jeudi 28 mars 2024

Richard Strauss, Le Chevalier à la rose, 1911

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Au seuil de la Première Guerre Mondiale, l’opéra de Richard Strauss incarne un aboutissement musical. Son sujet néobaroque dont le cadre est la Vienne impériale à l’époque de Marie-Thérèse, illustre une société aussi raffinée que décadente qui était vouée au déclin. Les options du compositeur, -comme l’introduction de la valse dans un opéra ou les nombreux épisodes licencieux du livret d’Hofmannsthal-, d’autant plus vraisemblables que les auteurs se sont parfaitement documentés sur le rituel de l’art de vivre aristocratique, ont choqué les critiques et la bonne société à Vienne, à Berlin, à Milan. Mais le public depuis sa création à Dresde en 1911 se presse pour voir et écouter le divin spectacle.

Nous sommes nés l’un pour l’autre
Quels sont les ingrédients du succès de ce Chevalier qui ne semble guère qu’un pastiche bouffon des opéras du XVIII ème siècle et du XIX ème siècle? L’intrigue des amants renvoie ici au Mozart des Noces ; quant à la truculence bouffe du Baron Ochs, c’est le Falstaff de Verdi que Strauss cite tout autant. Reconnaissons par ailleurs, la réussite d’une partition foisonnante, nourrie de valses viennoises, génial anachronisme, ou encore le trio des sopranos protagonistes : Strauss écrit pour la même tessiture, les rôles de la Maréchale, Sophie et d’Octavian qui est aujourd’hui plutôt tenu par une mezzo.
L’invention est à l’origine du succès de l’opéra : Strauss et son librettiste qui recomposent le duo génial Mozart/Da Ponte, inventent la remise de la rose d’argent à la promise… tradition de polichinelle qui pourtant revêt dans l’artifice féerique de la partition sa vraisemblable importance. La collaboration des deux hommes, plus idéale que beaucoup l’ont dit, débute en 1906, autour de l’adaptation en opéra, de l’Elektra, pièce dramatique de Hofmannsthal. Strauss avait 41 ans, Hofmmansthal, 32.

Strauss écrit : « Nous sommes nés l’un pour l’autre et accomplirons certainement de belles choses ».
Hofmannsthal, aidé de son ami, le Comte Harry Von Kessler, imagine un opéra bouffe français, dont l’action qui se déroule au XVIII ème siècle, permet de traiter les personnages de la Commedia dell’arte. Portraits charge du bouffon, du barbon, de l’ingénue, etc… au final, ils choisissent avec l’assentiment de Strauss, pour décor, la Vienne de Marie-Thérèse. Hofmannsthal suggère l’introduction de quelques valses viennoises pour envelopper le tout… il songe en particulier à … »une valse viennoise surannée, tendre et impudente, qui doit hanter tout le dernier acte« . Au final, les mouvements de valses innervent l’ensemble de la partition.
Strauss compose à Garmish dès 1909. Il reprend certaines scènes, souhaite du comique afin que la tension ne s’amollisse pas. Stimule son librettiste pour créer des situations vraiment cocasses, en prenant certes appui sur le texte mais aussi sur la musique. Jamais leur entente ne fut plus complémentaire. « J’ai appris en cette occurence quelque chose de fondamental sur le travail de l’opéra et la musique, et je ne l’oublierai pas ». En mai 1910, Strauss attaque l’acte III. En septembre, les auteurs décident du titre de leur nouvel ouvrage.

Les personnages
Strauss et Hofmannsthal parlent de leur créatures comme s’ils les avaient rencontrées et bien connues. Indications inestimables pour comprendre la psychologie subtile qui est le sujet véritable de l’opéra. La Maréchale est une femme de trente ans qui éprouve la nostalgie et l’angoisse du temps qui passe quand elle est confrontée au dix-sept ans de son Quinquin, amoureux et volage.
Octavian pourra se lasser de la belle mais ordinaire Sophie et revenir vers sa première maîtresse, Marie-Thérèse, dont la grâce et la culture font la différence.
Ochs de Lercheneau a lui aussi la trentaine mais si la naissance et le rang de sa lignée sont pareils à ceux de sa cousine, la Maréchale, il ne partage ni l’éducation ni le raffinement de cette dernière : « c’est un beau donjuanesque de trente cinq ans, toujours noble (même s’il est un peu paysan) qui sait se tenir dans le salon de la Maréchale… Intérieurement, c’est un goujat mais en surface il est suffisamment présentable… » Il est né Viennois non Berlinois. Voilà une différence capitale qui contredit souvent les chanteurs incarnant le Baron, plus falstaffiens que Don Juan.
Hofmannsthal rêvait d’un acteur/chanteur italien pour ce rôle plus délicat qu’il n’y paraît : il pensait au fameux Pini-Corsi qui chantait Leporello. Voilà une piste nouvelle pour les Ochs du XXI ème siècle.

La musique, plus loin qu’Elektra
Ni pâtisserie dégoulinante, ni régression dans son oeuvre musicale, le Chevalier ne marque pas comme on l’écrit habituellement, un retour en arrière dans l’inspiration du compositeur. Le progressisme d’Elektra, son radicalisme expressionniste, est absorbé avec un même souci d’efficacité, une même élévation esthétique. Il y a derrière le bon teint de ce tableau néo-baroque, une gravité amère voire sarcastique : le duo des anges, Octavian/Sophie, est plein de subtile ironie, ; son apparente séduction cible l’évanescence d’un rêve d’amour, la durée éphémère par essence, de leur passion réciproque… le fond de l’opéra exprime la nostalgie et la mélancolie, l’impuissance des hommes à infléchir le cours de leur destinée, à susciter l’opportunité d’un bonheur terrestre. L’idéalisme romantique est un miroir aux allouettes. Strauss élabore une langue musicale, c’est là son invention la plus géniale. Grâce à un librettiste des plus attentionnés, le compositeur redéfinit totalement le rapport du texte et de la musique, relation permanente et sujet à problématiques, depuis la naissance de l’opéra. Pourtant de Monteverdi à Strauss, se précise la ligne jamais perdue d’une alliance entre verbe et note. De ce point de vue, le Chevalier ne serait qu’une étape menant à l’aboutissement qu’est l’opéra à venir et l’ultime, Capriccio (1942) : discussion en musique dont le cadre français XVIII ème siècle, offre aux protagonistes de discuter sans le résoudre finalement, le difficile problème de la prééminence du texte ou de la musique… Mais pour illustrer ce chapitre, Hofmannsthal était mort et Strauss composa lui-même son livret, idée de Clemens Krauss.

Illustrations
William Hogarth, autoportrait, 1745 (Londres, Tate Gallery)
Karl Bauer, portrait de Hugo Van Hofmannsthal, vers 1900 (DR)
Hugo Von Hofmannsthal à la rédaction du livret du Chevalier à la rose (DR)
William Hogarth, série de scènes domestiques : « un mariage à la mode ». Hoffmannsthal s’est inspiré de ce cycle pictural pour élaborer la trame de son livret.

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