DVD, Blu ray, critique. TURANDOT : Wilson / Luisotti (BelAir classiques). Gestuelle statique et frontale, pas mesurés et saccadés, lumière diffuse (lunaire pour le premier acte) : l’imaginaire visuel et cette apologie de mouvements épurés à l’économie, défendus depuis des lustres (souvent de façon systématique) par Bob Wilson fonctionnent indiscutablement ici : l’univers d’une Chine terrorisée par la princesse sanguinaire, où la foule malmenée par les guerriers impériaux s’ébranle au diapason de la meule qui aiguise la lame du bourreau… tout est magnifiquement dit dès le premier tableau : les êtres sont réduits à des mouvements d’automates, précisément muselés par un régime tyrannique.
Dans ce tableau létal et glaçant, morbide totalement déshumanisé, les 3 ministres des rites agissent comme des bouffons qui détendent singulièrement la tension ambiante : les 3 masques réalisent l’incursion de la commedia dell’arte dans cette barbarie collective où flotte comme une ombre la figure tutélaire de Turandot princesse hallucinante qui peut n’avoir jamais existé ! Ils tentent de déchirer la possession qui s’est saisie du cœur du prince Calaf après avoir vu la princesse inaccessible. Ainsi l’univers du conte de Goldoni, est il visuellement bien restitué, subtile équation entre exotisme, cruauté, onirisme.
Côté voix, qu’avons-nous ? Le prince Calaf, un rien sage mais de plus en plus crédible au fur et à mesure de l’action (Gregory Kunde) ; Liu, son amoureuse éconduite, vocalement assurée (beaux aigus filés finaux de Yolanda Auyanet) ; le tableau qui ouvre le II, assure idéalement les lamentations nostalgiques des 3 ministres usés (Ping, Pang, Pong) fatigués par l’application des rites imposés par l’impossible princesse vengeresse. Les 3 chanteurs composent un trio passionnant, belle et unique incursion de l’humain (avant le duo amoureux final) dans une fresque mécanique animée par des figurines statiques. Irene Theorin a longtemps chanté le rôle-titre, hélas ici dans une forme réduite ; souvent sans graves et aux lignes et phrases courtes. Le chant est tendu, sans guère de vertiges : pourtant Puccini a su exprimé la solitude d’une jeune femme qui venge sincèrement le viol de son ancêtre Lo U Ling et qui s’en pétrifiée en une asexualité monstrueuse. Puis, la même âme frigide s’ouvre enfin à l’amour, incarné par Calaf, le prince messianique qui délivre tous et toutes du poids des contraintes.
On regrette souvent la direction dure et parfois grandiloquente du chef Luisotti qui n’éclaire pas suffisamment ce colorisme génial d’un Puccini souvent ivre de timbres impressionnistes. Globalement malgré les quelques réserves émises, cette production reste un très bon spectacle.
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+ d’infos sur le site de l’éditeur BelAir classiques:
https://belairclassiques.com/
Page TURANDOT / Wilson / Luisotti – Teatro Real Madrid, 2018
https://belairclassiques.com/film/puccini-turandot-bob-wilson-nicola-luisotti-gregory-kunde-irene-theorin-teatro-real-madrid-dvd-blu-ray
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