Pour couronner leur troisième édition, les Rencontres Musicales de Puteaux ont créé rien moins qu’un concours de chant, le Concours International Vincenzo Bellini, dédié exclusivement au répertoire belcantiste. L’initiative vaut d’être soulignée car il n’existe aucun équivalent en France à ce jour. Porté par le chef Marco Guidarini, le Concours entend distinguer les jeunes interprètes lyriques particulièrement doués dans l’articulation et l’expression de ce bel canto spécifique après Rossini, avant Verdi: chant bellinien donc qui à travers les opéras légués par Bellini (mort à Puteaux en 1835 après avoir livré la partition des Puritani) incarne la quintessence lyrique italienne à l’âge romantique, à laquelle toutes les grandes divas ont souhaité se frotter depuis Maria Callas… La compétition en permettant ainsi de dénicher les futurs interprètes de cette musique exigeante sur les scènes internationales, est une nouveauté et une promesse. Du premier palmarès devrait sortir un nom, une étoile, un nouveau talent à suivre… Qu’en sera-t-il?
Le jury choisi pour écouter et juger ces jeunes interprètes est composé de personnalités musicales concernées par cet exercice et surtout ce répertoire demandant des qualités bien spécifiques : outre June Anderson, invitée d’honneur du festival et très présente durant toute la semaine (récital inaugural, masterclass…), Alain Lanceron, président de Virgin Classics, préside; « assisté » des professionnels tels que Philippe Entremont, Gioacchino Lanza Tomasi, musicologue et biographe de Bellini, Enrico Castiglione, directeur artistique de différents festivals italiens, notamment du festival Bellini de Catane, Daniele Borniquez, directeur de l’Académie de la Scala de Milan, et Sergio Segalini, directeur d’opéra (San Carlo de Naples) et critique musical bien connu, connaisseur avisé de l’opéra italien du 19e siècle. Trois compositeurs uniquement composent le programme des différents candidats : Gioacchino Rossini, Gaetano Donizetti et, bien entendu, Vincenzo Bellini. Particularité importante: les candidats chanteurs sont tous obligés de chanter au moins un air en français…
Quelques beaux espoirs, une révélation
Venus de tous les horizons (Italie, Géorgie, Afrique du Sud, France, Corée du sud, Espagne…), les 11 chanteurs en lice, qui disputent la demi-finale ont tous révélé un potentiel intéressant et de réelles qualités vocales. Le niveau représenté est donc à la hauteur de nos espérances et place d’emblée le Concours Bellini en France au sommet des Concours lyriques actuels.
Ouvrant le bal, première à se présenter face à l’oreille avisée du jury, l’italienne Ekaterina Gaidanskaya impressionne dans un « Col sorriso d’innocenza » extrait du Pirata de Bellini à l’impact puissant, mettant en valeur son instrument large et sonore, mais les vocalises sonnent lourdes et le style quelque peu vériste. Elle enchaîne avec un « Bel raggio lusinghier » extrait de Semiramide de Rossini qui la montre en difficulté dans l’agilité, s’essoufflant fréquemment, et révèle des piani encore fragiles, malgré la beauté intrinsèque de la voix.
Mikheil Kiria, jeune baryton géorgien, montre un métal somptueux, un timbre d’une beauté rare, grâce à une émission mordante et sans artifice, convenant parfaitement à « Come paride vezzoso » de L’Elisir d’Amore de Donizetti. Avec « Ah per sempre io ti perdei » extrait des Puritani de Bellini, il déploie un beau legato et ose de superbes nuances. Un nom à suivre.
Bruno Robba, ténor français, déconcerte par son émission étrange et son larynx audiblement très haut, tant dans « A te o cara » des Puritani que dans « Spirto gentil » extrait de La Favorita de Donizetti. Pourtant, l’aigu semble aisé, en tête, et porte sans effort, mais le musicien reste fruste, manquant de raffinement et de variété dans les couleurs.
Saioa Hernandez, soprano espagnole, sidère par la puissance de son instrument, aux teintes callassiennes, très dramatique, aux aigus percutants et aux graves profonds. Dans « Ciel pietoso » de La Straniera de Bellini, elle expose sa présence scénique magnétique et son tempérament dramatique flamboyant, parfaitement en situation. Malheureusement, « Casta Diva » de la Norma du même Bellini met en lumière une difficulté chez elle à chanter piano et à retenir le torrent qui coule dans son gosier. Si le récitatif est saisissant de noblesse et d’impact dans la déclamation, l’air la trouve mal à l’aise, manquant parfois de souffle et d’apesanteur dans l’émission. En revanche, la cabalette suivante la flatte à nouveau dans ses qualités de puissance et d’arrogance vocale. Une candidate très intéressante, aux moyens immenses, mais à canaliser davantage.
Julie Cherrier, soprano française, séduit par son timbre juvénile et pur, mais se montre peu aguerrie dans la maîtrise du vocabulaire belcantiste, notamment dans « Quel guardo il cavaliere » extrait du Don Pasquale de Donizetti. L’air de Giulietta « O quante volte » des Capuleti e i Montecchi de Bellini lui permet de montrer de beaux piani dans l’aigu, superbement placés, mais le reste de la voix ne semble pas profiter encore de cette émission flûtée et argentine.
Fabienne Conrad, soprano française, manque d’assurance dans « Qui la voce sua soave » extrait des Puritani de Bellini, montrant un legato haché et des vocalises bousculées, mais étonne dans « Casta diva » de Norma de Bellini mieux phrasé et joliment coloré, alors que la cabalette sonne trop large pour elle et semble la forcer à pousser sur sa voix.
Sandra Liz-Cartagena, soprano colombienne, déploie un instrument d’une étendue rare, autant à l’aise dans l’aigu et le suraigus que dans des graves tenant presque du mezzo. L’air « D’amore al dolce impero » extrait de l’Armida de Rossini la flatte dans cet aspect de sa voix, lui permettant également de faire étalage de son agilité impressionnante. Pourtant, « Regnava nel silenzio » de Lucia di Lammermoor de Donizetti révèle une virtuosité manquant d’émotion et d’intériorité, sidérante de facilité mais bien peu habitée. Dommage, étant donné les moyens vocaux phénoménaux dont elle dispose.
Kuyngran Kim, soprano coréenne, se lance avec un courage certain dans «Il dolce suono », première partie de la scène de la folie de Lucia di Lammermoor de Donizetti. La voix est petite, manque quelque peu de graves, mais le timbre est ravissant, l’émission haute et claire, la technique très accomplie, et la musicienne sensible et touchante. Avec « Son vergin vezzosa » extrait des Puritani de Bellini, la jeune chanteuse démontre une nouvelle fois sa maîtrise de l’agilité et des ornements, très audacieux, toujours avec une facilité apparente et une très jolie musicalité.
A star is born ?
Pretty Yende, soprano sud-africaine, fait figure de révélation. Dès son entrée en scène, elle frappe par sa noblesse et son élégance, ainsi que par son évident plaisir d’être là. Avec « Voi la sposa pretendete » extrait de L’Occasione fa il ladro de Rossini, elle éblouit par la beauté de son timbre, chaud et moiré, par l’accomplissement de sa technique. Le legato est parfaitement déroulé; l’agilité, sur le souffle et la diction, précise et nette. Dans « Qui la voce sua soave » des Puritani de Bellini, elle ajoute à ces qualités une simplicité rarissime dans son approche du répertoire, sans esbroufe, sans affectation, littéralement portée par la musique, comme une évidence. Une future très grande, nous pouvons d’ores et déjà l’annoncer. L’étoile montante, c’est elle. Sans l’ombre d’une réserve. A 25 ans, la jeune cantatrice originaire d’Afrique du Sud, a déjà chanté avec Andrea Bocelli et Bryan Adams pour la coupe de la Fifa 2010. Elle devrait très vite obtenir engagements et rôles sur les scènes lyriques. La nouvelle star du bel canto qui devrait se voir couronner star assoluta à Puteaux a suivi une premier stage de perfectionnement à l’Accademia della Scala de Milan. Ses modèles sont Freni, Caballe, Callas. Elle aurait eu la révélation de l’opéra en entendant le duo de Lakmé. Au Concours Bellini 2010, l’interprète rayonne par sa musicalité, sa sensibilité, sa subtilité expressive, entre simplicité et vérité. C’est une bellinienne déjà convaincante dont le niveau s’inscrit idéalement dans l’organisation et les enjeux du nouveau Concours Bellini. Le palmarès final confirmera-t-il notre coup de coeur? Certains commentateurs avisés (dont votre serviteur), avaient prédit que la future Callas viendrait assurément d’Afrique du Sud: le système pédagogique y est très performant et les élèves plus que motivés. Assisterions nous à la réalisation de cette prédiction?
Julia Farrès, soprano espagnole, montre un joli timbre et un beau phrasé dans « Havvi un dio » de la rare Maria di Rohan de Donizetti ainsi que dans « Prendi per me sei libero » extrait de L’Elisir d’Amore de Donizetti qu’elle sert avec une belle finesse d’interprétation.
Ultime candidat, le ténor coréen Jihan Shin affiche une belle maîtrise dans « A te o cara » des Puritani de Bellini, avec un beau legato et des aigus bien timbrés, de même que « D’ogni più sacro impegno » extrait de L’Occasione fa il ladro de Rossini met en valeur son aisance dans les vocalises et l’impact de son registre aigu.
Après trois heures ininterrompues d’audition et beaucoup de belles découvertes musicales, voilà notre palmarès personnel pour la finale :
Pretty Yende, soprano
Saioa Hernandez, soprano
Mikheil Kiria, baryton
Kyungran Kim,
Jihan Shin, ténor
Julia Farrès, soprano
Puteaux. Théâtre des Hauts-de-Seine, 16 décembre 2010. 1er Concours International Vincenzo Bellini de Puteaux : demi-finale. Rossini, Bellini, Donizetti. Finale, le 18 décembre 2010, même scène.