Les lamentations sont un plaisir musical très prisé en Europe tout au long du XVII° siècle mais tout spécialement en France sous le règne de Louis XIV. Tous les compositeurs ont produit des oeuvres pour ce rituel tant aimé, baptisé leçons des ténèbres. Dès le Mercredi Saint et jusqu’au Vendredi soir, cela donnait lieu à un véritable événement mondain. Un chandelier à quinze bougies était allumé, représentant les onze apôtres, les trois Marie et le Christ. Les lamentations sont constituées de l’énumération des lettres de l’alphabet hébraïque entrecoupé des textes des lamentations du prophète Jérémie, très beau texte de l’Ancien Testament. Après chaque lamentation, une bougie était éteinte. À la fin, dans le noir, était entonné un miserere.
Jean Gilles est apprécié comme organiste et compositeur à Aix en Provence avant de devenir maître de chapelle à Toulouse. Le temps de composition de ces Lamentations est probablement aixois. L’ampleur de la partition, sa riche orchestration et sa polyphonie complexe évoquent une recherche de splendeur digne des plus grandes occasions. L’orchestre des Passions était ce soir particulièrement fourni. Violons, hautes-contre de violon, tailles de violon, basses de violon, contrebasse, serpent, basson, orgue, théorbe et flûtes. Le public est toujours inquiet à Saint-Etienne avant un concert en raison d’une acoustique particulièrement perfide.
Ce soir une intelligente disposition dans la cathédrale, le public dos à la porte a construit une scène devant le gros pilier avec des pendrillons de part et d’autre. Le son est ainsi concentré, et au prix d’une certaine matité, pour une fois ne se perd pas dans cet espace bien trop vaste. La plénitude du son de l’orchestre, riche en couleurs et en nuances a ainsi pu être appréciée. Les chanteurs étaient placés devant l’orchestre. Ce choix s’est avéré heureux car leur volume vocal modeste n’était pas loin de les mettre en grande difficulté. De tous les solistes c’est indubitablement Vincent Lièvre Picard qui se fait remarquer. Sa très belle voix de haute-contre, ce ténor rayonnant si typiquement français, fait merveille lors de chacune de ses interventions. Il maîtrise à la perfection le style si typiquement français avec des diminutions en fin de phrases qu’il réalise avec beaucoup de goût. Les chanteurs chantent en latin francisé mais il est le plus naturel alliant timbre idéal et diction limpide. Le chœur Les Eléments, placé derrière l’orchestre, se taille la part du lion. Ses interventions frappent par leur exactitude et leur présence vocale.
La direction de Jean-Marc Andrieu est précise, entraînante et souple à la fois. Avec lui cette partition trouve une ampleur enviable, associée à une belle tenue. Si d’autres Lamentations en France (Couperin, Charpentier, Lambert) peuvent troubler et émouvoir celles de Gilles ne se départissent jamais d’une suprême élégance avec une pointe de retenue en forme de bienséance. La musique reste très savante et la partition est habilement composée. Ainsi l’évocation des lettres de l’alphabet va en s’amplifiant d’une voix soliste de la taille à plusieurs voix solistes pour aller au choeur entier.
En première partie de programme Diligam te, Domine est un motet versaillais alternant toutes sortes de dispositions à une voix, plusieurs voix, petit chœur, grand chœur. La variété obtenue, produit un effet de grande richesse et de majesté. Cette œuvre date de la période toulousaine conçue pour honorer le Duc de Bourgogne et de Berry en visite à Toulouse en 1701. Un caractère nettement dansant apporte beaucoup de charme à cette œuvre. La direction énergique de Jean-Marc Andrieu, un peu tendu en début de concert, a gagné ensuite en souplesse. Ce programme permettant de mieux connaître Jean Gilles, après un superbe Requiem enregistré l’an dernier, sera enregistré dans les jours qui viennent. Le compositeur, bénéficie dans sa ville d’adoption, Toulouse, d’un bel acte de reconnaissance grâce à la musicalité conjuguée de l’Ensemble Les Passions et du Chœur Les Eléments.
Toulouse. Cathédrale Saint-Etienne, le 29 octobre 2009. Jean Gilles (1668-1705) : Diligam te, Domine ; Lamentations. Anne Magouët, dessus ; Vincent Lièvre Picard, haute-contre ; Bruno Bortef, taille ; Alain Buet, basse. Chœur de Chambre Les Eléments, direction Joel Suhubiette ; Ensemble Les Passions. Direction Jean-Marc Andrieu. Article mis en ligne par Adrien De vries. Rédaction: Hubert Stoecklin.
Illustrations: Les Passions © JJ Ader 2009