Force et profondeur
Dialogues des Carmélites fait partie de ces opéras construits sur un livret quasi parfait. La force de la pièce de Georges Bernanos est telle que les questions éthiques qu’elle soulève semblent à toute époque parfaitement contemporaine. Francis Poulenc qui peut être si coquin écrit une partition stricte et souple à la fois qui enserre un joyau : le texte. La création a eu lieu en italien à la Scala de Milan avec une distribution internationale de rêve. La création française à l’opéra de Paris quelques mois plus tard et a été enregistrée dans la foulée. Enregistrement qui reste une référence avec Régine Crespin et Suzanne Sarroca en particulier.
L’histoire vraie de ces pauvres Carmélites prises dans la tourmente révolutionnaire et faisant vœux de martyr afin de ne pas se renier, permet une longue réflexion sur la peur, la mort, la foi et le sens de la vie.
La production du Capitole prévue pour l’immense espace de la Halle aux Grains a été créée en 1995 et pourtant elle ne date pas. L’unique décor est stylisé et sert de palais, d’intérieur de couvent, de chapelle et d’échafaud, tour à tour grâce à de superbes lumières. Le travail d’Hubert Monloup (décor et costumes) et Allain Vincent (lumières) est très complémentaire. La mise en scène utilise tout l’espace sans ostentation mais avec beaucoup d’efficacité. La direction d’acteur de Nicolas Joel et Stéphane Roche est sobre comme il convient et la foule se déploie avec efficacité. La partition et le texte sont donc parfaitement mis en valeur, la vue accompagne presque discrètement l’ouie qui préside.
La distribution est globalement satisfaisante mais avec des niveaux variables. Les hommes sont francophones et projettent le texte avec efficacité. Nicolas Cavalier est un Marquis élégant, aimable père et chanteur délicat jouant de sa très belle voix comme de son allure aristocratique avec art. Son fils, le chevalier est tout aussi racé. Gilles Ragon à la voix sure et l’émission franche d’un très beau ténor français. Il distille le texte admirablement.
Le trio gagnant des dames est dominé par la Sœur Constance irrésistible d’Anne-Catherine Gillet. Ce rôle lui convient vocalement à merveille et dans une tessiture si haute elle arrive à dire superbement son texte si touchant. Cette belle cantatrice a déjà enchanté avec une voix fruitée et brillante et un jeu extraverti le Capitole dans de nombreux rôles. Elle donne beaucoup de profondeur à son rôle de sœur si sensible. Presque trop parfois face à la Blanche de Sophie Marin-Degor. L’allure générale la cantatrice pourtant familière du rôle est raide et parfois hautaine. Son personnage n’est pas assez habité par la folie d’une foi idéaliste. Son refuge au carmel semble plus calculé que vécu comme un appel spirituel. La voix est un peu acide et les nuances sont assez minimalistes. Ce n’est pas vers elle que va la sympathie du public qui reste avant tout charmé par Constance et terrifié par la Prieure.
Le rôle de Madame de Croissy est superbement habité par Sylvie Brunet, tragédienne à la fois hautaine et misérable à souhait. Son timbre noble et la santé de sa voix homogène sur toute la tessiture donne beaucoup de force à cette mort d’une femme finalement jeune. Si ces trois cantatrices sont éminemment capables de rendre justice au style si particulier de Poulenc, avec une prosodie excellente, il faut leur associer Catherine Alcoverro dans le très court rôle de Sœur Mathilde.
Avec pourtant des qualités vocales intéressantes, Isabelle Kabatu, Qiu Lin Zhang et Suzanne Resmark, gênées par la prosodie française, sont hélas hors répertoire dans les rôles pourtant majeurs de Madame Lidoine, Mère Marie et Mère Jeanne. Poulenc demande bien autre chose que des voix.
L’orchestre et le chœur du Capitole sont tout à fait idiomatiques avec en particuliers des vents et une harpe de toute beauté. La direction de Patrick Davin, spécialiste des opéras contemporains, tire la partition vers « les modernes ». Son parti pris très analytique évite toute sensiblerie et bride l’émotion afin de la libérer dans une scène finale d’une grande violence.
Ces coups de guillotine sont d’une terrible efficacité associés à l’entrée des carmélites une à une dans une lumière blanche aveuglante. Cette fin d’opéra est bien l’une des plus sadiques qui soient, laissant le public sans voix.
Une belle version d’un chef d’œuvre noir, même si la distribution a été inégale chez les dames.
Toulouse. Halle aux Grains, 27 novembre 2009. Francis Poulenc (1899-1963) : Dialogues des Carmélites, Opéra en trois actes et douze tableaux, Texte de la pièce de Georges Bernanos, Crée en italien le 26 janvier 1957 au Teatro alla Scala, Milan, Première représentation en version originale le 21 juin 1957 à l’Opéra de Paris. Avec Le Marquis de La Force : Nicolas Cavalier ; Blanche de La Force : Sophie Marin-Degor ; Le Chevalier : Gilles Ragon ; L’ Aumônier du Carmel : Léonard Pezzino ; Le Geôlier : Olivier Grand ; Madame de Croissy : Sylvie Brunet ; Madame Lidoine : Isabelle Kabatu ; Mère Marie de l’Incarnation : Suzanne Resmark ; Sœur Constance de Saint-Denis : Anne-Catherine Gillet ; Mère Jeanne de l’Enfant Jésus : Qiu Lin Zhang ; Sœur Mathilde : Catherine Alcoverro ; Production du Théâtre du Capitole ; Mise en scène : Nicolas Joel réalisée par Stéphane Roche ; Décors et costumes : Hubert Monloup ; Lumières : Allain Vincent ; Orchestre national du Capitole de Toulouse ; Chœurs du Capitole, chef de chœurs : Alfonso Caiani ; Direction : Patrick Davin.
Illustrations: © Patrice Nin