Rencontres Contemporaines du Monastier (43),
Les 26 et 27 avril, du 1er au 4 mai 2008
Concert par le Quatuor Manfred, œuvres de Gérard Pesson et Colin Roche
En Haute Loire, et pour sa 14e édition, le petit festival des Rencontres Contemporaines s’ouvre aux œuvres en quatuor à cordes (les Manfred) de Gérard Pesson et Colin Roche, et à l’exposition d’Isa Barbier. Dans un esprit de rencontres avec les auteurs et les interprètes, et sur de hautes terres vellaves qui incitent à réflexion et poésie…
« Jupiter quand il veut qu’on enrage… »
Les Rencontres Contemporaines en Haute-Loire en sont à leur 14e édition : comment, au cœur du Massif Central (ventricule gauche, en regardant la carte, et si on file la métaphore cardiaque), réussir à faire vivre concerts, rencontres, expositions, d’abord pendant un moment d’été, puis – comme à partir de 2008 -, en jouant une 1ère carte fin avril-début mai, et une 2nde en automne ? Avec de la persévérance (l’animatrice est Pyet Vicart) une certaine foi dans la nouveauté perpétuelle des arts, et un sens du pari sur le contraste entre des programmes dignes d’une capitale musicale et une brève mais intense réalisation au lointain des villes, là où La Fontaine le Parisien (souriant d’indulgence, lui), disait que « Jupiter envoie quand il veut qu’on enrage ». Il est vrai que cette année les Rencontres traversent la Haute Loire, et pratiquent un rien d’itinérance ouest-est, du Saint-Privat d’Allier antérieur au Monastier-sur-Gazeilles de ce printemps. Mais identiques hauts paysages, rattachements à l’art roman, et conviction que le contemporain n’est pas seulement fait pour les hyper-cultivés-répertoriés : « il s’agit de partager l’aventure entre, certes, un public averti venu des grandes villes, et aussi un public plus régional ou local, et parfois des gens qui vont rarement ou jamais au concert ». Cela passe également par des modalités vraiment conviviales, et notamment par une présentation d’avant-chaque-concert par compositeurs et interprètes, et un temps « informel, réservé à la fin du concert à la discussion et aux échanges, continuité nécessaire aux spectacles », ou à l’exposition de la plasticienne. Petit Festival, oui, mais dont l’intimité permet une qualité de rencontre que n’ont pas, plus ou guère les grandes manifestations culturelles…
Hommage à Vinteuil, mais respirez sans plus respirer…
En cette 1ère partie d’édition 2008, deux auteurs sont à l’affiche du Concert de ce 26 avril, placé sous le signe de la musique de chambre. L’aîné – entrant en cinquantaine , tiens, comme la Ve République,mais si jeune et ouvert d’esprit, sans ankylose mentale en tout cas -, c’est Gérard Pesson, qui fut pensionnaire à la Villa Médicis –une référence d’excellente éducation culturelle -, a obtenu des prix d’Unesco, de Berlin et de Monaco, reste producteur à France-Musique, est joué par l’Intercontemporain, Itinéraire, au Festival d’Automne, et enseigne la composition au CNSMD de Paris. Mais en arrière de ce descriptif un peu banal dans sa « réussite », il y a eu dès les débuts une recherche « entre l’aphorisme webernien, le nocturne de Mahler, les techniques instrumentales de Sciarrino et de Lachenmann. » Et surtout, comme le décrit subtilement Martin Kaltenecker, « une musique tremblée, comme on le dit de certaines photographies, qui installe ses feux au bord du rien, pas loin des écrits de Maurice Blanchot. Il est l’architecte méticuleux de maisons fragiles, mais toujours en même temps peintre de ruines. » Rien d’abrupt au premier abord, mais…En tout cas, une vie intensément perçue dans la correspondance des arts, et en particulier avec la littérature, des toutes « phonies et époques ». Et c’est par un hommage à un point nodal de toute composition musicale en lien avec l’imaginaire et le réel du roman que s’ouvre le concert : Bruissant divisé (écrit il y a dix ans) est « un hommage à Vinteuil, qui est aussi mon maître »,dit Gérard Pesson : mais ne cherchez évidemment pas ce musicien formateur dans un annuaire musicologique. Les proustiens et beaucoup d’autres savent qu’on retrouve Vinteuil au confluent des réels Fauré-Franck-Saint-Saëns dans la Recherche du Temps Perdu, et surtout comme emblème de la création, quelque part entre Beethoven, Wagner, Debussy et tous ceux « du temps à venir », comme l’énonçait le Père de la IXe et des 17 Quatuors. Vinteuil, dans le Romansonge de Proust, est celui dont l’œuvre (la « candeur, l’aube liliale » de la Sonate piano-violon) révèle à Swann « l’air national de ses amours » avec Odette de Crécy, puis au Narrateur (le Septuor, «tiré du silence et de la nuit ») les lois de l’œuvre nouvelle. Proust lui-même a brouillé ironiquement les pistes, en parlant pour « sa » Sonate d’une citation de Saint-Saëns, mais en déclarant ensuite qu’il s’agissait d’une « phrase médiocre d’un musicien (qu’il) n’aimait pas »…Depuis, et notamment en adaptant la Recherche au cinéma, des compositeurs ont essayé d’ »écrire la petite phrase », ainsi H.W.Henze pour le film de Schloendorff, « Un amour de Swann ». Mais ce que fait G.Pesson en citant au plus près Proust,(« bruissante, divisée »), c’est parler matière musicale, structure, voyage des motifs. Même atmosphère d’étude fondamentale dans le Quatuor « Respirez ne respirez plus » (1993), « comme une maison neuve dans des murs anciens, jeux virtuel, esthétique en creux, incendie, précipité en chimie ». (disques Accord, Aeon)
Etoffes, poussières et trames
Colin Roche est né en 1974, et sa formation de musicien s’est accompagnée d’études universitaires (IEP d’Aix) continuées (DEA, Thèse de Doctorat) dans une recherche permanente des liens entre création artistique et sens politique. Formé en composition à Paris et Rouen (Jacques Petit), reconnaissant les influences de B.Mantovani, Philippe Leroux et…Gérard Pesson, joué par l’Ensemble Multilatérale (un disque Sismal Records, multi-lauréé), signalé ici même pour un portrait par la chaîne Mezzo, décembre 2007), il travaille au centre du labyrinthe à la Borges, la Bibliothèque (infinie ?) de l’Intercontemporain… Son Ground Zero, de 2001, créé à Lyon par le Quatuor Psophos, parle de lumière et de poussière blanches puis gris sombre, donc d’un certain 11 septembre. Le Cri de l’étoffe, œuvre en création et commande de Structural Resistence Group (Moscou), s’inspire en esprit d’un texte de Sophie Calle évoquant l’agonie d’un être cher, et « varie », « résonnant en creux » autour de plusieurs partitions du compositeur sur la matière textile. Les 4 œuvres du concert sont jouées par le Quatuor Manfred, l’un des ensembles à cordes les plus « en vue et ouïe » de notre époque, romantique, classique et moderniste d’aujourd’hui (disques récents chez Zig-Zag Territoires).
Le « tramage de l’espace musical » est assuré par l’exposition (26, 27 avril, du 1er au 4 mai) de la plasticienne provençale Isa Barbier : « Arias palpite en continu, elle est piège de mouvement, de lumière, fragile mais indestructible. » A deux reprises, l’exposition retentit d’un « voyage avec l’accordéon solo » de Mélanie Bregant, avec des œuvres de Berio, Marcus Lindberg, Sofia Gubaidulina.
Rencontres Contemporaines du Monastier-sur-Gazeille (43), Concert le 26 avril, Exposition et musique 27 avril, 1er au 4 mai 2008. Œuvres de Gérard Pesson, né en 1958 ( Bruissant divisé ; Quatuor) et Colin Roche, né en 1974 (Ground Zero, Le cri de l’étoffe). Exposition de Isa Barbier, accordéon de Mélanie Brégant.
Crédits photographiques: Gérad Pesson © C. Daguet / éditions Henry Lemoine, Colin Roche (DR)