COMPTE-RENDU, opĂ©ra. TOULOUSE, Capitole, le 2 fĂ©v 2020. WAGNER : Parsifal. BORY / BEERMANN, KOCH, SCHUKOFF. Peut-on rĂȘver plus extraordinaire production de lâoeuvre si «hors normes» de Richard Wagner ? Les comparaisons avec Strasbourg qui monte sa production au mĂȘme moment seront certainement intĂ©ressantes tant tout semble les diffĂ©rencier. Je dois pourtant reconnaitre que je resterai Ă Toulouse afin dâassister Ă plusieurs reprĂ©sentations de ce Parsifal si rĂ©ussi. Il sera difficile de dĂ©velopper tout ce que jâai Ă dire sur ce spectacle total tant il est riche. Je serai moins long sur les voix car ailleurs elles ont Ă©tĂ© bien analysĂ©es. Câest tout simplement le quatuor vocal le plus abouti actuel qui puisse se sâĂ©couter aujourdâhui, pour une version parfaitement cohĂ©rente. Voix sublimes de jeunesse, de puissance, de timbres rares et de phrasĂ©s somptueux. Chanteurs-acteurs beaux et convaincants. La prise de rĂŽle de Sophie Koch en Kundry est magistrale, de voix, de timbre, de jeux et de style. Tout y est : de la quasi animalitĂ© Ă la plus Ă©lĂ©gante sĂ©duction , en particulier la souffrance contenue dans ce rĂŽle complexe. Sophie Koch est une Kundry qui va conquĂ©rir le monde tant elle est dĂ©jĂ accomplie.
PARSIFAL EN MAJESTĂ
La rĂ©ussite est totale dâautant que son Parsifal, Nikolai Schukoff, est un des plus grands spĂ©cialistes actuels du rĂŽle. Je lâavais vu et entendu Ă Lyon en 2011 dĂ©jĂ magnifique dans ce rĂŽle et nous le connaissons bien Ă Toulouse dans divers opĂ©ras. A prĂ©sent pour lui, il nâest plus seulement question de rĂŽle, de voix parfaite ou de chant souverain : Nikolai Schukoff EST Parsifal. Il assume la jeunesse du rĂŽle et met en lumiĂšre son charisme naissant sous nos yeux dans un jeu fin et Ă©mouvant. Et quelle parfaite voix de helden-tĂ©nor est la sienne ! IdĂ©alement assortie Ă celle de Sophie Koch ; ainsi leur duo est vocalement parfaitement Ă©quilibrĂ©. LâAmfortas de Matthias Goerne est mondialement cĂ©lĂšbre ; dans lâextraordinaire mise en scĂšne dâAurĂ©lien Bory, il atteint des sommets de spiritualitĂ© toujours avec une voix somptueuse. Peter Rose en Gurnemanz est puits dâhumanitĂ© dans une voix de toute beautĂ©. Il est peut ĂȘtre possible actuellement de trouver dâautres chanteurs de ce rang pour ces quatre rĂŽles, mais pas un quatuor plus assorti. Tous les autres artiste sont dâun extraordinaire niveau.
Lâ Ă©lĂ©gant Klingsor de Pierre-Yves Pruvot donne beaucoup dâampleur au rĂŽle. Le Titurel de Julien VĂ©ronĂšse est trĂšs impressionnant. Les filles fleurs sont dĂ©licieuses et les Ă©cuyers bien prĂ©sents. Les chĆurs associĂ©s entre Toulouse et Montpellier font honneur Ă la partition si extraordinaire de Wagner. La spacialisation des chĆurs si fondamentale est totalement rĂ©ussie. Un beau travail dâharmonisation des voix a Ă©tĂ© fait ; cela sonne puissant avec de belles couleurs et de formidables nuances. Nous savons combien lâOrchestre du Capitole excelle dans la vaste rĂ©pertoire symphonique comme dans la fosse de lâopĂ©ra ; ce soir il est symphonique dans la fosse et absolument incroyable de beautĂ©. MĂȘme au disque, il est exceptionnel dâentendre de si belles choses. Il faut reconnaitre que lâalchimie avec le chef Franck Beermann est totale. La perfection instrumentale est mise au service du drame. Franck Beermann tend des arcs musicaux envoĂ»tants. Le tempo semble naturel tout du long, ni rapide ni lent, juste exact. Cela devient le personnage central. Un torrent de beautĂ© et dâintelligence dramatique.
Il est certain que la diffusion sur France Musique le 29 fĂ©vrier 2020 permettra dâapprofondir la somptuositĂ© musicale et vocale de ce Parsifal. Mais ce qui est le plus extraordinaire dans cette production est la mise en scĂšne dâ AurĂ©lien Bory qui magnifie la dimension symbolique et dramatique du Festival ScĂ©nique SacrĂ© wagnĂ©rien. Car ce nâest pas un opĂ©ra comme les autres, le sens philosophique est partout prĂ©sent et les personnages sont presque des problĂ©matiques humaines incarnĂ©es. AurĂ©lien Bory travaille sur lâespace depuis longtemps ; il comprend la dimension fondamentale dans cet ouvrage comme personne. Et il lie cela au temps dâune maniĂšre si magistrale que les cinq heures de lâouvrage passent bien trop vite. Lâintelligence du spectateur est rĂ©veillĂ©e autant que son sens esthĂ©tique. La beautĂ© offerte aux yeux, la richesse des symboles et la somptuosiĂ© de ce que les oreilles recueillent sâassocient dans un tout mĂ©taphysique.
Je devine que le travail entre le chef et le metteur en scĂšne a Ă©tĂ© fait en profondeur. DĂšs le prĂ©lude, les Ă©critures lumineuses sont en phase avec la musique comme un ballet parfaitement rĂ©glĂ©.Tout sera ensuite dans ce respect mutuel permettant Ă la mise en scĂšne dâĂ©pouser la partition et inversement. Quand tant de metteurs en scĂšne rajoutent en lui nuisant, des « idĂ©es » Ă la partition, AurĂ©lien Bory Ă©pouse les idĂ©es wagnĂ©riennes en utilisant son propre vocabulaire. La rigueur des dĂ©placements des Ă©lĂ©ments de dĂ©cors est fantastique. La subtilitĂ© des ombres tient du gĂ©nie. La mise en scĂšne dĂ©veloppe Ă lâinfini la notion de dichotomie qui construit le monde et lâhomme. Les couples dâopposĂ©s fonctionnent Ă merveille, blanc/noir, ombre/lumiĂšre, nature/culture, orient/occident, horizontal/vertical, lignes droites/lignes courbes, etcâŠ. Cette mise en scĂšne parfaitement huilĂ©e faisant un tout avec les dĂ©cors et les lumiĂšres, ainsi que de trĂšs beaux costumes, offre des images de grande beautĂ© et riches de sens qui resteront dans les mĂ©moires.
Ainsi les branches de feuillages enveloppant les hommes, les protĂ©geant ou les gĂȘnant reprĂ©sente notre ambivalence par rapport Ă la nature. Lâimage dâ Amfortas infirme qui doit mettre toute lâintensitĂ© dans sa plainte rend son chant dĂ©chirant. Le quadrillage qui de ligne va se projeter en courbes reprĂ©sente Ă la fois lâenfermement et la libĂ©ration. Le triangle noir qui interdit Ă Kundry et Pasifal de se toucher renforce lâĂ©rotisme de leur chant puis lorsque la lumiĂšre portĂ©e par Kundry envoĂ»te Parsifal la rĂ©vĂ©lation maturante rĂ©sulte dâun choc terrible entre les corps par le baiser. Toute la retenue du duo, toute la sĂ©duction centrĂ©e dans le chant, toute cette tension explosent avec une puissance magistrale lors de la pĂ©nĂ©tration dans le triangle interdit. Au dernier acte le retour Ă Montsalvat  de Parsifal en costume japonais et la lenteur de ses gestes tient de la magie pure. Les lumiĂšres en forme de sabre sont tellement intelligentes et belles quâelle renouvellent lâeffet des tubes nĂ©ons ! Et le Graal dĂ©voilĂ© sous forme de volutes de lumiĂšres et dâombres qui sâĂ©pousent est tellement musical en fin de premier acte !
AurĂ©lien Bory a fait un travail dâorfĂšvre sur scĂšne comme Franck Beermann dans la fosse. Tous les artistes sont engagĂ©s totalement dans ce spectacle parfait. Le rĂ©sultat est tout saisissant et cette production aussi somptueuse musicalement que scĂ©niquement deviendra inoubliable, tant le respect et lâintelligence sây rencontrent.
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Compte-rendu opĂ©ra. Toulouse. Théùtre du Capitole, le 2 fĂ©vrier 2020. Richard Wagner (1813-1883) : Parsifal ; Festival scĂ©nique sacrĂ©  en trois actes ; Livret  de Richard Wagner ; CrĂ©ation  le 26 juillet 1882 au Festival de Bayreuth; Nouvelle production ;  AurĂ©lien Bory :  mise en scĂšne ; AurĂ©lien Bory, Pierre Dequivre : scĂ©nographie ; Manuela Agnesini :  costumes ; Arno Veyrat  : lumiĂšres ; Nikolai Schukoff  : Parsifal ; Sophie Koch :  Kundry ; Peter Rose  : Gurnemanz ; Matthias Goerne :  Amfortas ; Pierre-Yves Pruvot  : Klingsor ; Julien VĂ©ronĂšse :  Titurel ; Andreea Soare  : PremiĂšre Fille-Fleur; Marion Tassou  : DeuxiĂšme Fille-Fleur / Premier Ăcuyer; AdĂšle Charvet  : TroisiĂšme Fille-Fleur; Elena Poesina  : QuatriĂšme Fille-Fleur; CĂ©line Laborie  : CinquiĂšme Fille-Fleur ; Juliette Mars : SixiĂšme Fille-Fleur / DeuxiĂšme Ăcuyer / Voix dâen Haut ; Kristofer Lundin  : Premier Chevalier du Graal; Yuri Kissin  : DeuxiĂšme Chevalier du Graal; Enguerrand de Hys  : TroisiĂšme Ăcuyer; François Almuzara  : QuatriĂšme Ăcuyer;  Choeur et MaĂźtrise du Capitole ; Choeur de lâOpĂ©ra national de Montpellier-Occitanie ; Alfonso Caiani : chef de choeur ; Orchestre national du Capitole ; Direction musicale : Franck Beermann. Photos : © Cosimo Mirco Magliocca – Retransmission sur France Musique le 29 fĂ©v 2020, 19h.