ce soir une interprétation bouleversante de vérité. Le final brahmsien avec son enthousiasme tzigane a permis un final en forme d’apothéose de la danse avec un sens du déséquilibre mettant un peu d’apesanteur en prime.

La sonorité fruitée de Vadim Gluzman naît de la fusion qu’il a établie avec son instrument de prédilection et qui fait comme partie de lui, le Stradivarius dit de Léopold Auer. La variété des couleurs, la profondeur des nuances, les superbes phrases semblant infinies, le rythme diaboliquement précis font de ce violoniste une perle de musicalité. En bis, les premières notes, avec ses doubles cordes si expressives, de la première sonate pour violon seul de Bach ont ouvert un moment d’éternité d’une émotion fulgurante.

Après un tel sommet la deuxième partie était attendue comme une rareté au mieux intéressante. Le quatuor avec piano de Brahms est une œuvre de jeunesse très rarement donnée en concert. La transcription qu’en a faite Schoenberg est encore plus rare. Sans changer la moindre note, afin de mettre en valeur tous les pans de la composition, Schoenberg a offert de son aveu la cinquième symphonie de Brahms. Il demande un orchestre gigantesque avec de nombreuses percussions, qui apportent une modernité stimulante à la partition. Tugan Sokhiev empoigne cette « cinquième symphonie » avec panache et obtient de son orchestre une fougue juvénile inextinguible. Cette longue partition passe comme un rêve symphonique des plus beaux. Comme il est regrettable que ce quatuor transcrit ne fasse pas partie de l’intégrale des symphonies de Brahms ! On perçoit clairement que le jeune Brahms, inhibé par la hauteur de la tache, avait pourtant en tête une symphonie par l’ampleur des thèmes, la longueur et la complexité de la composition. L’interprétation de ce soir rend justice à une partition brillante très injustement méconnue. Heureux Toulousains ayant dégusté un Brahms à l’incroyable puissance plein de subtiles beautés, par des musiciens passionnés !

Toulouse. Halle-aux-Grains, le 21 Octobre 2011. Johannes Brahms (1833-1897) : Concerto pour violon en ré majeur, op.77 ; Quatuor pour piano et corde, op.25 dans la transcription d’Arnold Schoenberg (1871-1951). Vadim Gluzman, violon. Orchestre National du Capitole de Toulouse. Direction : Tugan Sokhiev.

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