Un Roi Carotte qui prend l’eau
Trente-et-unième édition du Festival de Saint-Céré, toujours aussi familial et accueillant. Cette année, honneur est fait au répertoire romantique, avec trois œuvres de cultures très différentes : Eugène Onéguine dans la nouvelle production d’Eric Perez, Rigoletto dans une reprise de la vision noire et angoissante de Michel Fau, et, ainsi que ce soir, une reprise du féérique et rarissime Roi Carotte d’Offenbach vu par Olivier Desbordes, directeur du festival depuis sa naissance en 1980.
Devant le superbe Château Saint-Etienne d’Aurillac, les tréteaux sont montés, presque du théâtre de foire dans la plus belle tradition, une vision des arts de la scène qui rend ce festival unique et renforce sa dimension à la fois intime et populaire.
Le vent souffle en rafales, mais la représentation ne semble pas menacée. Le public prend place dans les gradins, et la comédie peut s’animer,
La réduction orchestrale réalisée pour deux cordes, deux bois, deux cuivres et percussions se tient parfaitement et permet de profiter de la prodigieuse inventivité mélodique du compositeur.
Créé en 1872 à la Gaité Lyrique, le Roi Carotte se pose comme une satire féroce du régime impérial du Second Empire qui vient de s’achever avec la défaite de Sedan en 1870. Dans ce récit aussi fantastique que délirant, le prince Fridolin XXIV est renversé et banni par le Roi Carotte créé par la sorcière Coloquinte, et se voit contraint, aidé par le malin Robin Luron et la délicieuse Rosée du Soir, à traverser une série d’épreuves et de continents étranges, des ruines de Pompéi au pays des insectes, afin de trouver l’anneau de Salomon qui lui permettra de reconquérir son trône.
Olivier Desbordes a imaginé une scénographie simple, faite de praticables entourant et surplombant les instrumentistes, et les costumes créés par Jean-Michel Angays et Stéphane Laverne émerveillent par leur inventivité et leur fantaisie bariolée, à l’instar de celui du Roi Carotte.
Les dialogues ont été largement actualisés, afin de garder leur charge féroce et corrosive, et c’est toute la classe politique qui en prend pour son grade, aussi bien à droite qu’à gauche, avec une prédilection non dissimulée pour le président actuel et ses phrases-chocs. Les piques font mouche et le public rit aux éclats.
Sous la baguette alerte et enjouée de Dominique Trottein, c’est une vraie troupe qui s’anime sur les planches, soudée et complice, des habitués du festival qui se retrouvent. Agnès Bove incarne un irrésistible Robin Luron, étrange et
malicieux, menant le jeu et semblant tirer les ficelles de l’intrigue, alors qu’Anne Barbier donne vie à une Cunégonde plus bourgeoise que nature.
Le prince Fridolin d’Eric Vignau ne fait qu’une bouchée de sa partie vocale et se montre parfaitement à sa place. On ne peut également que se laisser séduire par la Rosée du Soir délicieusement coquine de Cécile Limal, femme et petite fille à la fois, phrasant remarquablement son air, et évoquant déjà Olympia des Contes d’Hoffmann. La sorcière Coloquinte est croquée avec force par Nathalie Schaaff, et Jean-Claude Sarraggose fait une fois de plus admirer la beauté de son timbre. Mais c’est le Quiribibi de Christophe Lacassagne qui marque les esprits, copie parfaite du couturier Karl Lagerfeld, catogan blanc, éventail et accent allemand compris. Le Roi Carotte de Frédéric Sarraille surprend et amuse par la voix étrange et éraillée qu’il prend, et c’est d’ailleurs dès son entrée, accompagné de ses fidèles sujets légumes, que le tourbillon de folie du spectacle s’élève.
Quelques gouttes de pluie laissent planer une ombre au-dessus d’Aurillac, mais le spectacle continue, et les jeux de mots relatifs à la météo fusent, dans une belle improvisation de la part des chanteurs présents sur scène.
Malheureusement, alors que le prince Fridolin et son équipe partent pour Pompéi, et que l’esprit véritablement fantasque et fantastique de l’œuvre s’annonce, les cieux se déchaînent, et déversent soudain des trombes d’eau sur le château. Le public s’enfuit sans demander son reste, les costumes sont évacués, les artistes et musiciens courent se mettre à l’abri, et la représentation s’arrête net, à notre grande déception.
Une soirée qui s’annonçait joyeuse et prometteuse, mais qui, à sa moitié, est littéralement tombée à l’eau. Mais ce n’est sans doute que partie remise, en attendant une reprise de ce spectacle haut en couleurs.
Saint-Céré. Place du Château Saint-Etienne d’Aurillac, 2 août 2011. Jacques Offenbach : Le Roi Carotte. Livret de Victorien Sardou. Avec Le Roi Carotte : Frédéric Sarraille ; Le prince Fridolin : Eric Vignau ; La Princesse Cunégonde : Anne Barbier ; Robin Luron : Agnès Bove ; Rosée du Soir : Cécile Limal ; Pipertrunk : Jean-Claude Sarragosse ; Quiribibi : Christophe Lacassagne ; La Sorcière Coloquinte : Nathalie Schaaff ; Truck : Jean-Pierre Chevalier ; Corinne : Anne-Sophie Domergue ; Medula : Caroline Bouju ; Carmena : Fabienne Masoni ; Carion : Yassine Benameur ; Track : Philippe Pascal. Orchestre du Festival. Direction musicale : Dominique Trottein. Orchestration : Stephane Pelegri. Mise en scène : Olivier Desbordes. Décors et lumières : Patrice Gouron ; Costumes : Jean-Michel Angays et Stéphane Laverne ; Création maquillages : Pascale Fau