vendredi 9 mai 2025

Poitiers. Cinéma « le Castille », le 17 avril 2012. En direct du Royal Opera House de Londres. Verdi : Rigoletto. Dimitri Platanias (Rigoletto)…Sir John Eliot Gardiner, direction. David McVicar, mise en scène

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Rigoletto de Verdi au Royal Opera House Covent Garden Londres par notre envoyée spéciale Hélène Biard


Lorsque le Royal Opera House de Londres avait programmé Rigoletto en 2001 c’est à David McVicar que la mise en scène avait été confiée; onze ans plus tard, le célèbre opéra londonien reprend la production avec, aux commandes, Léa Haussman, assistante de McVicar en 2001. Et le moins que l’on puisse dire c’est, que dès le départ, le metteur en scène n’a pas eu froid aux yeux en appliquant à la lettre le principe de dépravation du duc de Mantoue et de sa cour. N’oublions pas qu’en 1851, Giuseppe Verdi (1813-1901) et son librettiste avaient dû édulcorer leur livret pour se mettre en accord avec les exigences de la censure; cela n’empêchera pas l’oeuvre d’être créée avec un immense succès. Pour cette reprise le Royal Opera House a réuni une distribution brillante dominée par le baryton russe Dimitri Platanias et par le ténor italien Vittorio Grigolo; d’autre part, le Royal Opera House a invité Sir John Eliot Gardiner, l’un des baguettes britanniques les plus intéressantes…


Rigoletto au Royal Opera House de Londres

En septembre dernier, nous avions salué la très belle mise en scène du Faust de Gounod que David McVicar avait montée quelques saisons auparavant et qui a été reprise en tout début d’année. Pour Rigoletto, McVicar a frappé un grand coup en n’hésitant pas à accentuer le côté orgiaque de l’oeuvre, notament pour le premier acte, au cours duquel se déroule la fête au palais du duc de Mantoue. Pendant les agapes, plusieurs courtisanes paraissent seins nus et la malheureuse fille du comte Monterone est déshabillée et déshonorée sur le plateau; Même si la scène est brève, elle n’en frappe pas moins très fort les esprits. La suite est heureusement plus soft et l’on reconnait la marque de fabrique du metteur en scène écossais qui fait vivre ses personnages avec une fougue et une sensibilité qui ne trahissent en aucun cas le livret; quant à la noirceur de l’oeuvre, elle ressort avec beaucoup de forçe. Saluons aussi le très beau travail de l’équipe que David McVicar a réuni et qui réalise des costumes, des décors et des lumières qui donnent à la production une ambiance étrange puis, une fois passé le premier acte, sobre et intimiste.

En septembre dernier, le Faust de Vittorio Grigolo était au mieux correct, mardi soir nous l’avons trouvé transfiguré comme si l’interprétation d’un personnage qui, tout souverain qu’il soit, est au final peu recommandable, lui donnait des ailes. Excellent comédien, il offre au duc, le profil d’un Don Juan impénitent, peu respectueux des femmes qu’il traite comme des objets de plaisir et non comme des êtres humains dotés de pensées et de sentiments. Vocalement aussi, le ténor italien est flamboyant et si nous regrettons que la prise de son du premier acte reste indigne, provoquant un décalage fort désagréable et gênant entre le son et l’image, l’air d’entrée du duc « questa o quella, per me pari sono… » est chanté avec une morgue qui fait froid dans le dos; puis, les deux autres mélodies majeures du personnage (« Ella mi fu rapita » et « La donna è mobile »), affirment deux qualités manifestes: sensibilité pour l’une et cynisme pour l’autre … traits marquants précisant un portrait qui se révèle être au final assez glaçant.
(ndlr, note de la Rédaction: on se souvient que Vittorio Grigolo, ténor vedette de l’écurie Sony avait il y a 2 ans participé à l’expérience en direct et multidiffusée, Rigoletto aux heures et dans les lieux de l’action, retransmis par les chaînes de télévision publique: lire notre article Rigoletto par Vittorio Grigolo, avec aussi l’excellent Placido Domingo, devenu baryton pour incarner le personnage en titre...). Vittorio Grigolo a aussi chanté le rôle à Orange à l’été 2011.
Cependant le Rigoletto de Dimitri Platanias se montre tout aussi séduisant et flamboyant que Grigolo; il ne tremble pas une seconde face aux pics d’une partition redoutable pour le bouffon; mordant et méchant à souhait en présence des courtisans qu’il déteste tant, Platanias campe aussi un Rigoletto plus humain et plus tendre lorsqu’il est auprès de sa fille. Chanteur et comédien affûté, Platanias offre un véritable feu d’artifices tant vocal que scénique; c’est cependant dans la scène du troisième acte « Cortigiani, vil razza dannata … Ebben, io piango » et dans l’ultime duo avec Gilda mourante que Platanias est le plus convaincant; dommage que la diction ne soit pas toujours impeccable.
Ekaterina Siurina propose une Gilda émouvante tant scéniquement que vocalement; la soprano russe donne à Gilda une touche toute personnelle qui confère à la jeune fille, naïveté et fraîcheur. Dès la scène d’entrée, Siurina se pose sur scène non comme une potiche mais comme une jeune femme à part entière et, malgré sa timidité sous jacente elle questionne, s’interroge, se cherche, sans pour autant obtenir de réponse claire, voire honnête, tant de son père que du duc; si la confrontation avec son père laisse entrevoir la douleur de l’homme, du mari et du père, le duo d’amour avec le duc, lequel se présente sous une fausse identité, permet à la jeune fille de s’ouvrir à l’amour bien que cet amour doive la conduire plus tard à la mort.

Le trio vocal séduit indiscutablement, mais aussi toute l’équipe qui prend à son compte la musique, le livret et les personnages. Dans la distribution des rôles secondaires, saluons les très belles performances de Christine Rice (Maddalena) et de Matthew Rose (Sparafucile) qui se distinguent, dans le quatuor et dans le trio du troisième acte; les voix sont noires et mordantes à souhait conférant au couple frère/soeur, une certaine humanité malgré l’horreur du geste qu’ils s’apprêtent à accomplir.

Les choeurs du Royal Opera House, surtout le choeur d’hommes, le plus sollicité pendant toute la soirée,complète le plateau vocal avec un certain bonheur. Dans la fosse, Sir John Eliot Gardiner dirige l’orchestre d’une main ferme; le chef qui discute avec ses musiciens pendant les changements de décors, affirme une énergie remarquable, dans une complicité avec les musiciens, elle aussi palpable. D’autant que la maestro connaît particulièrement bien le théâtre de Verdi et Rigoletto, ouvrage propre à la période « intermédiaire »…

Seule réserve, d’ordre technique: la liaison satellite entre Londres et la France a provoqué un décalage son/image fort désagréable pendant tout le premier acte gâchant un peu et l’écoute et le déroulement de l’action. Saluons l’initiative du Royal Opera House pour cette reprise de Rigoletto avec une distribution brillante, malgré une diction pas toujours impeccable, et un chef au sommet de son art. Côté mise en scène, David McVicar propose une vision plutôt déjantée de l’oeuvre, forçant le trait avec audace sans pour autant en faire une ligne de conduite systématique… ce qui est plutôt bienvenu.

Poitiers. Cinéma « le Castille », le 17 avril 2012. En direct du Royal Opera House de Londres. Giuseppe Verdi (1813-1901) : Rigoletto, opéra en trois actes sur un livret de Francesco maria Piave d’après la pièce « Le roi s’amuse » de Victor Hugo. Avec Dimitri Platanias (Rigoletto); Ekaterina Siurina (Gilda); Vittorio Grigolo (le duc de Mantoue); Gianfranco Montresor (Monterone); Christine Rice (Maddalena); Matthew Rose (Sparafucile); Elizabeth Sikora (Giovanna); Zheng Zhong Zhu (Marullo); Pablo Bemsch (Matteo Borsa); Jihoon Kin (Ceprano); Susanna Gaspar (comtessa di Ceprano); Nigel Cliffe (huissier); Andrea Hazell (un page); Choeur et orchestre du Royal Opera House; Sir John Eliot Gardiner (direction). David McVicar (mise en scène); Tanya McCallin (costumes); Michael Vale (décors); Paule Constable (lumières). Compte rendu rédigé par notre envoyée spéciale, Hélène Biard

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