lundi 28 avril 2025

Toulouse. Festival Piano aux Jacobins, le 23 septembre 2011. Brahms Wagner/Liszt, Granados, Mompou, De Falla… Luis Fernando Pérez, piano

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Quand certains solistes venus à Toulouse aux Jacobins ne sont que pianistes, d’autres sont des musiciens si doués que le critique est comme alourdi dans son exercice de témoignage.


Un roi d’Espagne

Luis Fernando Pérez est musicien, jusqu’au bout des ongles, la racine de cheveux. Tout parle musique en lui. Sa démarche déjà, élégante et souple, sa manière de s’installer au piano semblant se courber vers lui pour lui murmurer ses attentes et surtout son toucher. Dieu comme il respecte son clavier, le caresse, jamais ne le brutalise ! Cet amour de l’instrument, ce respect suscitent une écoute émue. Certes les partitions de Brahms choisies ne sont pas les plus originales, ni brillantes du compositeur pour débuter un récital de piano. Mais, quelle simplicité et quelle évidence dans ces « berceuses de ma douleur » selon les mots du vieux Brahms pour ses Intermezzi. Rien d’ostentatoire, jamais, uniquement des paysages de l’âme mélancolique du vieux musicien si prolixe, qui se déploient sans hâte sous les doigts caressants d’un poète. Ensuite les Ballades de l’opus 10 sont abordées avec simplicité et évidence. Plus riches en nuances, plus extraverties, la simplicité des ces pièces gagne en fraîcheur après les Intermezzi : Comme cette musique coule et se laisse écouter avec plaisir. Le velours et la crème de ces doigts subtils nous feraient nous abandonner à toute musique avec délectation.
La qualité la plus rare de Luis Fernando Pérez se déploie avec l’adaptation lisztienne de la page la plus novatrice de Wagner. Cette mort d’Isolde sous des doigts si généreux va véritablement atteindre au sublime le plus absolu. L’orchestre tonne et déroule les vagues de la passion, le chant d’amour se développe et rayonne au firmament. Le cosmos naît de cette union entre un musicien et son instrument. Les crescendo decrescendo de l’orchestre sont subtilement évocateurs de la houle. Les harmoniques sont appuyées avec le temps nécessaire pour nous ravir grâce à un rubato d’une intelligence de sorcier. Loin d’être réduite par un instrument seul, cette interprétation vibrante révèle des subtilités par une lumière nouvelle. Cet art du chant avec le piano si rare et qu’un jeune artiste, David Violi, avait trouvé et nous avait offert la semaine précédente est chez Pérez assimilé à un niveau inimaginable car tout ce qu’il fait semble simple et naturel. L’osmose entre Pérez et son piano permet un lyrisme torride. Le legato du chant d’Isolde, les longues phrases de violons s’envolent. On se demande comment il se fait qu’un artiste au talent si puissant a, encore si peu, enregistré ? Le public est particulièrement enthousiaste en cette fin de première partie.

Mais c’est la suite du concert qui a magnifié l’art du pianiste madrilène. Granados, Mompou et De Falla révèlent chez cet élève de Dellarocha une évidente filiation ibérique. Humour, finesse, audace, rubato ravageur ou tendre sont l’apanage des valses très atypiques de Granados. L’immédiateté et la sincérité font des Scènes d’enfants de Mompou un véritable hommage aux débuts de la vie. La parfaite compréhension de l’œuvre de Mompou permet à Pérez de nous faire croire qu’il pourrait en être l’auteur. Mais c’est le final qui va décupler le plaisir et la reconnaissance du public. La précision alliée à la souplesse la plus jubilatoire font de cette suite de l’Amour Sorcier une somme de talents. La musique de De Falla est d’une invention enthousiasmante et au piano tout est présent comme à l’orchestre sous des doigts si ensorcelants. Car c’est ce qui restera comme le plus mystérieux souvenir : Luis Fernando Pérez utilise des moyens extrêmement simples pour arriver à un résultat si complet. Il communique avec son piano, souvent amoureusement courbé sur lui, il nuance franchement sur une grande amplitude, articule différemment chaque phrase, du staccato le plus vif au legato le plus tendu, il retarde sans gènes les accords afin de les faire sonner et demande à la mélodie de se distendre tranquillement. Il varie son toucher et colorie le son comme il veut. La vivacité de son Amour Sorcier avec un final en forme d’apothéose reste dans les annales de ce que ce Cloître a entendu de plus musicalement accompli. Le bis admirable de poésie (un nocturne de Chopin) semblait écrit pour ce Cloître en cette chaude nuit d’été avant une reprise de la danse rituelle du Feu.
Luis Fernando Pérez est un artiste accompli : le Roi d’Espagne du Piano venu en voisin amical.

Johannes Brahms (1833-1897) : Trois Intermezzi, op.117 ; Ballades op.10 ; Wagner/Liszt : Morts d’Isolde ; Enrique Granados (1876-1916) : Valses Poeticos ; Federico Mompou (1893-1987) : Scènes d’enfants ; Manuel De Falla (1876-1946) : L’amour Sorcier, suite. Luis Fernando Pérez, piano.

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