La programmation de Frédéric Chambert, nouveau directeur artistique du Capitole, ne cède pas à la facilité en proposant des titres archi-connus pour compenser l’handicap d’une saison hors les murs.
Présenter la très rare Euryanthe de Weber en version de concert est une audace qui montre son grand respect du public. Pour comprendre l’évolution qui permet de passer à la révolution wagnérienne Euryanthe est en effet le maillon manquant qui ouvre une perspective nouvelle. Chaque amateur d’opéra lui en sera gré.
Carl Maria von Weber après le succès de son Freïchutz en 1821, dans la tradition des singspiele avec dialogues parlés, a voulu créer un genre nouveau : L’opéra allemand romantique entièrement mis en musique. Il en a demandé le livret à Helminia von Chezy. Admirateur de Gluck et Spontini il a construit son opéra comme de longues coulées musicales en trois actes chacun découpé en deux tableaux. Cela fonctionne donc comme la lecture d’un conte dans lequel on entre en étant pris par la main d’une narration assez convenue. Ainsi une noble dame est victime de noirs jaloux et un prince vaillant mais trop confiant vont, malgré leur amour partagé, se perdre pour se retrouver heureux après bien des épreuves. Les bons et les méchants sont repérés facilement, y compris dans la typologie vocale. Ténor et soprano sont empêchés de s’aimer par le baryton et mezzo-soprano (ici soprano dramatique) qui font alliance de perfidies pour les perdre. Nous retrouvons la lutte de la lumière et des ténèbres, de l’amour confiant contre les assauts de la jalousie. Le chœur a un rôle important avec la présence d’un peuple toujours prêt aux réjouissances, qui aura également une action déterminante en restant fidèle aux héros de lumière dans leur descente aux enfers.
L’action prévisible n’est pas trépidante. Elle offre toutefois de beaux moments alternant action et suspension introspective avec aisance. Le pari de Weber est gagné.
Musicalement la partition est pleine de beautés rares. On y trouve des récitatifs dramatiques souples et sensibles, des airs très élégants demandant des lignes vocales et une technique des vocalises dignes du bel canto, Des duos, trios, quatuors qui sont bien amenés, ainsi que des airs avec chœurs exigeant vaillance et vélocité. Le grand concertato qui clos l’acte deux évoque Donizetti et le jeune Verdi. Pourtant typologiquement Adolar demande un véritable heldenténor mais sachant parfaitement vocaliser. Euryanthe est un rôle lyrique qui doit aussi être capable de dominer les chœurs avec des strettes virtuoses. Le roi réclame une voix de basse à l’autorité naturelle. Les méchants ont aussi des rôles soignés avec de très beaux moments. Vaillance, virtuosité et parfaite projection du texte sont exigées, mais également par moments l’expression d’une sensibilité et de sentiments plus tendres. Quant aux interventions du chœur elles sont particulièrement nombreuses, variées et exigeantes. L’orchestration de Weber est subtile, il sait utiliser toutes les ressources d’un orchestre modeste en nombre mais dont il utilise avec art couleurs et émotion des instruments. Les pièces musicales ou les introductions d’airs contiennent des bijoux de sensibilité émotionnelle qui enrichissent les personnages. Ainsi l’introduction à l’acte deux de l’air d’Adolar avec flûte, clarinette et alto créé un climat richement teinté de romantisme qui annonce Schumann.
Tous les amateurs d’opéra peuvent être comblés par cette partition qui demande beaucoup à tous les intervenants. La découverte d’Euryanthe permet aussi de comprendre tout ce que Wagner doit à Weber dans Lohengrin La distribution de ce soir semble réaliser un bon compromis entre les exigences contradictoires demandées aux rôles. Le plus époustouflant est Klaus Florian Vogt. Après un début réservé il donne toute la mesure de son talent. La voix est porteuse d’une lumière si précise que jamais il n’a besoin de forcer même dans les moments où il s’oppose à la masse orchestre et chorale. La ligne vocale est tenue à la corde, le souffle est long et les vocalises précises. Il présente vraiment une association de qualités bien rares. Mélanie Diener met du temps à entrer dans son personnage. Il est vrai que la naïveté est une qualité musicalement peu porteuse. Vocalement l’art du chant est impressionnant. La puissance ne lui fait pas défaut mais c’est dans les moments élégiaques et plaintifs que son timbre un peu voilé fait merveille. A ce couple de héros, sorte d’Elsa et Lohengrin est opposé le couple noir presque digne de Telramund et Ortrud. Les voix des deux artistes sont moins belles et ils jouent d’avantage tous les deux sur les intentions et la projection pour impressionner. Tommi Hakala a une voix un peu sourde et les vocalises le laisse un peu désemparé. Lauren Flanigan joue d’un timbre particulier dont elle tire de nombreuses couleurs, elle est à l’aise techniquement dans des emportements si excessifs qu’ils évoquent à la fois Elektra dans l’Idomeneo de Mozart et Abigaille dans Nabucco de Verdi et peut être même d’Otrud. On ne lui en voudra donc pas si parfois elle se laisse emporter au-delà de ses vraies capacités. Le Roi Louis de Dimitry Ivashchenko est sidérant d’autorité alors que le chanteur est si jeune. La voix est magnifiquement timbrée et particulièrement noble. Le rôle anecdotique de Rudolph est dignement chanté par Paul Kaufmann. En Bertha, Catherine Alcoverro arrive à créer un court instant théâtral et au milieu de ces superbes solistes elle tient parfaitement son rang. Un peu à la manière d’une messagère de vérité enfin révélée.
L’orchestre du Capitole resserré, concentré et sensible suit admirablement la direction enflammée de Rani Calderon. Les beautés de cette partition parcourue par le romantisme allemand le plus subtil, sont restituées avec bonheur. Toutes les saveurs d’une orchestration délicate sont là, la force et la puissance aussi. Chaque instrumentiste soliste fait honneur aux intensions de Weber qui prolonge les pensées des personnages dans l’orchestre. Un dialogue musical chambriste s’installe bien souvent entre l’orchestre et les chanteurs.
Le Chœur du Capitole admirablement préparé par Alfonso Caiani se joue des pièges accumulés dans la partition. Les progrès en termes d’homogénéité et de nuances, de tenue et de justesse se confirment à chaque nouvelle intervention du Chœur au cours de la saison.
Voici une belle interprétation en version de concert d’une œuvre magnifique et sensible indispensable afin de comprendre la construction de l’opéra en Allemagne.
Toulouse. Halle aux Grains, 23 janvier 2010, Carl Maria von Weber (1786-1826) : Euryanthe, grand opéra héroïco-romantique en trois actes, Poème de Helminia von Chezy, née Baronne von Klencke, créé le 25 octobre 1823 au Kärtneortheater de Vienne. Avec : Le Roi Louis, Dimitry Ivashchenko ; Adolar, Comte de Nevers, Klaus Florian Vogt ; Lysiart, Comte de Forest, Tommi Hakala ; Euryanthe de Savoie, Melanie Diener ; Eglantine de Puiset, Lauren Flanigan ; Rudolph, Paul Kaufmann ; Bertha, Catherine Alcoverro ; Orchestre national du Capitole de Toulouse ; Chœurs du Capitole, chef de chœurs : Alfonso Caiani ; Direction : Rani Calderon.
Illustrations: première photo, KF Vogt à droite.