Alice Orange a pour son premier festival à la tête du Festival de Sablé concocté un programme où découverte et diversité permettent au public de s’ouvrir à de nouveaux mondes, renouvelant ainsi ce sentiment que l’univers de la musique ancienne a encore de nombreuses merveilles à offrir. Parmi les invités de cette année, le Poème Harmonique est l’ami fidèle de ce rendez-vous incontournable de l’été. C’est avec leur tout dernier programme particulièrement original et exceptionnel qu’ils se sont présentés à nous.
Caligula, le théâtre est un songe
Créé en 2011 à Charleville-Mézières à l’occasion du Festival mondial des théâtres de Marionnettes, Caligula delirente est une union quasi idéale des arts de la scène : musique, chant, marionnettes. C’est aussi et avant tout un poème épique, dramatique et onirique, grâce auquel Vincent Dumestre, nous enlève jusqu’au royaume des illusions. Si à l’origine cet opéra baroque composé en 1672, fut conçu pour de vrais chanteurs, les opéras avec de petits acteurs de bois étaient fréquents à l’époque à Venise. Redécouvert par Vincent Dumestre à la Marciana (la bibliothèque de la Cité des Doges), cette œuvre qui connut un immense succès à son époque, est la quintessence même de ce qui caractérise l’opéra à Venise au XVIIe siècle. On y retrouve un thème essentiel de l’âme baroque et de ces tourments: la Folie. Son compositeur Giovanni Maria Plagliardi, gênois d’origine, servit les Médicis. Il fut surtout reconnu à époque comme un compositeur d’opéra. Et c’est d’ailleurs Caligula qui lui valut la célébrité. Si à l’origine l’œuvre durait plus de trois heures, Vincent Dumestre l’a adapté afin que ce petit joyau baroque, puisse toucher le public contemporain.
L’argument de la folie amoureuse, voir de la folie tout court, gouverne les affects des personnages. Caligula empereur romain, marié à Cesonia, tombe amoureux de la belle reine de Mauritanie, Teosona. Cette dernière vient chercher sa protection après la disparition de son époux Tigrane. Le Roi des Parthes vaincu par Caligula et devenu son obligé, tombe également amoureux de cette belle étrangère, qui pour obtenir la protection de l’Empereur et sous les conseils de sa nourrice Gelsa, joue un jeu trouble, y compris lorsqu’elle découvre sous les traits d’un esclave, son mari. Cesonia follement amoureuse de son mari lui fait absorber un breuvage qui le rend dément, lui permettant après une mort salvatrice, de revenir à la vie en ayant retrouvé ses sentiments pour son épouse.
Tout ici nous emporte dans le domaine de l’illusion et y participe. Et tout d’abord le choix des acteurs de bois. Véritables œuvres d’art, fruits d’un artisanat et d’une tradition séculaire, où les saltimbanques et les conteurs, ouvraient les sphères étoilés dans les villages siciliens à un public qui ne demandait qu’à dépasser les horizons du quotidien et à ouvrir à l’irréel tous les champs du possible.
La disposition scénique vient ensuite, qui non seulement concerne les marionnettes, mais aussi les chanteurs qui leur prêtent leur voix, et l’orchestre. Les lumières subtiles de Patrick Naillet, créent ce sentiment du songe. La partition de Vincent Dumestre, irradie, nous accompagnant dans ce mouvement ascendant de la musique vers la scène. Rendant sensible la présence de Pagliardi. Les visages des musiciens et des chanteurs se détachent de la nuit, en des clairs-osbcurs qui la font tressaillir. Le décor de toiles peintes, conçu par Isaure de Beauval est surélevé. Il représente un palais à la taille des marionnettes, composé de cinq panneaux mobiles, qui s’habillent de soies scintillantes. Et des éléments, comme un trône, une table, une statue de Diane, viennent le compléter. Les marionnettistes de la Compagnie Figli d’Arte qui manipulent les petits personnages de bois, les pupi, virevoltent sur scène. Véritables virtuoses du mouvement, ils leur donnent vie. Les chanteurs placés sur le coté de la scène, jouent de la nuit et de la lumière, offrent leur cœur qui bat, avec une passion si brûlante, que l’amour passion qui dévore ces pupi à la folie en devient plus vrai. La mise en scène d’Alexandra Rubner d’une grande sensibilité, fait de l’illusion, le plus terrifiant ou le plus envoûtant des songes.
La complicité avec les musiciens du Poème Harmonique en contrebas de la scène, est enfin si palpable qu’elle est par la musique comme ce sang qui s’écoule dans les veines et enflamme les cœurs. Ils sont les passeurs, entre le monde du vrai et le monde du merveilleux. Les six musiciens sous la direction sensuelle et si poétique de Vincent Dumestre, nous font découvrir cette musique perdue, d’une grande intensité, si étrange avec ses chromatismes, ses fantaisies et ses couleurs.
Du plateau vocal, très homogène on retiendra tout particulièrement cet art du comique burlesque que le timbre de Serge Goubioud sait nous faire ressentir par le biais de ses deux personnages de domestique, qui vivent eux aussi des instants de pure émotion, comme Celsa la nourrice de la Reine de Mauritanie, dans son air « Cosi va », où il revient en voix naturelle, sans qu’aucune rupture stylistique n’apparaisse. Dans le rôle de Cesonia, Caroline Meng est splendide. Son timbre de velours, sa prosodie et sa projection si parfaite, sont un envoûtement qui fait de Cesonia, le personnage le plus bouleversant de cette fable. Sa jalousie, sa « folie » qui la conduit a quasiment perdre l’homme qu’elle aime, font battre les cœurs et vibrer la corde de nos âmes. Et son lamento final « S’a loccaso… », fait scintiller les larmes qui apaisent et redonnent vie.
La jeune Hassna Bennani déjà remarqué lors de l’Académie de la Pépinière des voix, tient ici toutes ses promesses, dans le rôle si pervers de Teosena, la reine de Mauritanie et Jean-François Lombard est un Tigrane sensible et séduisant. Olivier Coiffet qui reprend le rôle de Caligula doit encore vaincre sa timidité. Son timbre nous offre de beaux moments de poésie, tandis que Florian Götz, est un Artabano, le roi des Parthes, vaillant.
Voici donc un spectacle à voir absolument, tant il a de secrets à nous révéler. Ceux de nos rêves et d’une musique qui enchante nos tourments. Bravi aux artistes et à Vincent Dumestre, qui une de fois de plus, révèle en alchimiste les mondes invisibles qui se cachent au-delà ou par-delà les rideaux de l’illusion.
Sablé. Festival Edition 2012 (21 au 25 août 2012). Sablé sur Sarthe. Centre culturel. Le 22 août 2012. Giovanni Maria Pagliardi (1637-1702) : Caligula délirante , Opéra baroque et marionnettes sur un livret de Domenico Gisberti., adaptation de Vincent Dumestre. Mise en scène : Alexandra Rübner, Mimmo Cuticchio, Conception, manipulation et direction des marionnettes : Mimmo Cuticchio. Caligula, Olivier Coiffet ; Cesonia, Caroline Meng ; Artabano, roi des Parthes et Domitio, consul de Rome, Florian Götz, Tigrane, roi de Mauritanie et Claudio, fils de Domitio, Jean-François Lombard ; Hasnaa Benanni, Teosona, épouse de Tigrane ; Gelsa, nourrice de Teosena et Nesbo, serviteur de la cour, Serge Goubioud. Le Poème Harmonique, Compagnie Figli d’Arte Cuticchio, Direction et théorbe, Vincent Dumestre. Compte rendu rédigé par notre envoyée spéciale à Sablé, Monique Parmentier.