BACH by BILL. Compte rendu, CUENCA (Espagne, Castilla-La Mancha). 55Ăšme Festival de musique religieuse, Auditorio, jeudi 24 mars 2016. JS BACH : Messe en si mineur. Les Arts Florissants, William Christie. Sommet musical Ă Cuenca. On l’attendait impatiemment, cette nouvelle lecture de la Messe en si de Bach par William Christie. C’est absolument le bon timing pour le chef fondateur des Arts Florissants. Une premiĂšre d’autant plus attendue Ă Cuenca, pour le festival de musique religieuse que le concert inaugure une tournĂ©e dĂ©sormais marquante dans l’histoire de l’Ensemble qui passera par Paris (Philharmonie, ce 26 mars soit demain) puis Versailles (Chapelle royale), avant les autres dates dont Ă nouveau l’Espagne, Ă Barcelone en juin prochain.
ImmĂ©diatement ce qui frappe c’est l’Ă©nergie juvĂ©nile que Bill insuffle Ă son orchestre d’une formidable ductilitĂ© expressive et aux chanteurs formant le choeur des Arts Florissants. La vitalitĂ© du geste sait ĂȘtre dĂ©taillĂ©e, analytique sans omettre la profondeur et la justesse des intonations, ce pour chaque sĂ©quence. Il en dĂ©coule une vision architecturale d’une clartĂ© absolue qui Ă©claire d’une lumineuse façon toute la structure de l’Ă©difice ; comme s’il s’agissait d’en souligner la profonde unitĂ©, l’irrĂ©sistible cohĂ©rence, alors qu’il s’agit d’un cycle que Bach a conçu sur 25 ans, sans concevoir a priori la fabuleuse totalitĂ© que nous saluons aujourd’hui.
Dans la Messe en si mineur de Bach, les Arts Florissants signent une lecture jubilatoire, ardente et juvénile,
Bouleversant Bach de Bill
Parmi les joyaux de cette rĂ©alisation, soulignons l’Ă©blouissante comprĂ©hension de la Messe dans sa globalitĂ©, comme l’intelligence des enchaĂźnements des sĂ©quences solistiques, chorales, instrumentales… car si l’on prend presque toutes les entrĂ©es des arias, ce sont les instruments (flĂ»tes, hautbois d’amour, violon…) qui sont aux cĂŽtĂ©s des chanteurs, particuliĂšrement exposĂ©s. Sous la direction de William Christie, les vertigineux contrastes d’un Ă©pisode l’autre, se rĂ©vĂšlent avec une acuitĂ© dramatique exceptionnelle ; chaque choeur d’une exultation jubilatoire, affirme le sentiment d’avoir franchi un seuil dans l’ascension de la montagne. Peu Ă peu, chaque Ă©pisode choral marque les jalons d’une Ă©lĂ©vation collective, – gradation d’une ascension, emportant musiciens et public, en un continuum ininterrompu de prĂšs d’1h30mn.
Le Kyrie initial affirme l’ampleur de la vision Ă la fois “sereine et gĂ©nĂ©reuse” pour reprendre les mots du Maestro ; et ce sentiment de solennitĂ© est enrichi par la profondeur et un souffle irrĂ©pressible. Puis les choeurs (Gloria in excelsis Deo, avec l’Ă©clat de la trompette ; Gratias agimus tibi ; Cum Sancto Spiritu…) affirment l’avancĂ©e de l’assemblĂ©e des croyants : tout un monde nouveau, Ă©blouissant les attend au sommet des cimes Ă©voquĂ©es. MaĂźtre des contrastes, Bill cisĂšle l’expressivitĂ© mordante des solos, en particulier, Ă l’inquiĂ©tude tenace du contre-tĂ©nor (premier air : Qui sedes), la certitude bienheureuse du croyant dans la joie incarnĂ©e par la basse (air qui suit immĂ©diatement : Quoniam tu solus Sanctus). Ces contrastes -magnifiquement enchaĂźnĂ©s-, relĂšvent d’une maĂźtrise absolue de l’Ă©loquence, mais aussi, qualitĂ© davantage explicite chez le fabuleux choeur, celle d’une exceptionnelle intelligibilitĂ© : maĂźtre de la dĂ©clamation française, William Christie se distingue plus encore chez Bach, par un souci inouĂŻ du texte dont on comprend et saisit chaque mot ; d’ailleurs le travail du choeur est l’autre point fort d’une approche inoubliable : le chef mĂ©lange les chanteurs, comme un peintre, sur sa palette, obtenant des couleurs, des accents, des combinaisons d’une Ă©tonnante activitĂ© linguistique. C’est tout d’un coup l’armĂ©e des chĂ©rubins qui fourmille dans un ciel misĂ©ricordieux, une nuĂ©e scintillante et linguistiquement miroitante dont le raffinement n’avait jamais atteint Ă ce degrĂ© de finesse comme d’Ă©lĂ©gance. Autre temps fort de la Messe, le surgissement de la mort, aprĂšs le duo Et in unum Dominum Jesum Christum (du Credo) : sur les mots : “Crucifixus etiam pro nobis”, le choeur fait basculer le cycle dans la gravitĂ© lugubre, un gouffre noir et sombre sans lumiĂšre s’ouvre Ă nos pieds : dĂ©pression collective, amertume imprĂ©vue, inquiĂ©tude et angoisse… L’impact est foudroyant et la justesse du geste, irrĂ©sistible.
L’ensemble des solistes reste convaincant, mais c’est essentiellement la parure orchestrale, la trĂšs haute tenue de chaque soliste instrumental (palmes spĂ©ciales Ă la corniste qui accompagne la basse dans le premier air dĂ©jĂ citĂ©) qui convainc. Le choeur est l’autre protagoniste clĂ© de cette rĂ©alisation exemplaire : l’exaltation, la justesse, l’articulation, l’Ă©lan gĂ©nĂ©ral qui convoque l’assemblĂ©e des croyants s’imposent Ă nous sans artifice. Et d’une rayonnante ivresse juvĂ©nile.
Quant au maestro, son engagement Ă dĂ©fendre l’universalitĂ© de la partition (d’une vĂ©ritĂ© oecumĂ©nique), sa profonde poĂ©sie comme son dramatisme hautement expressif… tout s’accordent Ă ciseler une lecture essentiellement cohĂ©rente et unitaire. Sans omettre nous le soulignons un art remarquable des enchaĂźnements dont la succession des Qui tollis peccatis (grave et intĂ©rieur), Qui sedes (pour haute contre), enfin Quoniam tu solus Sanctus (basse) surprend par la ductilitĂ© des passages ; un lien d’une indĂ©fectible plasticitĂ© reliant les Ă©pisodes l’un Ă l’autre, comme s’il s’agissait des volets d’un mĂȘme et seul retable. Tour Ă tour, l’auditeur passe de l’interrogation profonde Ă l’exultation contagieuse en une continuitĂ© bouleversante par sa sincĂ©ritĂ©. L’expĂ©rience est exaltante et mĂ©morable ; elle a fait l’Ă©vĂ©nement Ă Cuenca ; en fin de concert, le public conquis a rĂ©servĂ© une ovation lĂ©gitime et tenace au formidable ensemble des Arts Florissants. C’est en effet le grand retour de William Christie Ă Cuenca, depuis plus de 10 annĂ©es. Programme en tournĂ©e (Paris, Philharmonie le 26 mars 2016 ; Versailles, Chapelle royale, le 27 mars ; Barcelone, le 16 juin ; Leipzig, le 19 juin…), Ă ne pas manquer. Voir les dates sur le site des Arts Florissants.
Compte rendu, concert. CUENCA (Espagne), 55Úme Festival de musique religieuse. Jean-Sébastien Bach : Messe en si mineur BWV 232. Katherine Watson, Tim Mead (contre-ténor), Reinoud van Mechellen (ténor), André Morsch (basse). Les Arts Florissants (Choeur et Orchestre). William Christie, direction