lundi 28 avril 2025

Paris. Théâtre des Champs-Elysées, le 6 avril 2013. Récital Juan Diego Flórez, ténor. Deusche Kammerakademie. Christopher Franklin, direction

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Le ténor péruvien Juan Diego Florez est de retour dans la capitale pour son récital annuel, un plaisir toujours renouvelé devant cette voix saine et franche, unique aujourd’hui.
Car entendre Flórez chaque année, c’est entendre et apprécier chaque fois encore les mêmes qualités : une sécurité technique et musicale qui, si elle frôle la mécanique, permet surtout des beautés sonores dont il serait dommage de se priver.
L’opéra, c’est aussi du beau son, du beau chant, au sens le plus hédoniste du terme, et c’est lui a choisi de jouer cette carte avec le plus grand succès.


Hédonisme d’un chant solaire

Après L’Ouverture de l’Alessandro haendelien à la sonorité riche mais au jeu non vibré trop bêtement baroqueux, début prudent pour le chanteur avec deux airs du caro sassone extraits de Semele. Dans un anglais à l’accent ensoleillé, il met en route lentement son instrument avec un « Where’er you walk » d’une belle intériorité mais un rien timide, avant de libérer la voix et dérouler sa virtuosité dans « I must with speed amuse her », l’un des chevaux de bataille de Rockwell Blake, dans lequel il rivalise avec le légendaire ténor américain.
Mais il faut laisser passer l’ouverture ébouriffante et tourbillonnante de la trop rare Zampa de Hérold pour que les choses sérieuses commencent enfin, avec Meyerbeer. Dans la scène de Raoul des Huguenots, il démontre une fois de plus sa maîtrise du style français, avec une diction d’une clarté dont bien des chanteurs devraient s’inspirer, rendant le texte compréhensible sous la dictée, et une ligne de chant parfaitement sur le souffle : legato à l’archet et velouté du timbre obtenu en grand artiste – pour remplacer une véritable nuance piano rendue difficilement réalisable, et tout au long du concert, par cette place vocale faisant de l’émission un véritable laser –. L’aigu, toujours concentré et percutant, d’une solidité à toute épreuve, achève de soulever la salle, qui s’enflamme comme un seul auditeur.

Avec le grand air du rarissime Crociato in Egitto du même Meyerbeer, dans un style proche de Rossini, place à la virtuosité quasi-instrumentale, avec un contrôle vocal qui semble avoir mûri encore depuis Pleyel, voilà près de deux ans. S’il n’est pas le baritenore exigé par la partition, et escamote de ce fait quelques notes graves impossibles – mais que bien d’autres ont prudemment évitées avant lui –, il réussit de cet air une exécution brillante et parfaitement maîtrisée, ciselant avec vaillance les vocalises, lançant comme des fusées les nombreux contre-uts qui parsèment sa partie. Une performance d’athlète vocal, salué par une véritable ovation de la part des spectateurs.

L’entracte passé, Juan Diego Flórez nous entraîne, ainsi qu’il aime le faire, vers ses terres natales, avec trois mélodies espagnoles où il retrouve sa langue et ses sonorités, dans lesquelles il croque avec un plaisir non dissimulé, déroulant un legato de velours, dardant un aigu triomphant. Tout au plus peut-on regretter un manque d’abandon, mais peut-être est-ce le prix à payer pour tant de maîtrise et de précision.
Le climat espagnol se poursuit dans l’orchestre, avec la pièce España de Chabrier, rendue avec conviction mais un rien trop d’éclat.
Avec la scène de Gaston, extraite de la verdienne Jérusalem et donnée dans son intégralité, le ténor péruvien, après un faux départ qui laisse entrevoir l’humanité sous l’implacable mécanique du technicien, démontre derechef la perfection de sa diction et le travail minutieux qu’il effectue sur chaque morceau abordé.
Même enthousiasme pour l’air de Roberto Devereux tiré de l’œuvre du même nom de Donizetti, au phrasé déployé et au souffle long, suivi de la cabalette qu’il conclut sur un superbe ut dièse… une nouvelle fois du grand art.
Le triomphe est total, et le public littéralement en délire réclame un bis. C’est chose faite avec Amapola de Laccalle, l’un des succès du légendaire Miguel Fleta, que le chanteur couronne d’un aigu vainqueur, décidément l’une de ses signatures. Le bis suivant n’est autre que le superbe « M’appari » tiré de Martha de Friedrich von Flotow, au tempo ralenti lui permettant de déployer au mieux sa voix. Et même si cet air semble demander une voix plus large que la sienne, jamais il ne cède à la tentation de grossir le son. Au contraire, il semble se raccrocher plus encore à ses atouts que sont la hauteur de l’émission et la concentration du son, cette accroche qu’il est le seul actuellement à posséder à ce degré. Cédant à la demande générale, il se lance dans la fin de l’air de Tonio de la Fille du Régiment, son cheval de bataille avec ses neufs contre-uts.
Fidèle à lui-même, le ténor lance ses uts avec une facilité déconcertante, soutenant longuement le dernier, comme un défi après un concert entier, mais qui semble ne rien lui coûter. Et pour satisfaire la salle qui, debout comme un seul homme, en réclame encore, il prend congé avec « La donna è mobile », qu’il chante avec ses moyens, superbement, allant jusqu’à taquiner l’ut dièse – et le tenir dans l’élan – dans la vocalise cadentielle, et concluant la soirée par un ultime aigu percutant et riche d’harmoniques. Sans doute l’un des plus beaux récitals auxquels Juan Diego Flórez nous ait conviés à Paris.

Paris. Théâtre des Champs-Elysées, 6 avril 2013. Georg Friderich Haendel : Alessandro, Ouverture ; Semele, « Where’er you walk », « I must with speed amuse her ». Ferdinand Hérold : Zampa, Ouverture. Giacomo Meyerbeer : Les Huguenots, « Plus blanche que la blanche hermine » ; Il Crociato in Egitto, « Popoli dell’Egitto ». Pablo Luna : La picara molinera, « Paxarin, tu que vuelas ». Jacinto Guerrero : Los gavilanes, « Flor roja ». José Serrano : El trust de los tenorios, « Te quiero, morena ». Emmanuel Chabrier : España. Giuseppe Verdi : Jérusalem, « Je veux encore entendre ». Gaetano Donizetti : Roberto Devereux, « Come uno spirto angelico ». Juan Diego Flórez, ténor. Deutsche Kammerakademie. Christopher Franklin, direction

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