Paul Wittgenstein
pianiste et mécène
Arte
Lundi 10 mai 2010 à 22h30
Hong Kong: écrin des archives du pianiste autrichien Paul Wittgenstein. En septembre 2009, 3 tonnes de documents sont ainsi mis en lumière: lettres, partitions, notes diverses… Un traumatisme: la perte de son bras droit, un comble pour un artiste pianiste qui a priori a besoin des deux. « je jouerai d’un seul bras! », déclare Paul Wittgenstein. Après la première guerre, l’handicapé concertiste devenu aussi un riche mécène, commande une série de Concertos pour la main gauche…
à Ravel, Hindemith, Prokofiev, Rachmaninov…
Un mécène pour le piano
Beaucoup de compositeurs écrivent pour lui dont Ravel qui conçoit son fameux Concerto; l’homme, force de la nature, inspire, convainc, époustoufle par sa volonté. Il naît à Vienne le 5 novembre 1887. Ses parents sont originaires de Saxe. Son père Karl, devient un magna de l’acier: patron industriel richissime, élégant, de plus mélomane et praticien : il joue du clairon. Collectionneur, il achète partitions et manuscrits historiques, commande aux artistes, et bien sûr, en son palais Viennois, organise et favorise les concerts auxquels se presse la bonne société viennoise. Les fils Wittgenstein reçoivent ce modèle artistique. Mais le père destine ses fils à l’économie malgré leurs talents: brimés, certains se suicideront (dont Kurt). Paul et Ludwig qui est aussi musicien, devient un philosophe renommé. Paul admire la musique et se voue à la passion familiale: après la mort de son père, il s’offre une salle, un piano… afin de démontrer ses talents de pianiste. Juste avant la guerre, autour de 1913, les Viennois découvre le génie du jeune pianiste qui est de plus, le plus riche de Vienne.
Les critiques sont unanimes pour louer son talent: il est reconnu de son vivant comme un immense artiste. En 1914, la guerre enrôle Paul et son frère Ludwig. Au combat, celui qui se destinait à devenir un grand pianiste perd son bras droit. Le destin semble accablant.
Concertos pour la main gauche
Prisonnier et handicapé, Paul se retrouve dans un camp sibérien sous tutelle russe. Cette double épreuve lui apporte une détermination inéluctable, d’autant que sa famille, choquée par ses dons artistiques, n’entend pas laisser Paul amputé de son bras droit, ridiculiser la nom de la famille.
Mais le musicien rectifie et perfectionne sa technique, selon ses possibilités. Paul avec sa main gauche, se place pour couvrir tout le clavier: sa vélocité et sa force morale l’amènent à dépasser son handicap.
Il ne se satisfait pas d’arrangements d’oeuvres connues pour sa seule main. Il commande aux compositeurs des pièces conçues pour lui: Korngold, Hindemith, Sergueï Botkevitch (qui lui écrit son 2è Concerto). Ainsi le pianiste démontre sa valeur. Ravel ou Strauss sont séduits par ce musicien de très grande valeur: avec ses dollars, Paul Wittgenstein attire toute les convoitises et sait séduire les plus grands compositeurs européens.
Exigeant vis à vis des manuscrits qu’ont lui soumet, il supprime ou atténue le rôle des instruments à vents, imagine des nuances dynamiques inédites, n’hésite pas à discuter avec Korngold par exemple pour mieux ciseler la partie dévolue à sa seule main… Les compositeurs doivent aménager leur orchestration selon ses vues.
Au total 17 Concertos pour piano lui sont livrés dont celui de Rachmaninov qu’il n’a pas créé de son vivant. Celui de Prokofiev le comble aussi, même s’il rechigne souvent à jouer des morceaux trop modernes: les annotations manuscrites montrent le travail de l’interprète qui ne comprend pas forcément la partition. Le pianiste ne la jouera pas non plus de son vivant: le Concerto de Prokofiev sera créé en 1956. Même phénomène pour le Concerto de Hindemith qui est créé par Léon Fleisher en 2004! La partition écrite en 1923, fut laissée de côté car le dédicataire plutôt conservateur et post romantique n’aimait pas les modernes.
Une vie pour le piano
Michel Béroff, Garu Graffmann, Leon Fleischer qui ont perdu l’usage de leur bras droit (souvent par distonie), trouvent dans les partitions commandées par Paul Wittgenstein pour la main gauche, une réserve inespérée: un moyen de retrouver l’exercice du concert. Le Concerto de Ravel est celui qui dévoile l’esprit du musicien interprète: on y sent une rage, une volonté suprême qui est à la source de la musicalité de Wittgenstein. Le compositeur français parvient à enrichir la sonorité malgré la présence d’un seul bras: Leon Fleischer sous la conduite de Georges Prêtre joue la partition de Ravel.
Ravel et Wittgenstein ont tous les deux été marqués par la Guerre: terreur, horreur, traumatisme sont inscrits dans le Concerto pour piano.
En mars 1938, la répression nationale-socilaiste contre les opposants au régime se durcit: Wittgenstein doit faire flotter le drapeau à croix gammée sur la façade du palais familial. Puis, le pianiste est inquiété car la tribu compte parmi ses ascendants, de nombreux juifs. Mais Paul ne se considère pas comme un juif: choqué par les accusations dont il est l’objet, Paul Wittgenstein est interdit de concerts, de voyages, même de marche… la seule occupation qu’il appréciait quand il ne jouait pas de piano. Par crainte pour ses enfants, Paul Wittgenstein décide de quitter Vienne où il possède un patrimoine inimaginable. En Suisse, il rassemble l’or et dépose ce butin dans plusieurs banques. Il refuse d’en donner la totalité aux nazis pour retrouver une identité persona grata: ses soeurs et son frère Ludwig lui en voudront définitivement. La famille s’installe à New York où, loin de son palais viennois (détruit pendant la guerre et les bombardements), Paul, admirateur de Brahms, donne concerts et leçons de piano. Nouveau lieu, nouvelle vie: une destinée exemplaire où la richesse et les rencontres humaines ont toujours compté en fonction du piano. Son épouse après sa mort, conserve dans leur maison de Pensylvannie, l’ensemble de la collection de Paul… qui avant de mourir ne revint jamais en Autriche.
Aujourd’hui la collection a été achetée par un admirateur hong kongais de Richard Strauss: c’est dans la ville asiatique qu’ ont été redécouverts les documents pour la plupart inédits.
Illustrations: Paul Wittgenstein (DR)