samedi 26 avril 2025

Paris. Théâtre du Châtelet, le 31 mars 2010. Scott Joplin : Treemonisha. Adina Aaron, Grace Bumbry, Willard White, Stanley Jackson. Kazem Abdullah, direction. Blanca Li, mise en scène et chorégraphie

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Un opéra rêvé par un compositeur de ragtime ? Voilà qui, au début d’un XXe siècle conservateur, a pu surprendre. Et pourtant, le résultat se révèle d’une grande beauté.
Scott Joplin, né en 1868, dont l’enfance fut baignée de musique, après avoir appris le piano et l’harmonie, et être devenu, à force de ténacité, rien moins que le monarque du ragtime, osa caresser le rêve de se mesurer à l’opéra.
Mais devant l’incrédulité et la méfiance de ses pairs, ce projet ambitieux et fou partit en fumée, au grand dam de son créateur qui, miné par la déception, vit sa santé physique et mentale se détériorer, avant de quitter ce monde le premier matin d’avril 1917, sans jamais avoir vu son chef-d’œuvre lyrique prendre vie sur une scène.
Bien avant le combat de Martin Luther King, la trame de Treemonisha, pour simpliste et unidimensionnellement moraliste qu’elle peut paraître, démontre avec force l’importance de l’éducation dans l’élévation des consciences.

Dans cette histoire, à valeur de conte, une jeune femme, mystérieusement découverte, encore bébé, au pied d’un arbre sacré et recueillie par Monisha et Ned, deux anciens esclaves, qui la baptisèrent de ce fait Treemonisha, combat l’obscurantisme et la superstition dans lesquels sont maintenus les habitants de son village par des sorciers. Seule de son village à avoir, grâce à la ténacité de sa mère adoptive, reçu une éducation, après avoir été capturée par les ensorceleurs et sauvée in extremis par le courageux Remus, elle donnera l’exemple en accordant son pardon à ses ravisseurs.
Nommée à la tête de son village, afin de guider ses habitants dans le chemin de la raison et de la vertu, elle sera couronnée par la Nuit pour sa sagesse et la grandeur de son âme.

Pour illustrer cette histoire symbolique, Scott Joplin a usé de sa connaissance profonde des différents genres musicaux : au sein de cette œuvre, des cantilènes purement classiques, d’une couleur toute bellinienne, côtoient des rags endiablés et des chœurs venus du gospel. Une partition pour le moins variée, aux couleurs vives et pétillante en diable, que le Théâtre du Châtelet, fidèle à sa programmation atypique, permet au public parisien de découvrir dans toute sa force et son éclat.
L’esthétique visuelle défendue par Roland Roure est celle de l’onirisme, de la fable, aux traits peints comme des dessins d’enfants, pleine d’une certaine naïveté, empreinte de douceur et de fantaisie. L’utilisation de la vidéo se révèle particulièrement réussie, dans des toiles de fond d’une grande beauté, notamment dans le dernier tableau, lorsque la voûte céleste descend pour sacrer l’héroïne.
Pétillante d’énergie, la chorégraphie imaginée par la chorégraphe Bianca Li emporte tout sur son passage, magnifiée par des danseurs déchaînés et enthousiastes. La danse des cueilleurs de coton reste le moment fort de la soirée, tourbillon sans fin, reprise durant les saluts avec une force décuplée, véritable philtre euphorisant, achevant de survolter une salle enthousiaste.

La distribution réunie pour l’occasion se révèle d’une impeccable justesse. Prochainement Aida au Stade de France, la belle Adina Aaron incarne avec sensibilité le rôle de Treemonisha. Le timbre est beau, rappelant par instants Leontyne Price, la technique vocale sans reproches, notamment dans des piani d’une enchanteresse pureté et des aigus puissants et faciles, et la musicienne d’une grande justesse émotionnelle. Son père, le rugueux Ned, voit en Willard White un interprète de choix. Tour à tour paternel et vengeur, l’immense basse jamaïcaine, à la voix toujours percutante et sombre, donne un relief saisissant à son rôle. Séduisant et élégant, le ténor Stanley Jackson, étonnamment à l’aise dans l’acrobatie chorégraphique, fait du brave Remus un prétendant idéal pour l’héroïne. Parmi les seconds rôles, citons notamment Jacques-Greg Belobo, grand sorcier au grain vocal somptueux.
Quant à la mère adoptive de Treemonisha, la douce Monisha, elle se voit magnifiée par la force que lui donne Grace Bumbry, l’incomparable mezzo américaine faisant avec ce rôle un retour fracassant à Paris. A peine l’aperçoit-on sur la scène qu’on ne peut plus la quitter des yeux. Dotée d’un magnétisme incomparable, la Vénus noire captive l’auditoire, et déploie une voix parfaitement préservée, sur laquelle le temps semble n’avoir pas de prise. La ligne de chant est superbement conduite, le timbre toujours incomparable d’ombre et de lumière tout à la fois, et la musicienne sait habiter son chant comme aucune autre, pétrie d’humanité rayonnante et de bonté. Une leçon de musique et d’humilité.
Saluant avec ferveur tant sa légende que son incarnation exceptionnelle, la salle l’accueille par une pluie d’ovations, dans un élan d’amour très émouvant.
A la tête d’un Ensemble orchestral de Paris semblant se délecter de la musique bariolée qu’il fait naître, le chef Kazem Abdullah conduit la soirée avec ce qu’il faut de rigueur et de fantaisie, lui aussi visiblement à la fête. Une soirée haute en couleurs, dont on sort heureux, le sourire aux lèvres, du soleil dans la tête et des étoiles dans les yeux.

Paris
. Théâtre du Châtelet, 31 mars 2010. Scott Joplin : Treemonisha. Livret du compositeur. Avec Treemonisha : Adina Aaron ; Monisha : Grace Bumbry ; Ned : Willard White ; Remus : Stanley Jackson ; Zodzetrick : Brad Stephen Salters ; Simon : Jacques-Greg Belobo ; Luddud : Jean-Pierre Cadignan ; Lucy : Janinah Burnett ; Cephus : Loïc Félix ; Andy : Mlamli Lalapantsi ; Parson Alltalk : Krister St. Hill ; Le contremaître : Joël O’cangha. Chœur du Châtelet ; Chef de chœur : Sergei Pavlov. Ensemble orchestral de Paris. Kazem Abdullah, direction. Mise en scène et chorégraphie : Blanca Li ; Conception scénographique, dramaturgie, décors et costumes : Roland Roure. Lumières : Jacques Rouveyrollis ; Collaboration aux costumes : Lili Kendaka ; Collaboration à la mise en scène : Jean-Philippe Delavault ; Collaboration aux décors ; Sonia Dalle ; Réalisation vidéo : Robert Nortik. Assistant du chef : Sergei Pavlov ; Chef de chant : David Zobei

Illustrations: © Marie-Noelle Robert Théâtre musical du Châtelet à Paris 2010

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