Anna Netrebko, diva baroque
Anna Netrebko saluée dans les vertiges du lyrisme romantique, au terme d’un travail spécifique sur sa voix et sa technique, se dévoile musicienne troublante et palpitante dans l’écriture baroque. La cantate préalable Nel chiuso centro pour voix seule, affirme une musicalité sûre, projection et intonation sincère, douées d’une intensité émotionnelle bouleversante qui met en lumière ce miel angélique et blessé d’une voix parmi les plus séduisantes qui soient. De son côté, la contralto Pizzolato rayonne dans un métal fluide et sombre dans la cantate Questo è il piano… Même séduction millimétrée d’un chant miraculeux, sans artifice.
En guide respectueux d’une ascèse aux seules cordes, Antonio Pappano et son orchestre Santa Cecilia de Rome saisissent l’éloquence sobre du Stabat Mater: la succession des tableaux atteint une unité remarquable par le style sans effet ni théâtralité des deux chanteuses, véritables voix d’un drame de la Passion. Les deux cantatrices réalisent un accord majeur en une sororité vocale, captivante d’un bout à l’autre des 12 sections du Stabat. A travers la douleur de Marie, c’est le sacrifice du Fils et le mystère de la mort qui nous sont révélés.
Le Cuius animam gementem dévoile l’ardente flamme humaine d’une voix en état de transe; Anna Netrebko exprime cet angélisme brûlé, touchant par sa blessure panique. Le Duetto Quis est homo plonge dans l’angoisse profonde, saisi par ses accents lugubres qui éclairent le visage terrifiant de la mort, avant que les deux chanteuses ne se resaisissent comme deux vengeresses touchées par l’injustice frappant les hommes. Soulignons enfin ce point d’accomplissement vocal du Vidit suum dulcem natum où la voix du soprano solo dévoile la solitude glaçante du mourant, celle du transi, moins du gisant, grelotant dans le froid de l’ombre. Anna Netrebko se montre d’une exceptionnelle perfection de style, d’articulation, de dramatisme millimétré. La dernière section (duetto Quando corpus morietur, n°23: est une conclusion en forme d’adieu, en demi-teintes entre la tristesse et la douceur, comme un envol aussi et une invitation au renoncement final. On reste saisi par la vérité et la sincérité du style des interprètes.
Sonorité concentrée, sans fard, aux couleurs mortifères contenues (Alessandro Moccia, transfuge de l’Orchestre des Champs Elysées, assure ici la partie de premier violon), le geste remarquable de profondeur comme d’humanité éblouit: Anna Netrebko portée par un collectif qui s’est mis au diapason de son intelligence musicale, nous montre qu’elle a passé un nouveau cap dans sa carrière: la diva belcantiste et romantique sait aussi être une diseuse baroque exemplaire: tremplin d’un nouveau volet de son parcours? Magistral.
Giovanni Battista Pergolesi (1710-1736): Cantates, Stabat Mater. Anna Netrebko, soprano. Marianna Pizzolato, contralto. Orchestra dell’Accademia nazionale di Santa Cecilia, Rome. Antonio Pappano, direction.
agenda
Anna Netrebko chante le programme du disque Pergolesi: Nel chiuso centro et Stabat Mater, salle Pleyel à Paris, le 26 avril 2011. Distribution et orchestre différents: Kate Lindsey, mezzo. English Chamber Orchestra. Paul Watkins, direction