ENTRETIEN avec VINCENT MOREL, directeur artistique du festival Bach en Combrailles. A propos de lâĂ©dition 2021, celle des 22 ans du Festival Bach en Combrailles. Rappel des singularitĂ©s et des enjeux du « premier festival en France », nichĂ© au cĆur de son territoire (lâAuvergne) et dĂ©diĂ© Ă lâĆuvre de Jean SĂ©bastien pour laquelle lâorgue de lâĂ©glise de Pontaumur apporte son Ă©clairage spĂ©cifique. Les vertus de lâapproche historique sâaccordent aussi Ă la dĂ©fense de programmes rares et originaux rĂ©alisĂ©s en complicitĂ©s avec les ensembles et formations de la nouvelle gĂ©nĂ©ration dâinterprĂštes⊠PrĂ©sentation du cycle estival et de sa ligne artistiqueâŠ
________________________________________________________________________________________________
CLASSIQUENEWS : Sur le plan du rĂ©pertoire que vous proposez, quels volets de l’Ćuvre de JS Bach privilĂ©giez vous ? En quoi la configuration spĂ©cifique de l’Ă©glise de Pontaumur oĂč se dĂ©roulent les concerts, oriente-t-elle vos choix artistiques ?
VINCENT MOREL : Bach et la musique allemande sont le creuset du projet artistique du festival. Notre public vient pour cela et pas pour autre chose, il est donc important de conserver cette ligne artistique. Je crois aussi que notre situation en milieu rural nous invite particuliĂšrement Ă conserver cette spĂ©cificitĂ© car elle est garante de notre identitĂ©. On sâintĂ©resse Ă ce qui se fait dans ce petit coin dâAuvergne, car ça ne se fait pas ailleursâŠ! Etre visible et lisible : ce sont lĂ deux enjeux qui me guident.
Dans la musique de Bach nous ne proposons par exemple que trĂšs peu de transcription Ă dâautres types dâinstruments. On sait pour autant Ă quel point Bach sonne merveilleusement avec tous les instruments, mais en tant que premier festival Bach en France nous nous devons de prĂ©senter les Ćuvres dans une approche historique qui soit la plus fidĂšle. Nous sommes aussi lĂ pour accompagner les ensembles et artistes dans leur exploration de lâĆuvre de Bach. Je suis trĂšs attachĂ©, chaque annĂ©e, Ă ĂȘtre co-producteur, ou producteur unique de plusieurs projets dans ce sens. Ce fut le cas les annĂ©es passĂ©es avec lâEscadron Volant de la Reine, avec Jean-Luc Ho et cela sera encore le cas cette annĂ©e avec Les Timbres pour un projet spĂ©cifique autour de Telemann et avec Lâensemble Artifices pour un projet autour de la Cantate des Paysans.
Enfin lâorgue de Pontaumur. Cette rĂ©plique unique au monde dâun des orgues de Bach, celui dâArnstadt, est la signature artistique du festival (mais aussi visuelle !). Jouer toutes les cantates avec le continuo rĂ©alisĂ© au grand-orgue : câest un enjeux artistique gĂ©nial et qui renouvelle complĂštement lâapproche artistique de ces Ćuvres. Nous devons aussi inviter les ensembles Ă une exploration plus fine du rĂ©pertoire tant lâĆuvre des cantates de Bach est gigantesque, mais finalement mal connue en dehors des 20 / 30 cantates les plus jouĂ©es⊠sur 250 !
Lorsquâen 2019 nous avons fĂȘtĂ© les 20 ans du festival, la crĂ©ation de la cantate Nun Kom que nous avons passĂ©e Ă Philippe Hersant a Ă©tĂ© pensĂ©e pour et avec cet orgue : il doit ĂȘtre Ă la base de nos projets les plus significatifs. Nous allons mener une campagne de travaux Ă lâautomne (nĂ©cessaires comme pour tous instruments tous les 15, 20 ans) oĂč nous allons revoir toute lâharmonisation. Cet orgue doit devenir un passage obligĂ© pour tous les prochains enregistrement de cantates de Bach⊠quâon se le dise !
Enfin, un festival qui ne regarde pas les artistes de son territoire passe Ă cĂŽtĂ© de quelque chose dans son identitĂ© propre. La prĂ©sence de lâOrchestre national dâAuvergne et cette annĂ©e du ChĆur rĂ©gional dâAuvergne sont deux formations qui ont toute leur place dans la programmation : car cela Ă un sens pour notre public auvergnat.
ETRE VISIBLE ET LISIBLE,
SâADAPTER, SE RENOUVELERâŠ
CLASSIQUENEWS : Avec la pandémie et les mesures sanitaires imposées par la covid, comment le festival a t il fait évoluer son offre ?
VINCENT MOREL : Adaptation : câest le maĂźtre mot de tous les festival depuis 1 an ! Nous proposons cette annĂ©e une Ă©dition assez similaire aux regards des Ă©ditions passĂ©es, Ă ceci prĂšs quâil nây a pas de Nocturnes (habituellement dans des trĂšs petites Ă©glises mais en prĂ©vision des jauges rĂ©duites cela nâĂ©tait pas envisageable), et que nous avons dĂ» renoncer Ă deux projets de 2019, en raison de contraintes budgĂ©taires et logistiques. Au moment de construire la programmation, nous nâavions aucune idĂ©e des mesures sanitaires et des accompagnements financiers. Enfin, nous sommes aussi confrontĂ©s cette annĂ©e Ă lâimpossibilitĂ© de bĂ©nĂ©ficier de lâinternat dâun lycĂ©e professionnel basĂ© Ă Pontaumur, dans lequel nous logeons tous les artistes. Ce lycĂ©e est en dĂ©molition pendant quâun nouvel Ă©tablissement est en construction. Cette contrainte logistique a aussi pesĂ© dans notre organisation. Mais un festival itinĂ©rant en milieu rural, câest avant tout rĂ©gler des prĂ©occupations logistiques de la plus haute importance !
CLASSIQUENEWS : Que souhaitez vous que le festivalier vive le temps de son sĂ©jour en Combrailles Ă l’occasion du festival ?
VINCENT MOREL : Bach en Combrailles : câest Bach et les Combrailles. Jâaime beaucoup la « concentration » artistique que propose un festival sur une semaine, avec plusieurs Ă©vĂ©nements par jour. On se laisse porter de concerts en concerts, on traverse un territoire magnifique, on retrouve des lieux « amis » dans lesquels nous revenons tous les ans et dâautres que nous dĂ©couvrons. Et enfin, il y a ce temps rĂ©gulier et fixe des auditions dâorgue du midi. En deux jours un festivalier peut assister Ă quatre concerts, deux auditions dâorgue, un ou deux cafĂ©s-Bach et une ou deux nocturnes. Avec un festival aussi dense, nous avons donc un public fidĂšle avec lequel se noue de belles histoires. Jâaime Ă dire que le festival est adossĂ© Ă lâhumilitĂ©. Ici, pas dâabbayes du XIIe, pas de chĂąteau du XVIIIe siĂšcle. Nous nâavons rien de tout cela mais seulement des petites Ă©glises auvergnates humbles, trapues, robustes dans lesquelles la musique de Bach vient se donner, le tout dans la plus grande simplicitĂ© heureuse.
Passer une semaine, ou mĂȘme quelques jours avec Bach dans cet environnement, câest pour moi presque du domaine dâune retraite spirituello-musicale : prendre son temps, mĂ©diter, Ă©couter, observer. Donner au public ces moments dĂ©connectĂ©s du temps : la musique de Bach me semble une bonne voie et je crois que le public se retrouve totalement dans cette dĂ©marche.
________________________________________________________________________________________________
LâORGUE DE PONTAUMUR
rĂ©plique de lâorgue de JS Bach Ă Arnstadt
CLASSIQUENEWS : Vous avez passé le cap des 20 ans en 2019, comment faire évoluer le festival sans perdre ce qui le singularise depuis son origine ?
VINCENT MOREL : Si le festival, est (mais je ne suis sans doute pas le plus Ă mĂȘme pour le direâŠ) en bonne santĂ© artistique, il reste toutefois fragile dans sa structure associative et financiĂšre. Il devient en effet de plus en plus compliquĂ© et technique de faire porter autant un tel festival sur des bĂ©nĂ©voles. Au bout de 20 ans, il me semble raisonnable, en Ă©troite collaboration avec nos tutelles, de penser ensemble lâavenir de Bach en Combrailles et dâassurer sa consolidation.
En tant que directeur artistique, et assumant tout autant le dĂ©veloppement du projet, câest aussi de ma responsabilitĂ© dâĂȘtre mobilisĂ© sur ces questions. On ne peut plus faire la direction artistique dans son coin et laisser une Ă©quipe de bĂ©nĂ©voles assurer la mise en Ćuvre du festival. La question du bĂ©nĂ©volat est au cĆur de lâavenir de nos festivals : tout le monde constate sa fragilitĂ© et la crise sanitaire vient accroĂźtre ces problĂ©matiques. Sans aller vers un festival 100% professionnalisĂ© (ce qui nâest absolument pas souhaitable), il faut donc trouver un juste milieu.
La relation que nous attendons dâun festival avec son territoire nâest Ă mon avis plus la mĂȘme entre la fin des annĂ©es 90 et maintenant. Nous devons trouver les moyens dâune existence en dehors du festival : sous quelles formes, avec quels partenaires, pour quels projets de territoire ? : autant de questions fondamentales que je souhaite aborder Ă lâautomne avec nos partenaires.
Dâun point de vue plus artistique, les travaux que nous allons mener sur lâorgue Ă lâautomne vont permettre de redonner Ă cet instrument une pleine visibilitĂ©. Nous allons relancer lâAcadĂ©mie dâorgue que nous avons dĂ» mettre entre parenthĂšse ces derniĂšres annĂ©es par un projet qui soit davantage en lien avec le festival. Mais il faut aussi que cet orgue sâinscrive plus activement dans la vie musicale, hors du festival et dans une politique dâenregistrement soutenue, tant en solo que dans le cadre dâenregistrement de cantates de Bach. Sur ce point, jâaimerai quâon aille au bout du projet de la construction de cet orgue et poser la question de la tribune qui pourrait ĂȘtre agrandie afin de mettre vraiment un orchestre autour de lâorgue. En effet, nous jouons actuellement les cantates sous la tribune de lâorgue, mais il y a encore ces quelques mĂštres qui sĂ©parent lâorchestre et le chĆur de lâorgue et qui ne permettent pas de retrouver une osmose naturelle entre lâorgue et lâorchestre.
Nous aurions lĂ une configuration gĂ©niale et mĂȘme unique pour lâinterprĂ©tation des cantates de Bach : câest donc un enjeu artistique considĂ©rable.
Enfin, lâexpĂ©rience de la crĂ©ation de la cantate « Nun Komm » de Philippe Hersant en 2019, pour les 20 ans du festival fĂ»t une aventure passionnante. Je souhaite en effet lancer un nouveau projet de commande dâune cantate, pour chĆur, orchestre et orgue solo. La crĂ©ation vient nous bousculer et nous vivifier afin de poursuivre lâaventure dâun festival de musique ancienne âŠdans un monde moderne !
Propos recueillis en août 2021
________________________________________________________________________________________________
Photos : DR / © Festival Bach en Combrailles
Festival BACH EN COMBRAILLES, du 7 au 14 août 2021
https://www.bachencombrailles.com/