Sous la baguette d’Emmanuel Joel-Hornak, les musiciens de l’Orchestre National de Bordeaux Aquitaine jouent constamment trop fort, sans doute impressionnés par le contraste entre la taille de leur Grand-Théâtre, au sein duquel ils ont leurs repères sonores, et celle de la salle parisienne. Souvent pompiers dans l’héroïsme, avares de nuances, ils donneraient raison aux détracteurs de l’opéra italien qui ne voient dans cette musique que grandiloquence et pauvreté harmonique. Le chœur se montre au diapason des instrumentistes, éclatant de puissance, mais souvent trop tonitruant et sans grande finesse.
Un Trouvère bien pâle
Paradoxalement, la distribution réunie pour ce concert – la première durant les représentations au Grand-Théâtre, une seconde ayant alterné avec elle – voit se côtoyer grandes voix et gosiers de taille bien plus modeste.
Giuseppe Gipali, à la vocalité exacte pour le Duc de Mantoue ou Alfredo, démontre, plus encore qu’à Massy, à quel point le costume de Manrico lui est trop large. Beau ténor lyrique, à l’émission remarquablement haute et incisive, au timbre charmeur et à la musicalité raffinée, il phrase notamment un superbe « Ah si ben mio », pour se retrouver malheureusement dépassé par la cabalette « Di quella pira », où il se retrouve noyé dans le chœur et couvert par l’orchestre, ainsi que dans la plupart des moments de l’œuvre exigeant de lui métal et vaillance. On est d’ailleurs surpris, avant ladite cabalette, durant son court dialogue avec Ruiz, par un Humberto Ayerbe Pino à l’émission instable et à court d’aigus, mais à l’instrument bien plus puissant que celui du trouvère.
Le Comte de Luna, rival honni, se voit servi par le baryton russe Alexey Markov, à la technique vocale typiquement slave : médium riche et bien timbré, mais haut-médium et aigus opaques, étouffés et engorgés, perdant toute richesse harmonique. Pourtant, jamais il ne semble faire le moindre effort pour atteindre les notes élevées, et, si le legato de son air « Il balen del suo sorriso » n’est pas toujours d’une égalité parfaite, il stupéfait l’auditoire par un sol aigu, couronnant la cadence a cappella, parfaitement placé, sonore et percutant, son seul aigu de la soirée parfaitement émis. Par ailleurs, il ose toutes les notes du trio du premier acte, ornements compris, audace devenue rarissime chez les barytons d’aujourd’hui.
Elena Manistina, Azucena véhémente, se place elle aussi dans une tradition slave, mais pas des meilleures : émission grossie, au vibrato serré, texte incompréhensible, graves forcés et aigus hurlés, elle impose cependant sa grande voix et semble avoir séduit le public.
Avec un tel entourage, la Leonora Elza van den Heever triomphe sans peine, avec son instrument puissant et velouté, emplissant la salle sans effort. A tel point que durant le trio du I, à peine chante-elle mezzo-forte qu’elle couvre et engloutit ses deux partenaires masculins. Pourtant, il faut admettre qu’elle n’est pas encore un vrai soprano verdien : lui manquent, à l’heure actuelle, de vrais piani flottants – elle semble avoir quelques difficultés à adoucir et alléger sa grande voix – et un legato à l’archet, le sien se révélant encore quelque peu haché. Mais nous tenons là une vraie belle et grande voix, se déployant avec aisance dans toute sa largeur et son volume, un nom à suivre. Saluons également le remarquable Ferrando de Wenwei Zhang, toujours superbe de timbre et imposant d’impact vocal, donnant une vraie force à son récit, qui ouvre l’œuvre et impose un climat.
Un Trouvère bien peu verdien, mais qui nous aura permis de découvrir une Leonora plus que prometteuse.
Paris. Théâtre des Champs-Elysées, 3 mai 2011. Giuseppe Verdi : Il Trovatore. Livret de Salvatore Cammarano et Leone Emanuele Bardare. Avec Manrico : Giuseppe Gipali ; Leonora : Elza van den Heever ; Il Comte di Luna : Alexey Markov ; Azucena : Elena Manistina ; Ferrando : Wenwei Zhang ; Ines : Eve Christophe-Fontana ; Ruiz : Humberto Ayerbe Pino. Chœur de l’Opéra National de Bordeaux ; Direction : Alexander Martin. Orchestre National de Bordeaux Aquitaine. Emmanuel Joel-Hornak, direction musicale