lundi 19 mai 2025

Sceaux (92). Théâtre Les Gémeaux, vendredi 16 janvier 2009. Joseph Haydn: L’Infedelta Delusa. Vespina, Claire Debono. Le Cercle de l’Harmonie. Jérémie Rhorer, direction. Richard Brunel, mise en scène.

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Burletta pétillante


L’un des caractères frappants de l’opéra de Haydn reste sa pétulance rythmique, une absence totale de temps morts, où l’orchestre, superbement mené par le jeune Rhorer, est à la fois mordant, souple, détaillé, dramatique. La production créée à Aix en juillet 2008 a « sauvé » une édition anniversaire (celle « historique »des 60 ans) bien fade hormis le volet wagnérien dirigé par Rattle.
A l’été 2008, dans la Cour de l’Archevêché, les festivaliers retrouvaient cette magie du théâtre classique, joyau d’intelligence psychologique sous couvert de comédie italienne, passant de Mozart depuis toujours l’enfant chéri du festival à, comme ici, Haydn. Jouer le compositeur Viennois en 2009 s’inscrit dans l’actualité: la nouvelle année marque en effet le bicentenaire de la mort de Joseph Haydn, et si l’on pense tout connaître de son oeuvre, ses opéras demeurent méconnus. Or nous voici, en 1773 (il a 41 ans), en présence d’une maître du buffa, qui ne s’autorise aucune concession à la facilité: ciselant même chaque air, se renouvelant aussi d’un bout à l’autre, dans une burletta écrite pour ses patrons Esterhazi.


Fratrie vengeresse

Dramatiquement et vocalement, l’action est dominée par le couple du frère Nanni (Andreas Wolf) et de sa soeur Vespina (captivante Claire Debono), héroïne libératrice qui tient et de Dorabella et de Despina: les deux personnages sont animés par la même soif de vengeance vis à vis de l’agent de la discorde, ce bellâtre bien doté Nencio, qui au départ fiancé de la jeune femme la délaisse pour séduire Sandrina qu’aime sans compter le pauvre Nanni. Convaincu par le bon parti du prétendant, le père de Sandrina (Filippo) exige de sa fille qu’elle repousse désormais toute avance de Nanni pour épouser… Nencio.
Toute l’action suivante consacre l’ingénuité délirante de la femme éconduite et trahie pour se venger de son ancien amoureux, et surtout empêcher que son frère ne perde celle qu’il aime… En vieille femme à proverbes, en valet allemand ivre (accent teutonique à l’appui), en faux notaire (ainsi le Cosi de Mozart, postérieur, n’est pas loin) et en aristocrate louislequartozien (Marquis de Ripafratta), Claire Debono exulte, éblouit par un jeu tout en finesse, par un tempérament facétieux qui se glisse dans chaque rôle travesti avec délices, mêlant tendresse et espièglerie voire âpreté bouffone. A ses côtés, son frère Nanni (Andreas Wolf) fait valoir une voix bien placée et musicale, prometteuse. Et la piquante Sandrina (Ina Kringelborn) ne manque pas non plus d’assurance ni d’agilité musicale. Hélas, le plateau faiblit côté ténors: ni Filippo (Yves Saelens qui certes remplace le jeune chanteur initial) ni (Nencio) James Elliott ne parviennent à relever a contrario de leurs partenaires, la vitalité plurielle de leurs rôles, trahis souvent par des aigus plus que limités.

La mise en scène de Richard Brunel, volontiers actualisante, qui inscrit les lieux de l’action dans un univers inhumain, dans plusieurs cages de métal, se joue des effets de silhouettes en contrejour, du tranchant des instruments des champs, serpes et faucilles… comme pour mieux affûter le mordant des situations. Le metteur en scène réussit à souligner la progression de la pièce, marquée au premier acte par l’autorité du père, marieur inflexible de sa fille; puis au second, par la figure lumineuse et inventive de Vespina, qui d’ailleurs, au début de l’acte II, dans la nuit toscane, prend la torche des mains de Filippo, réglant tout l’orchestre d’une nouvelle impulsion, selon sa propre vision bientôt vengeresse.
On oubliera certains effets pas toujours cohérents comme la chute des particules blanches sur les personnages… que chacun s’évertue à ratisser ensuite. Brunel opte pour une vision sociale de la pièce, insistant sur la naissance misérable et pauvre des paysans sans le sou, Vespina et son frère Nanni, que porte un désir ardent d’élévation sociale en « assiégeant » la maison situé en hauteur du riche Filippo et de sa fille Sandrina (laquelle ne cesse d’ailleurs de décrier le luxe et les richesses si l’amour véritable est sacrifié…). Mais le rapport des personnages entre eux, violents et tendus, est explicite; et les airs de solitude et de dénuement dominent ici la langueur et le sentimentalisme. Tout découle d’une blessure, celle de Vespina, trahie par Nencio. Son premier air, où la jeune femme exprime ses doutes amoureux tout en éviscérant une carcasse dévoile cette école cynique et crue de la guerre amoureuse.

En excluant le déséquilibre de la distribution vocale, le spectacle fonctionne idéalement. L’esprit du buffa, en sa légèreté subtilement dénonciatrice, est superbement incarné. Claire Debono demeure la révélation de la soirée et Le Cercle de l’Harmonie conduit par son chef virtuose, pétille du début à la fin, d’une vive et rare intelligence. Spectacle délectable.

Sceaux (92). Théâtre Les Gémeaux, vendredi 16 janvier 2009. Joseph
Haydn: L’Infedelta Delusa
(créé le 26 juillet 1773, à Esterhaza,
Hongrie). Burletta per musica en deux actes. Livret adapté d’un livret
de Marco Coltellini. Avec Vespina, Claire Debono. Sandrina, Ina
Kringelborn. Nencio, James Elliott. Filippo, Yves Saelens. Nanni,
Andreas Wolf. Orchestre Le Cercle de l’Harmonie. Jérémie Rhorer,
direction. Richard Brunel, mise en scène.

Illustrations: L’Infedelta Delusa 2008. Claire Debono (DR)

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