vendredi 29 mars 2024

Rouen. Théâtre des Arts, le 25 avril 2010. Thierry Pécou : L’Amour Coupable. Edwin Crossley Mercer, Jacqueline Mayeur,… Jean Deroyer, direction. Stephan Grögler, mise en scène

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D’après Beaumarchais


Troisième volet de la célèbre trilogie de Beaumarchais, après Le Barbier de Séville et Le Mariage de Figaro, La Mère Coupable n’avait inspiré que quelques rares compositeurs, dont Darius Milhaud. Thierry Pécou, compositeur français dans la lignée de Charpentier et Dutilleux, a offert à son tour, avec la complicité du librettiste Eugène Green, sa vision de cette pièce, au titre légèrement modifié pour devenir L’Amour Coupable.

Ainsi s’achève l’idée originale présentée par l’Opéra de Rouen, celle de réunir lors d’une même saison la totalité de la trilogie Beaumarchais, avec Il Barbiere di Siviglia de Rossini, Le Nozze di Figaro de Mozart, et le présent Amour Coupable, tous trois mis en scène par le même scénographe, Stephan Grögler, en un même imaginaire visuel.
L’œuvre narre les toujours tourbillonnantes aventures de la famille Almaviva, réfugiée à Paris durant la Terreur, vingt ans après les Noces.
Le Comte et la Comtesse ont eu deux fils dont seul vit encore le second, Léon, partageant un amour sincère avec la pupille du Comte, Florestine. Aiguillé par Bejart, le confident de sa femme, le Comte découvre que Léon est le fruit d’une liaison entre son épouse et Léon d’Astorga, mieux connu sous le surnom de Chérubin, mort à la guerre. Les révélations ne s’arrêtant pas là, Florestine apprend que, loin d’être la pupille du Comte, elle n’est autre que sa propre fille. Promise à une mort certaine par la duplicité et la traîtrise de Béjart, la famille est sauvée in extremis par une lettre de Chérubin, toujours en vie, et c’est avec stupeur que chacun découvre l’identité de la mère de Florestine : Suzanne. Pourtant, à l’instar des Noces, la pièce se finit dans le pardon et la réconciliation générale.
Histoire complexe et pleine de rebondissements dont Eugène Green a tiré un livret efficace, virevoltant et acerbe, mais au langage parfois rude, presque trop contemporain.

Ces mots, Thierry Pécou semble avant tout avoir cherché à les servir. Sa musique les éclaire et les souligne parfaitement. L’écriture apparaît éminemment personnelle, harmoniquement riche, d’une belle tension dramatique, dans un recitar cantando à la théâtralité évidente. Les ensembles achevant chaque acte sont en outre admirablement bien construits, en des architectures complexes et foisonnantes. Seul regret, un manque de courbures vocales, de lignes déployées, d’épanchements lyriques, d’un pathos que le compositeur refuse ouvertement.
A mi-chemin entre classicisme et surréalisme, la scénographie en apparence dépouillée imaginée par Stephan Grögler offre un écrin idéal à ce drame familial. Peuplé de mannequins vêtus des atours des personnages des précédents volets de la trilogie, cet univers étrange se révèle séduisant et fascinant.
La distribution réunie pour cette création sert la partition avec honneur, notamment du côté des hommes. La Comtesse de Jacqueline Mayeur se montre touchante, mais pourrait resserrer davantage son vibrato, à l’instar de la Suzanne pétillante de Gaëlle Méchaly. Natacha Kowalski croque une délicieuse Florestine, virtuose jusque dans ses pleurs, à la voix joliment conduite.
Léon Almaviva très crédible, Mathias Vidal joue avec finesse de sa belle voix de ténor léger, toujours élégant et musicien. Arnaud Marzorati se fond parfaitement dans le rôle ambigu et sombre d’Honoré Béjart, doté de la musique la plus froide. Sa prestation, tant vocale que scénique, force le respect: il se donne tout entier dans son personnage. En Figaro malicieux mais fidèle à ses principes, Matthieu Lécroart, après son Germont anthologique de Saint-Céré, déploie son timbre somptueux et sa musicalité parfaite. Vainqueur en 2007 du Concours International Nadia et Lili Boulanger, le jeune baryton Edwin Crossley-Mercer fait valoir la beauté de son instrument, sa diction incisive et la noblesse de son incarnation. Un nom à suivre de très près.
A la tête des forces de l’Opéra de Rouen, le chef Jean Deroyer tisse d’une main de maître le tapis sonore de cette machine dramaturgique implacable. Une belle découverte, visiblement très appréciée, qui mériterait d’être reprise ailleurs et connue par un public plus large.

Rouen. Théâtre des Arts, 25 avril 2010. Thierry Pécou : L’Amour Coupable. Livret d’Eugène Green d’après la pièce de Beaumarchais, La Mère Coupable. Avec Le Comte Almaviva : Edwin Crossley Mercer ; La Comtesse Almaviva : Jacqueline Mayeur ; Suzanne : Gaëlle Méchaly ; Figaro : Matthieu Lécroart ; Léon Almaviva : Mathias Vidal ; Honoré Béjart : Arnaud Marzorati ; Florestine : Natacha Kowalski ; Monsieur Loyal : Bruno Bayeux. Chœur et Orchestre de l’Opéra de Rouen Haute-Normandie. Jean Deroyer, direction ; Mise en scène et décors : Stephan Grögler. Décors et costumes: Dominique Seymat ; Lumières : Cyril Mulon ; Direction du chœur : Gildas Pugnier

Illustration: Thierry Pécou (DR)

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