samedi 20 avril 2024

Rossini: Moïse et Pharaon (Muti, 2003)2 dvd Arthaus Musik

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Au théâtre Arcimboldi, autre salle estampillée « Scala de Milan », le maestro Muti dirige en 2003, l’opéra remanié pour Paris, Moïse et Pharaon. A l’origine, c’est un compositeur hyperactif de 23 ans qui a Naples adapte l’épopée biblique à la demande du directeur du San carlo, Domenico Barbaia. Ainsi est créé Moïse in Egitto en 1818: ampleur de l’architecture et du plan lyrique, grande fresque orchestrale, et aussi acrobaties vocales des protagonistes… un plat trop consistant pour les « mangeurs de macaronis », dira le jeune loup réformateur du théâtre. Champion de l’opéra, Rossini, qui a triomphé dans le genre buffa avec Le barbier de Séville de 1816, montre une même virtuosité dans le genre historique, réclamant décors et foules, grandeur et passion exacerbées des protagonistes. Moïse conquiert Paris
L’opéra napolitain allait vivre une seconde carrière en France. Arrivé à Paris dès 1824, en pleine agitation romantique (quand Delacroix expose son flamboyant Sardanapale!), Rossini est prêt pour la grande machine et séduire le public parisien très amateurs de faste et de solennité vocale, chorale, symphonique. D’ailleurs, c’est Rossini qui crée l’opéra romantique français à partir de Guillaume Tell, son ultime opus lyrique.
Les années 1826 et 1827 au Théâtre Italien, voient l’essor d’un festival Rossini. Le jeune compositeur déjà célèbre, produit ses plus grands opéras pour convaincre les parisiens: Maometto secondo (1826, dans sa nouvelle version française rebaptisée Le Siège de Corinthe), puis en 1827, Moise in Egitto (chanté en italien dans sa version originelle de Naples), suivi à quelques jours à l’Opéra, de Moïse et Pharaon ou le Passage de la mer rouge, sa version réadaptée pour Paris, en 4 actes avec ballet, en français. Grâce à ses miracles et catastrophes (au I: pluie de feu; puis transformation de la pyramide en volcan; fuite des hébreux et partage des eaux par Moïse dans le final du IV, sans omettre le ballet à Isis du III), le succès fut tel que l’ouvrage, imposant, hollywoodien avant l’heure, fondant ses effets sur le choeur renforcé et la clarté des thèmes mélodiques (à la Gluck), fut repris sans discontinuité jusqu’en 1865!

A Milan, Muti choisit la version parisienne en français de 1827 sur un livret de Luigi Balocchi et Etienne de Jouy: habile défenseur de Cherubini, qui lui-même synthétise la leçon de Haydn et Gluck avec l’énergie de Beethoven, Muti s’entend à merveille à exprimer la grandeur de l’opéra qui portraiture dans sa version parisienne, la dignité du peuple élu, réduit à l’esclavage par l’Egypte, investi par un Dieu autoritaire: la mise en scène souligne les mouvements de foule, la noblesse de leur guide spirituel, Moïse (Ildar Abdrazakov, vocalement imposant mais fâché avec le français), même Barbara Frittoli (Anaï, fille de Marie, la soeur de Moïse) ne semble guère à l’aise dans la langue de Hugo, et le style idéal à l’élégance mesurée du Rossini seria, lui échappe totalement (la voix est trop épaisse). Question de style: Rossini ne souffre aucune absence de suprême et naturel raffinement. Musicalité si difficile du premier bel canto préverdien auquel appartiennent plus tard Donizetti et Bellini, que maîtrise avec plus d’évidence Sonia Ganassi qui fait une épouse de Pharaon (Sinaïde), plus subtile, mère d’Aménophis, palpitante gagnée parti des juifs (II).
Evidemment pour humaniser le tableau historique, Rossini imagine une intrigue amoureuse, émotionnellement tendue: tout n’est pas si tranché car l’amour tempère les rapports des deux peuples, il croise les destins opposés: Anaï la juive, nièce de Moïse aime Amenophis; et la propre épouse de Pharaon (Erwin Shrott un peu trop engorgé au début mais de mieux en mieux dans les II et III), Sinaïde, s’est convertie à la religion juive. Voic donc deux peuples au destin indémêlable.

Evidemment l’acte III et son ballet exotico-héroïque (danses égyptiennes devant le tempe d’Isis ici réinterprété dans une chorégraphie un peu trop gestuelle et contorsionnée), bénéficient de l’excellente prestation du ballet scaligène et de son étoile à la plastique royale, Roberto Bolle (affublé d’une jupette noir), dans le rôle de Moïse.

Muti convainc, dans les scènes de foule, dans les intermèdes musicaux qui permet l’enchaînement des tableaux, surtout dans les finales d’actes (le II particulièrement: où le quatuor accompagné du choeur doit se détacher au dessus de la fosse: pari réussi). Belle nervosité éloquente (cordes en joie, cors parfaits et harpe sirène sans omettre la clarinette pétulante entre autres dans la scène du ballet du III, véritabel joute entre Pharaon et Moïse) et vivacité dramatique du geste préservent ici la tension et évitent l’épaisseur de la monumentalité.
Dommage que le choeur pourtant engagé n’articule pas assez: comme pour tous les chanteurs (exception faîte cependant du vaillant Amenophis du ténor Giuseppe Filianoti), sans les sous-titres, il est impossible chez ses partenaires, de comprendre une phrase. Le vrai travail d’articulation se déroule à l’orchestre (très belle entrée du II: élégance et dramatisme intense de la direction: d’autant que l’acte ouvrant sur les appartements de Pharaon, fait paraître le couple égyptien frappé par une tristesse trouble et l’affliction): la force de l’opéra vient de cet équilibre psychologique dans le portrait des deux clans ennemis: Egyptiens et Hébreux sont brossés avec une égale importante par Rossini: Aménophis se taille quelques beaux airs solistes: il est vrai qu’il hésite entre l’amour à Anaï et sa revanche car la jeune femme lui préfère le sort de ses semblables: elle veut quitter l’Egypte avec Moïse et abandonner le fils de Pharaon.

Sans être vraiment inventive, la mise en scène illustrative mais claire de Ronconi relève le défi de l’opéra rossinien, équivalent musical de la peinture d’histoire. L’idée d’insérer des objets de l’époque de Rossini comme cet immense orgue Cavallé-Coll, emblème ici de l’autorité reste peu convaincante: une idée décorative ou un tic de metteur en scène qui n’apporte pas grand chose à l’action. Dans sa totalité agissante, grâce à la fougue du chef napolitain, la prestation globalement honnête des chanteurs (malgré leur français très perfectible), le spectacle ne manque pas d’intérêt et mérite évidemment son transfert en dvd.

Gioachino Rossini (1792-1868): Moïse et Pharaon ou le passage de la Mer Rouge, 1827. Ildar Abdrazakov (Moïse), Erwin Schrott (Pharaon), Giuseppe Filianoti (Aménophis), Sonia Ganassi (Sinaïde), Barbara Frittoli (Anaï)… Choeurs et orchestre de la Scala de Mil
an. Ricardo Muti, direction. Luca Ronconi, mise en scène. Ballet du III: Roberto Bolle (Pharaon), Luciana Savignano (Isis), Demsond Richardson (Pharaon).

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