Piotr Illych Tchaïkovsky (1840-1893)
Eugène Onéguine (1879)
Scènes lyriques en trois actes
Livret du compositeur, avec
Constantin Chilovski
d’après Pouchkine.
Créé à Moscou, le 29 mars 1879
Opéra national de Lyon
Du 25 janvier au 8 février 2007
Nouvelle production
Mise en scène : Peter Stein
Synopsis
Madame Larina, aristocrate de campagne, a deux filles très courtisées, Olga et Tatiana. Le fiancé d’Olga, Lenski présente à la famille l’un de ses amis Eugène Onéguine qui suscite la passion immédiate de Tatiana. Mais la jeune femme est écartéee car Onéguine tient à sa liberté. Plus tard, Tatiana devenue une riche princesse de Saint-Pétersbourg, épouse du Prince Grémine suscite un retour de flamme d’Onéguine ; mais il estr trop tard, et l’ancien amour est définitivement chassé dans le coeur de Tatiana.
Le théâtre des sentiments
La partition d’Onéguine, d’un expressionnisme sentimental radical, trouve un écho dans la vie personnelle du compositeur. Ayant commencé à composer, Tchaïkovsky se marie avec Antonina Milukova (6 juillet 1877), mais l’épisode des noces est brutalement suivi par une tentative de suicide et une crise profonde. Le couple se sépare et Tchaïkosky, ébranlé, se replie dans la campagne russe et voyage en Suisse et en Italie. La sensibilité éprouvée du musicien se retrouve dans une oeuvre intensément lyrique qui a pour sujet, les déflagrations des sentiments dans le coeur des âmes amoureuses. Tchaïkovsky achève sa partition en janvier 1878.
Le musicien reprend scrupuleusement le texte de Pouchkine, aux épisodes clé du drame : lettre de Tatiana à Onéguine, monologue d’Onéguine, air de Lenski avant le duel… A 37 ans, le compositeur s’affirme alors, comme le créateur de l’opéra romantique russe. Drame, passion, ressentiment, dignité puis renoncement, la musique exprime avec justesse la vérité amère et sarcastique assané par le Destin. Voilà qui explique pourquoi, aux côtés de la Dame de Pique (1890), Onéguine se soit imposé naturellement sur les scènes lyriques. Même si la tradition fait de l’opéra, une série de grands tableaux spectaculaires adaptés à l’ampleur des scènes internationales, pour des audiences qui se comptent en milliers de spectateurs, le drame de Tchaïkovsky est une ouvrage intimiste, en huit clos, dont la musique développe la résonance des conflits personnels et intimes des personnages. Il partage en cela la même perspective que La Traviata de Verdi (Venise, 1853). Le compositeur ne peint pas des scènes et des actions extérieures mais des sentiments. Véritable théâtre du coeur et de la passion, l’ouvrage exprime l’activité de la psyché, la force du désir, d’autant plus violente qu’elle est opposée à la loi des conventions.
Elément essentiel du drame romantique, la lettre revêt ici une fonction capitale : Tatiana à Onéguine ; puis, inversement, Onéguine à Tatiana, la feuille est l’instrument le plus intime qui recueille fantasmes inavoués, projections et célébration d’un idéal chèrement préservé… Mais ce qui est stupéfiant et dit subtilement par Tchaïkovsky, c’est le feu intérieur qui consume chaque protagoniste. Le sujet de leur amour n’est qu’un prétexte, comparé au bouillonnement intérieur qui les anime chacun. La musique porte et développe les sentiments : au-delà des mots, il y a le poème de la catastrophe, la déroute des êtres égarés, insatisfaits, en quête d’idéal…
Illustration
Paval Fedotov, la demande en mariage (1848) (DR)
Kiprenski, portrait de Pouchkine (DR)