vendredi 29 mars 2024

PORTRAIT. ENSEIGNER L’INEFFABLE… Claude Delangle : 30 ans d’enseignement de l’élégance

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PORTRAIT. ENSEIGNER L’INEFFABLE… Claude Delangle : 30 ans d’enseignement de l’élégance. Le Conservatoire de Paris a célébré, les 21 et 22 novembre derniers, le trentième anniversaire de la classe de saxophone de Claude Delangle. Deux journées de concerts, de cours publics, de conférences et de tables rondes, qui ont vu se succéder les « anciens » d’une classe qui a vu passer, dans la mythique salle 333 du Conservatoire, plus d’une centaine de saxophonistes, témoins de la vitalité d’une école reconnue au niveau international et étroitement liée à l’histoire du Conservatoire. Moment fort de l’hommage, quarante anciens élèves et collègues de Claude Delangle réunis sur scène, le temps d’un medley d’extraits symphoniques de compositeurs fervents défenseurs du saxophone, de Moussorgsky à Stravinsky, de Ravel à Chostakovitch.

 

 

 

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Claude Delangle
Le souffle au corps

 

 

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« Malgré les milliers d’œuvres symphoniques qui le font intervenir,  le saxophone n’a toujours pas réussi à intégrer l’orchestre de façon permanente…
Comme disait Henri Dutilleux, si sensible aux couleurs orchestrales, ce n’est pas un saxophone qui devrait entrer dans l’orchestre, mais tout un pupitre, alors qu’il n’intervient en général que pour un solo. Plutôt qu’en rester à ce combat d’arrière-garde, je pense que l’avenir est dans les petites formations, comme en témoignent nombre de grandes œuvres aux formes hétéroclites comme  l’Histoire du Soldat en son temps. Ce renouvellement des formes favorise la création d’ensembles « sur mesures » pour les saxophonistes. C’est vers cela qu’il faut se diriger, une plasticité de la musique bénéfique pour tout le monde, compositeurs, interprètes, public. Quand j’avais une vingtaine d’années, il était difficile de commander une œuvre pour saxophone, aujourd’hui mes élèves sont très sollicités pour jouer de nouvelles œuvres, en petites formations.

Dès 1857, Adolphe Sax créait une première classe de saxophone au « Gymnase militaire » attaché au Conservatoire de Paris. Mais il faut attendre 1942 pour que soit ouverte la classe du Conservatoire de Paris, confiée à Marcel Mule, le véritable fondateur de l’école française de saxophone.
Je ne suis, il est vrai, que le troisième professeur de cette classe, à la suite de Marcel Mule et de Daniel Deffayet. L’ensemble des instruments à vent a connu au milieu du XXe siècle un essor extraordinaire, bien que tardif pour le saxophone, resté en marge des institutions classiques. Cela correspond à un tournant majeur de la pédagogie des vents, auquel a participé le saxophone. Un demi-siècle plus tard, une œuvre de 1994 de Gilbert Amy, le Temps du souffle, pour violon, trombone et saxophone, prend une résonance particulière en
notre époque d’essoufflement général sur tous les plans, politique, économique, social. Dans ce contexte, les instruments à vent constituent un refuge pour la bonne santé de l’être humain.
Coïncidence ? Non content d’inventer de nouveaux instruments, Sax avait également conçu un appareil pour purifier l’air des hôpitaux… Que Pasteur avait salué. Il est indéniable qu’il existe un rapport d’énergie, une mise en vibration de l’air par le souffle de l’instrumentiste, dans les limites de sa capacité respiratoire, entre inspir et expir.  Bien jouer une œuvre sans efforts, c’est l’avoir installée dans son rythme respiratoire et respirer avec elle. La jouer comme si on l’avait  composée. Je dis souvent à mes élèves : il faut apprendre à Berio ou Stockhausen à jouer du saxophone, à pénétrer votre monde instrumental.

 

 

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Tout entendre mais ne pas tout dire
Pouvez-vous définir les fondamentaux de votre enseignement ?

« Je me considère davantage comme un coach que comme un professeur, un observateur avec qui les élèves font un bout de chemin. Je ne  suis pas responsable de la matière personnelle, technique et musicale, qu’ils apportent, qui en fait déjà des professionnels. J’enseigne a minima pour que chacun se révèle a maxima. Il faut tout entendre mais surtout ne pas tout dire. Aimer les élèves, jusqu’à accepter qu’ils soient meilleurs que soi.
C’est sans doute dans les cours publics que je donne partout dans le monde, que j’ai bâti ma pédagogie, face à des étudiants inconnus et dans des répertoires pas forcément familiers. Il faut se montrer rapide, apprendre à beaucoup écouter et à parler moins. Il ne faut surtout pas chercher à tout expliquer. Moins on parle, mieux on se porte au début d’un apprentissage. Ces enjeux se découvrent progressivement, il faut laisser les élèves faire ce chemin. Je prends énormément de notes, et in fine je m’adresse à la personne plus qu’au musicien, je m’attache à son relationnel avec l’instrument et l’œuvre.

 

 

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Enseigner l’enthousiasme

L’ennemi de la pédagogie, c’est la régularité, le cours hebdomadaire, même professeur, même salle, mêmes collègues. Il faut arriver à recréer un événement à chaque fois, cela ne doit jamais n’être qu’un cours de plus. En réalité, on n’enseigne ni la musique ni l’instrument, on enseigne l’enthousiasme, le bonheur musical, la découverte de la musique. En même temps, un musicien cela reste quelqu’un de fragile. Ils en savent plus que les générations précédentes, mais le monde musical, où ils entrent plus tardivement, est de plus en plus dur. Il leur faut  rester heureux avec la musique pendant quarante, cinquante ans.
La recherche du bien-être dans le jeu par la prise en compte du corps est également primordiale. Il faut savoir, dès le plus jeune âge, s’écouter et se regarder quand on joue. La posture, le support de l’instrument sont des dimensions auxquelles le professeur doit accorder une grande attention. La beauté du corps qui joue génère une beauté à entendre : on n’a pas un corps, on EST un corps.
Mais il n’ y a pas que la musique qui nous fabrique, il y a les bonnes et les mauvaises expériences, la vie familiale, par exemple. Avec le temps on acquiert un certain détachement, au fond je me fiche d’être ou pas un bon professeur, de même sur scène je me fiche de plaire ou de déplaire, j’essaye d’être cohérent avec ce que je suis, je cherche juste à partager un point de vue sur la musique.

 

 

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Savoir jouer autour du texte
Quelles évolutions majeures a connu la formation au cours de ces trente années ?

Quand j’ai commencé à enseigner, les élèves jouaient vite et fort, ils cherchaient uniquement à briller, à être très expressif. A se confiner dans l’espace entre l’instrument et l’œuvre, à croire que le répertoire travaillé constitue toute la musique. A force de travailler la technique, l’œuvre passait au second plan. En matière de formation musicale et de culture musicale, les progrès sont certes incontestables. Le problème se situe ailleurs : on ne leur laisse pas assez d’espace pour nourrir leur énergie, le principe vital de la musique qui se situe dans cet espace entre l’acquisition de la capacité à jouer sur son instrument et l’éclairage que l’on doit donner dès la première lecture pour ne pas s’enfermer dans des schémas d’interprétation très limités. Il faut savoir jouer autour du texte, en étant conscient que tout dans ce texte n’appartient pas au compositeur. Rien n’est définitif dans l’oeuvre musicale. Il faut développer une compréhension du texte mobile, capable de bouger d’un jour à l’autre, ne surtout pas figer les choses. Bref, avoir un point de vue de compositeur : pour jouer de la musique, il faut s’immerger dans la matière, il faut en écrire pour se rendre compte des difficultés. Travailler avec un compositeur aide à le  comprendre.

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Atteindre à l’ineffable sans tout dire

Adolphe Sax s’est lancé dans la fabrication de nouveaux instruments à la suite du constat des défauts des clarinettes… Qu’en est-il des saxophones ?

Tous les instruments à vent sont faux par nature, parce qu’il y a de grands espaces entre les notes. Mais on a aujourd’hui des instruments qui sont assez justes. Jouer juste cela reste pour tout instrumentiste une préoccupation constante, un réajustement permanent en fonction de l’acoustique de lieu, des partenaires, etc. Mais la justesse, cela signifie également justesse du comportement, justesse de l’expression, cela veut dire écouter et se plier à la justesse de l’autre.

En guise de synthèse de ce qu’il attendait comme qualités chez un musicien, Sax les résumait en un seul mot, le « style »…

Cela se retrouve dans la manière de faire les choses. Je rentre d’assister à la demi-finale du concours international de Dinant. Soit dix-huit qualifiés de tous les pays. Pour n’en retenir que six. Deux d’entre étaient absolument incontestables, et les autres de grande valeur. Mais ce qui faisait la différence, au-delà des personnes, c’était trois critères, une maitrise globale convaincante de l’instrument et des œuvres, mais plus encore l’énergie, le fait de jouer de toute sa personne, de tout son cœur, l’investissement de la personne, et dernier critère, l’élégance, atteindre à l’ineffable en ne disant pas tout : laisser place à l’auditeur pour  aller en toute liberté vers l’œuvre, une relation qui constitue le mystère du concert.

 

 

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Portrait conçu et propos recueillis par notre grand rédacteur Marcel Weiss, en novembre 2019.

 

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Approfondir : vidéo

Entretien, explications par Claude Delangle, sur le site du Conservatoire NSMD de Paris :

 

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