La Walkyrie
(Munich, 1870)
Second volet de la Tétralogie à Paris… Visiblement Günter Krämer demeure fidèle à sa vision scénographique
observée dans le Prologue, L’or du Rhin, préalable à la première
Tétralogie wagnérienne à Bastille: le metteur allemand cisèle et
approfondit sa conception des contrastes dans une lecture claire, qui
sait être âpre et esthétique. Nonobstant les critiques qui tire à boulet rouge sur une production trop sombre, trop « laide », « trop trop », le metteur en scène respecte les intentions de Wagner qui fait du Ring le miroir d’un monde maudit entre deux période d’harmonie. Cynisme, barbarie, terreur, meurtre et manipulation… sont bien le lot commun de chaque épisode. La Walkyrie serait même le plus terrible et désespéré. Wagner compose l’acte II en septembre 1854 au moment où il reçoit le choc de la philosophie pessimiste et réaliste de Schopenhauer. On ne peut donc pas s’attendre à une simple (et anecdotique) féerie dans le Ring: si Wagner cite les légendes et mythes, leurs personnages fantastiques, c’est mieux pour les détourner et exprimer le théâtre d’une société maudite.
Opposant entre l’ombre et la lumière, la
barbarie active du clan de Hunding et l’amour des amants incestueux,
Sieglinde et Siegmunde, … pourtant voués à la destruction, Wagner peint l’impuissance de Wotan et place à partir de l’acte III, Brünnhilde, walkyrie déchue, au premier plan de l’action à venir.
En outre, il y a chez
les Wälsungen, Siegmund et Sieglinde, une prémonition de Tristan und Isolde: même
ivresse extatique, même impossibilité terrestre de vire pleinement leur
passion…
France Musique
Samedi 26 juin 2010 à 18h
C’est pourtant confrontée à l’amour pur de Siegmund pour Sieglinde que
la Walkyrie, Brünnhilde (qui donne le titre de cette première journée du
Ring) ose rompre le pacte avec son père Wotan: l’immortelle sacrifie
son statut divin pour honorer et servir l’amour humain.
Quand à Wotan, le dieu des dieux qui vient de se faire construire
au prix d’une honteuse négociation avec les géants, son palais
monumental, le Walhala, il ne peut se dépêtrer des sermons moraux et
puritains de sa femme, Fricka: après avoir été manipulé par Loge, l’esprit malicieux du feu dans L’Or du rhin, le démiurge est réduit à servir dans La Walkyrie, la loi conjugale d’une épouse bourgeoise. La fin des dieux est
proche: Wotan, mauvais pion d’une intrigue domestique, prisonnier des
lois qu’il a édictées, en a la certitude.
Mais l’opéra est plus cynique encore: outre la guerre et l’esprit
du mal qui combattent ici la pureté de l’amour, le héros qui doit
délivrer Wotan de ses engagements et de ses dettes, Siegmund, est tout
bonnement sacrifié. Seul se distingue alors, la loyauté de Brünnhilde,
proche des hommes aimants, qui bien que traîtresse à son clan, suscite
la tendresse démunie de son père, Wotan, dans un duo parmi les plus
miraculeux de la scène wagnérienne… (acte III: la Walkyrie déchue est
déposée dormante dans un cercle de feu par son père détruit).
Dans la fosse, Philippe Jordan,
wagnérien avéré, fait entendre de façon magistrale, la courbe ondoyante
mais dramatique d’un orchestre somptueusement chambriste. Comme pour
L’or du Rhin, même souci de la ligne, même opulence irrésistible de
tous les pupitres, entre transparence et clarté sonore… Un Wagner
d’autant plus idéal à Paris que la distribution rayonne par ses
tempéraments individualisés, avec au sommet de ses possibilités le Wotan
de Falk Struckmann (qui chanta aussi un Hollandais volant sur la même
scène à couper le souffle…). Production majeure qui confirme la
justesse de la Tétralogie wagnérienne à l’Opéra Bastille.
Philippe Jordan, direction
Günter Krämer, mise en scène
Robert Dean Smith, Siegmund
Günther Groissböck, Hunding
Falk Struckmann (31 mai, 5, 9, 16, 20, 29 juin)
en alternance Thomas Johannes Mayer (13, 23, 26 juin), Wotan
Ricarda Merbeth, Sieglinde
Katarina Dalayman, Brünnhilde
Yvonne Naef, Fricka
Marjorie Owens, Gerhilde
Gertrud Wittinger, Ortlinde
Silvia Hablowetz, Waltraute
Wiebke Lehmkuhl, Schwertleite
Barbara Morihien, Helmwige
Helene Ranada, Siegrune
Nicole Piccolomini, Grimgerde
Atala Schöck, Rossweisse
Gertrud Wittinger, Ortlinde
Orchestre de l’Opéra national de Paris
Diffusion sur France Musique le samedi 26 juin 2010 à 18h
Illustrations: Wagner, Philippe Jordan (DR)