Depuis que Riccardo Muti collabore avec Jürgen Flimm (directeur artistique du Festival de Salzbourg), la cité autrichienne vit le temps de la Pentecôte à l’heure napolitaine. 2008 est la seconde année où chef et directeur s’entendent à merveille pour révéler les oeuvres du patrimoine musical napolitain. Et d’ailleurs, forts du succès recueilli auprès du public, les deux personnalités qui dirigent la programmation des festivals Salzbourgeois, le déjà nommé Jürgen Flimm et Markus Hinterhäuser, ont décidé de prolonger la contribution de Riccardo Muti pour le festival de Pentecôte jusqu’en 2011… Rien de plus naturel en vérité que cette italianisation car Muti, napolitain de coeur y dévoile avec passion le patrimoine de sa ville natale, et Salzbourg, « Rome du nord », a toujours aimé succomber aux charmes de l’Italie, comme en témoigne le goût de ses princes-archevêques. Bien avant Mozart et l’indigne Colloredo, Wolf Dietrich von Rattenau, Markus Sitticus (créateur de la villa méditerranéenne d’Hellbrunn, à 6 km de Salzbourg), Paris Londron ont édifié une ville sur le modèle romain et toscan. Rien de plus évident donc que d’écouter I pellegrini al Sepolcro di Nostro Signore de Hasse dans l’église de l’Université (dimanche 12 mai 2008) par exemple, ou surtout, l’opéra buffa oublié de Paisiello, Il Matrimonio Inaspettato, les 9 et 11 mai 2008 dans la grande salle de la Maison pour Mozart (Haus für Mozart).
Salzbourg au diapason napolitain
Avec ce déplacement géographique, de Rome à Naples, le goût observe une tendance nettement plus marquée pour la farce et la truculence. Né en 1740, Paisiello connaît son premier grand succès à 26 ans (1766) avec Vedova di bel genio. Le compositeur exporte partout dans le monde, jusqu’à Saint-Pétersbourg, la formule théâtrale des opéras napolitains où triomphe l’esprit parodique, la drôlerie délirante de la Commedia dell’arte. Auteur de La Serva Padrona, du premier Barbier de Séville (que celui de Rossini détrôna, l’année même de la mort de Paisiello, en 1816), le musicien combine de façon astucieuse tous les éléments clés de l’opéra bouffe: identité usurpée (Vespina se fait passée pour la Contesse Sarzana), père ridicule autant qu’autoritaire (Marquis Tulipano), guerre des sexes (confrontation finale entre la vraie Contessa di Sarzana et Tulipano père), parodie sociale (tableau du II lorsque Tulipan père apprend la révérence à Tulapino fils)…
La partition qui nous semble aujourd’hui parfois bon
enfant, plus proche des tréteaux de la Foire que de la ciselure
psychologique, dévoile en vérité le métier de Paisiello, maître des
situations théâtrales, en particulier comiques, qui doit se conformer
strictement à Saint-Pétersbourg au goût dicté par la Tsarina Catherine:
action simple pour ne pas dire simpliste (bien peu de courtisans de la
Cour impériale russe maîtrisent les subtilités de l’italien), facilité
mélodique, durée totale n’excédant pas deux heures. Confronté à ces
cadres précis et incontournables, le compositeur nous laisse un art
fait de concision, d’efficacité, de synthèse. Ainsi d’après le texte de
Pietro Chiari, poète librettiste réputé à l’époque de la Venise de
Goldoni, soit au début des années 1760, Paisiello concocte une pièce
fulgurante, resserrée, emportée comme une géniale bambochade: un
quatuor vocal, deux sopranos, deux barytons…, deux actes parfaitement
équilibrés qui agencent les tableaux drôlatiques de façon progressive,
sans redite ni chute de tension. Il en résulte ce joyau conçu en
Russie, dans un style napolitain authentique, créé à Saint-Pétersbourg
en 1779.
Le metteur en scène Andrea De Rosa imagine avec beaucoup de justesse un drame de voisinage, admirable par ses excès et ses pointes critiques sur la nature humaine. L’action déroule son cycle de péripéties où le détail et l’anecdote signifient autant que la musique: dans ce mariage inaspettato, le spectateur retrouve ce théâtre critique, à la fois satirique et comique des gravures et peintures de William Hogarth. La force du spectacle réside essentiellement dans le choix des protagonistes, soutenus de bout en bout par un orchestre d’une maîtrise absolue: mise en place, précision dynamique, unisson des cordes, relief contrôlé des bois (moindre engagement des cuivres cependant)… le caractère et la douceur qu’obtient Muti de « sa » phalange (Orchestra Giovanile « Luigi Cherubini ») offrent une lecture particulièrement vivante d’une partition mécanique fondée essentiellement sur la répétition. Les voix rehaussent davantage un théâtre vocal qui, s’il est parfois caricatural, permet cependant la vérité du sentiment. De ce point de vue, les deux barytons (Tulipano père et fils) sont excellents et la (vraie) Contessa di Sarzana (Marie-Claude Chappuis), reste bouleversante en femme humiliée, outragée (finalement épousée).
Dans la grande salle de la Maison pour Mozart (« Haus für Mozart« , inaugurée en 2006), à l’acoustique impeccable qui fait ressortir toutes les nuances que le chef napolitain sait ciseler tout au long de la partition, ce Mariage Inattendu démontre et l’excellent travail musical opéré par Muti et ses troupes, et l’affinité du programme choisi avec l’audience visiblement conquise à la fin de la représentation. Riccardo Muti qui dirigera à l’été 2008, pour le prochain Festival estival de Salzbourg, Otello de Verdi et La Flûte Enchantée de Mozart, a trouvé son public. Soulignons la continuité de la thématique napolitaine lors du Festival de Pentecôte 2009 (29 mai – 1er juin 2009): Riccardo Muti dirigera Demofoonte de Niccolo Jommelli (1770), Missa Defunctorum de Giovanni Paisiello. L’édition s’annonce même exceptionnelle: aux côtés du nouveau chef du Symphonique de Chicago, Fabio Biondi et Europa Galante joueront Il Faraone sommerso de Francesco Nicola Fago et les français Philippe Jaroussky et Jean-Christophe Spinosi (Ensemble Matheus) aborderont un cycle d’airs et d’oeuvres instrumentales signés Porpora, Vinci, Hasse et Leo. Avant le Festival estival, le week-end de la Pentecôte à Salzbourg, s’inscrit désormais dans l’agenda des événements musicaux incontournables. Grâce au travail de Riccardo Muti, l’événement offre une occasion unique d’y écouter les oeuvres méconnues du patrimoine musical.
Salzbourg. Maison pour Mozart, dimanche 12 mai 2008 à 19h30. Giovanni Paisiello (1740-1816): Il Matrimonio Inaspettato, dramma giocoso (1779). Alessia Nadin (Vespina), Marie-Claude Chappuis (Gräfin von Sarzana), Markus Werba (Giorgino ou Tulipano fils), Nicola Alaimo (Tulipano), Salzburger Bachchor. Orchestra Giovanile « Luigi Cherubini ». Riccardo Muti, direction. Andrea De Rosa, mise en scène.
Les réservations sont déjà ouvertes sur le site du Festival de Pentecôte 2009. Tout le programme et la billetterie en ligne sur le site www.salzburgerfestpiele.at
Crédits photographiques: (1) Gräfin von Sarzana (Marie-Claude Chappuis). (2) Tulipano, fils et père (à gauche: Markus Werba, et à droite, assis, Nicolai Alaimo) © Salzburger Festpiele 2008, Silvia Lelli.